Né en esclavage dans la colonie française de Saint-Domingue aux alentours de 1740, Toussaint Louverture fut affranchi sous l’Ancien Régime. Il rejoignit cependant le soulèvement des esclaves dans la colonie en 1791 et devint l’un de ses meneurs. En 1794, il changea de camp, rejoignant les Français ; en 1798, il fut officiellement désigné gouverneur de Saint-Domingue et devint une figure influente tant de la politique française que de la diplomatie internationale. En conflit avec Napoléon, Louverture finit sa vie emprisonné en France. Si aujourd’hui il lui est rendu hommage au Panthéon dans la capitale française qu’il ne vit jamais, l’on se souvient de lui dans sa Haïti natale, comme du « précurseur » ouvrant la voie à Dessalines, le « libérateur » qui proclama l’indépendance du pays.
Les premières années de la vie de Louverture sont entourées de légendes. Ses parents furent amenés comme captifs dans la Caraïbe et il fut initialement connu sous le nom de Toussaint Breda, en référence à la plantation sur laquelle il vit le jour. Il se serait distingué très tôt par son intelligence et sa détermination. Fait inhabituel pour un esclave, il apprit à lire et à écrire, devint un fervent catholique et contracta un premier mariage avec une femme noire libre nommée Cécile avant qu’il ne fût lui-même affranchi. Dans les années 1770, il fut pendant une brève période le propriétaire d’une petite plantation et de quelques esclaves mais à la veille de la Révolution, il travaillait à nouveau sur la plantation Bréda sur laquelle sa seconde épouse, Suzanne, et ses enfants se trouvaient en esclavage. Son travail de cocher lui permettait de se déplacer librement et il tissa ainsi un réseau de contacts dont certains seront des alliés importants ultérieurement.
Bien que Louverture soit souvent décrit comme le chef à la tête du soulèvement qui démarra en août 1791, l’on sait en fait peu de choses quant à son rôle au tout début de celui-ci. Son nom n’apparaît que tardivement dans les documents de cette même année en tant que l’un des signataires d’une proposition pour une fin négociée au soulèvement. Cependant, à la mi-1793, il était devenu un commandant militaire indépendant bien qu’éclipsé par Georges Biassou et Jean-François Papillon, les meneurs reconnus de cette insurrection. Comme eux, il accueillit favorablement les offres espagnoles de livraisons d’armes et d’une position d’officier dans l’armée espagnole et se proclama lui-même partisan des Bourbons et de l’Eglise, allant jusqu’à rejeter les premières propositions françaises d’émancipation. A un certain moment, à la mi-1794, Louverture – il avait adopté ce nom en août 1793 – rallia le gouvernement révolutionnaire français après que ce dernier proclama l’abolition de l’esclavage et inversa le cours de la guerre en sa faveur, contrairement à Georges Biassou et Jean-François Papillon qui demeurèrent loyaux aux Espagnols. Louverture et ses troupes jouèrent un rôle clé dans la lutte contre les Espagnols et les Britanniques et lorsqu’ à la mi-1796 il réprima une tentative de renversement du gouverneur français Etienne Laveaux, il était manifestement l’homme le plus puissant de l’île.
Louverture fit pression sur Etienne Laveaux et le commissaire civil Léger-Félicité Sonthonax pour obtenir leur retour en France, ce qui lui permit, à partir de la fin de l’année 1797, de mener sa propre politique indépendante. Il intervint dans les affaires politiques françaises en apportant son soutien au coup d’état du 18 Fructidor An V et conduisit ses propres négociations avec les Britanniques et les Étatsuniens. Pour des motifs économiques, il était résolu à remettre sur pied l’économie de plantation et promulgua un décret impopulaire sur le travail sur les plantations, ordonnant sa reprise, , ce qui lui valut l’hostilité d’une large partie de la population noire rurale. Entre 1799 et 1800, il livra une guerre brutale à André Rigaud, un général d’ascendance mixte qui contrôlait le sud de la colonie. Napoléon s’était alors emparé du pouvoir en France. Les deux leaders obstinés se regardaient avec méfiance : Louverture soupçonnait le nouveau dirigeant français d’être tenté de réintroduire l’esclavage et Napoléon craignait que Louverture ne déclarât l’indépendance de la colonie.
Lorsque Louverture défia les instructions de Napoléon en occupant la partie espagnole de Saint-Domingue et en promulguant sa propre constitution, l’affrontement devint inévitable. Alors qu’il se préparait à faire face à l’invasion française, Louverture écrasa une insurrection conduite par son neveu Moïse, s’aliénant ainsi nombre de paysans noirs. Une expédition militaire française commandée par le beau-frère de Napoléon, Charles Victoire Leclerc, débarqua à Saint-Domingue au début de 1802. L’ampleur du rôle joué par Louverture dans l’organisation de la résistance aux français reste contestée et une partie de la population, lui reprochant son régime autoritaire, lui refusa son soutien. Après plusieurs mois de sanglants combats, ses principaux généraux se rendirent à Leclerc, ne laissant pas d’autre choix à Louverture que de faire de même. Autorisé à se retirer sur l’une de ses plantations, il fut cependant fait prisonnier en juin 1802 et déporté en France. Privé de procès, il fut relégué au Fort de Joux dans les montagnes du Jura où il mourut en avril 1803 laissant derrière lui des mémoires défendant ses actions.
Au moment de sa capture, Louverture avait prédit que les Français échoueraient à réduire à nouveau la population noire en esclavage. Alors que les troupes françaises succombaient à la fièvre jaune, ses anciens lieutenants reprirent la lutte. Sous le commandement de Jean-Jacques Dessalines, ils vainquirent les Français et proclamèrent l’indépendance d’Haïti au début de 1804. La légende de l’ancien esclave combattant pour la liberté de ses frères noirs enflamma l’imaginaire du monde ; en 1865, plus de cent ouvrages lui avaient été consacrés. A Haïti, on lui a reproché sa volonté de négocier avec les colons blancs, son régime autoritaire et son incapacité à vaincre l’expédition Leclerc. Quoi qu’il en soit, le nom de Toussaint Louverture demeure indissociable de l’histoire de la Révolution haïtienne. S’il échoua à conduire son pays à l’indépendance, la période de sa prédominance donna incontestablement à la population noire la confiance et la capacité nécessaire pour vaincre les troupes napoléoniennes.
Publié en juin 2023