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Les Français dans la guerre de Sécession (1861-1865)

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Dès l’ouverture des hostilités, les immigrants français sont mis à contribution au nom de l’effort de guerre. Une expérience sanglante qui contribuera à les attacher définitivement à leur pays d’adoption.

En avril 1861, la guerre civile éclate aux États-Unis. Dans un pays en ébullition, où chaque camp s’attend à une guerre courte et glorieuse, la mobilisation est aussi désordonnée que soudaine. Des deux côtés, les belligérants font appel au plus noble dévouement et battent le rappel des forces disponibles. Au milieu de l’effervescence populaire, les immigrants français sont nombreux à répondre à l’appel sous les drapeaux. Cédant à la pression populaire, des milliers d’entre eux accourent dans les bureaux de recrutement. À l’heure où se nouent les destinées de la jeune république outre-Atlantique, dont Alexis de Tocqueville avait prédit l’essor, certains de leurs compatriotes, portés par le courant migratoire, épris d’aventures ou séduits par une cause idéologique à défendre, n’hésitent pas à traverser l’Atlantique pour offrir leur épée à l’une des deux armées. À mi-chemin de la guerre d’Indépendance et du premier conflit mondial, leur participation au plus grand affrontement jamais mené sur le sol du Nouveau Monde ouvre un chapitre inédit de l’histoire des relations franco-américaines.

« Nos cousins d’Amérique »

D’après le recensement fédéral de 1860, les Français sont environ cent dix mille à vivre à l’ombre de la bannière étoilée. Ils forment une population relativement jeune, plutôt masculine et d’origine rurale, venue chercher aux États-Unis les moyens d’améliorer son niveau de vie. La misère sociale, les discordes civiles, mais aussi les progrès des liaisons transatlantiques, les généreuses concessions de terres, les salaires relativement élevés et l’eldorado californien ont constitué autant d’invitations au voyage. Dans leur majorité, ils se sont établis dans les États du Nord, fer de lance de l’industrie et du progrès, délaissant le Vieux Sud, terre d’élection d’une société agrarienne fondée sur l’esclavage. On les retrouve dans des grandes métropoles comme New York, Philadelphie, Chicago et Cincinnati, dans la lointaine Californie et dans la haute vallée du Mississippi. Dans le Sud, seuls la Louisiane et le Texas réunissent des foyers de peuplement d’envergure.

Géographiquement dispersés, idéologiquement divisés entre réfugiés des diverses révolutions et en quête de repères, les Français d’Amérique offrent l’image d’une population hétéroclite qui peine à se fondre dans la société américaine. Ils exaltent leurs différences culturelles, entretiennent le culte de la mère patrie, où ils nourrissent l’espoir de retourner après avoir assuré leur avenir, et ne se précipitent pas avec entrain dans le creuset de nationalités que propose le Nouveau Monde.

L’appel aux armes

La guerre n’en éveille pas moins leurs instincts guerriers. Au milieu du fracas des armes, la proclamation de neutralité de Napoléon III du 10 juin 1861, qui interdit à tout ressortissant français de prendre rang dans les deux armées sous peine de perdre toute protection, ne parvient pas à remplir son rôle dissuasif. De part et d’autre de l’Atlantique, le mythe de La Fayette reprend vigueur pour le plus grand déplaisir des autorités impériales. Exilés en Angleterre, trois princes de la famille d’Orléans, le comte de Paris, le duc de Chartres et le prince de Joinville, offrent leur épée à la cause de l’Union et servent pendant un an dans l’état-major du général McClellan. Ils y croisent le colonel Gustave Cluseret, le futur général communard, qui y représente l’opposition républicaine à Napoléon III. Avec un égal empressement, le prince Camille de Polignac, fils du ministre de Charles X, rejoint quant à lui le camp des Confédérés et se hisse jusqu’au grade de général de division, devenant, pour la postérité, le « La Fayette du Sud ».

