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Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville

Né à Montréal en 1680, mort à Paris en 1767, et souvent présenté par les historiens comme le « père de la Louisiane », Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville pourrait être défini, au vu de ses pérégrinations et champs d’action, comme un homme de l’Atlantique : un pied dans les colonies américaines, un autre dans le royaume de France.

Canadien, Français et colon de la Louisiane, cet homme de petite taille – « Il est bien désavantageux à un homme de moyenne taille d’aller dans de pareils pays » (Margry, Découvertes et établissement t. 4, p. 433), écrit-il en 1700 alors qu’il peine à traverser une vallée inondée -, fut à la fois explorateur, interprète, administrateur militaire, entrepreneur et planteur. Il est devenu dans la première moitié du XVIIIe siècle la figure la plus célèbre de l’histoire de la Louisiane française.

La carrière de Bienville débute dans les pas de son frère Pierre Le Moyne d'Iberville, de dix-neuf ans son aîné. Pendant la guerre de la Ligue d'Augsbourg, il l’accompagne dans des expéditions militaires contre les Anglais sur les côtes du Maine, à Terre-Neuve et à la baie d'Hudson – où il est blessé au combat, en 1697. Puis, à partir de 1699, il participe à ses côtés à la fondation de la Louisiane dans le bas du Mississippi. Dès l’été 1701, à 21 ans, il est nommé commandant de Biloxi, poste fondé deux ans plus tôt sur la côte du golfe du Mexique. Comme son père, Charles Le Moyne, décédé alors qu’il n’avait que cinq ans, et plusieurs de ses frères aînés au Canada, Bienville gagne la réputation d’expert des autochtones, y compris sur le plan des langues. En mars 1699, d’Iberville remarque que son frère « se faisoit entendre passablement » parmi les Mougoulachas, initié par un « guide » de cette nation (Margry, op. cit., t. 4, p. 167). Chez les Natchez, en mars 1700, Bienville sert à nouveau de truchement à son aîné, car « il commence à se faire entendre en Bayougoula, en Ouma, Chicacha, Colapissa » (P. Margry, op. cit., t. 4, p. 412). En mars 1702, c’est encore lui qui joue le rôle d’interprète lors d’une conférence de paix à La Mobile entre Chactas et Chicachas. Plutôt que de parler plusieurs langues, Bienville maîtrise en réalité le mobilien, un pidgin basé sur les langues chacta et chicacha, qui servait de lingua franca dans la basse vallée du Mississippi. Il peut ainsi, avec son frère, forger des alliances avec plusieurs nations autochtones, dont les Natchez et les Chactas. S’adaptant à leurs cérémonies et à leur culture martiale, il se fait même tatouer un serpent qui lui fait le tour du corps. Le rôle de Bienville dans la fondation de la Louisiane entre 1699 à 1701 est évoqué dans ce récit de première main dû à l'enseigne Sauvole, source importante pour comprendre la création de la colonie sous la conduite de Pierre Le Moyne d'Iberville.

Bienville reste au commandement de la fragile colonie louisianaise durant la guerre de Succession d’Espagne, mais il pâtit localement du jeu des factions et surtout de la disgrâce de son frère d’Iberville († 1706), accusé de contrebande. Son crédit est entamé, et en 1707 le ministre de la Marine Jérôme de Pontchartrain dépêche un gouverneur pour diriger la colonie, Nicolas Daneau de Muy – celui-ci meurt toutefois à La Havane lors de son voyage vers la Louisiane. En 1712, lorsque le financier Antoine Crozat prend en charge, par lettres patentes, le développement de la colonie, Bienville, qui espère obtenir le titre de gouverneur, est à nouveau évincé, cette fois au profit d’Antoine de Lamothe Cadillac. C’est lui pourtant, et non Cadillac, qui règle en 1716 une crise politique survenue avec les Natchez : pour venger la mort de quatre voyageurs canadiens, il force les Natchez à lui remettre les assassins, qu’il fait exécuter. L’année suivante, alors que le monopole de la Louisiane vient d’échoir à la Compagnie d’Occident, qui sera ensuite rebaptisée Compagnie des Indes, il obtient le titre de commandant général et reçoit la croix de Saint-Louis. Il parvient alors à imposer le site d’une nouvelle capitale, La Nouvelle-Orléans, non sur la côte comme d’autres le suggéraient, mais sur le Mississippi. En octobre 1723, en mauvais termes avec les administrateurs de la Compagnie des Indes, il est rappelé en France, pays qu’il connaît alors à peine (dans les années 1690, il s’y était rendu avec d’Iberville, vraisemblablement à la Cour). Ainsi quitte-t-il finalement la Louisiane en juin 1725, mais, depuis Paris, où il vit dans la paroisse de Saint-Germain l’Auxerrois, il garde un œil sur le Mississippi, où il a des intérêts.

En 1732, à la suite du désastre de la guerre des Natchez (1729-1731) et du placement de la colonie sous régie royale (janvier 1731), il apparaît au roi comme le seul recours pour relever la Louisiane, fort de son expertise de la diplomatie autochtone. Nommé pour la première fois gouverneur (septembre 1732), il regagne La Nouvelle-Orléans en mars 1733. Il s’efforce alors de consolider les alliances avec les Amérindiens, en particulier avec les Chactas, mais se lance dans des guerres peu fructueuses pour vaincre les Chicachas : d’abord en 1736, où les Français subissent un revers cuisant, puis en 1739-1740, dans le cadre d’une imposante expédition franco-amérindienne qui débouche sur un simple traité de paix. Las, Bienville est finalement remercié en octobre 1742. Il quitte la Louisiane en août 1743, puis s’installe à Paris dans un appartement de la rue Vivienne, toujours célibataire et sans enfants. C’est là qu’il demeure jusqu'à sa mort, survenue 24 ans plus tard, à l’âge de 87 ans. Ses funérailles ont lieu dans l’église paroissiale de Saint-Eustache.

 

Publié en mai 2021

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