À l’instar des autres groupes d’immigrants, les volontaires français tentent d’abord de se regrouper dans des corps homogènes capables d’imposer leur identité nationale et d’exalter leurs traditions militaires. À New York, trois régiments d’infanterie sont fondés au début de la lutte : les « Gardes La Fayette » (55e New York) sous les ordres de Régis de Trobriand, les « Zouaves d’Epineuil » (53e New York) et le bataillon des « Enfants Perdus » (Independent Corps). Les Français du Sud ne sont pas en reste. À La Nouvelle-Orléans, les notables de la colonie créent, sous les auspices des autorités municipales et du consul de France, une « Légion française » et une « Brigade française » pour assurer un service de garde civique. Ses services seront cruciaux pour maintenir l’ordre au lendemain de la chute de la cité créole en avril 1862.

Malgré quelques coups d’éclat, ces unités n’auront eu qu’une existence éphémère, tant la colonie française porte en elle les germes de la division. Pendant quatre années, celle-ci a été mêlée aux péripéties d’une guerre totale dont les développements ont été rapportés en France entre autres par les témoignages édifiants d’Ernest Duvergier de Hauranne, Auguste Laugel, Camille Ferri-Pisani, Edouard Lacouture et Charles-Frédéric Girard.

Le temps de l’américanisation

À l’arrière, les civils n’ont pas été ménagés. Les Français se sont souvent plaints de déprédations, d’exactions et de mesures vexatoires, sans jamais obtenir de concessions. La lutte n’a pas été propice aux ménagements. Les querelles internes ont affaibli le degré de résistance communautaire. En outre, l’expédition du Mexique a donné naissance à un sentiment anti-français qui a porté préjudice aux sujets de Napoléon III. Dans le Sud, les Français ont été touchés par le renchérissement du coût de la vie, les pénuries alimentaires, la paupérisation des campagnes et le climat d’insécurité qu’entretiennent les soldats, les guérillas et les esclaves en fuite. Les procédés des belligérants ont détruit les illusions de celles et de ceux qui croyaient pouvoir rester en marge du conflit en invoquant le bénéfice de la neutralité. Par son caractère total, la guerre s’est invitée au sein d’une communauté qui cultivait jusqu’alors ses particularismes et regardait avec défiance et suffisance le mainstream ambiant. Pour la première fois, elle n’a pu résister à la force du courant et s’est jetée, par la force des choses, dans le grand bain de l’américanisation.

La guerre de Sécession constitue un tournant dans l’histoire de l’immigration française aux États-Unis. Les Français ont tissé des liens nouveaux avec leur patrie d’adoption en même temps qu’ils ont consommé la rupture avec leur pays d’origine. Absorbée par la pénurie de coton et la question mexicaine, la France impériale a été accusée d’abandon. Incapable d’étendre une protection efficace, alors même que sa marge de manœuvre était limitée, elle a altéré son image et perdu de son crédit au milieu des événements. Dans le Sud, notamment, les calamités de la lutte et le ralentissement des communications dû au blocus et aux opérations militaires ont renforcé l’incompréhension, l’aigreur et la rancœur à son égard. Les Français ont partagé les souffrances et les inquiétudes de la population américaine. Les dangers, les sacrifices et les épreuves du quotidien les ont obligés à sortir de leurs réserves, à s’attacher aux principes en jeu et à intégrer des solidarités extra-communautaires. Le passage dans les armées a noué des liens nouveaux, ouvert des barrières et gommé certains préjugés. Ceux qui ont servi dans les armées de l’Union acquièrent de plein droit la citoyenneté et perçoivent une allocation du gouvernement fédéral. Dans les États du Sud, le mythe tenace de la « cause perdue » donne aux anciens combattants une aura qui durera plusieurs générations. Qu’ils aient été dans le camp des vainqueurs ou des vaincus, les immigrants français ne sont plus les « oiseaux de passage » qu’ils prétendaient être jadis. Ils sont définitivement passés de l’Ancien au Nouveau Monde.

 

Publié en mai 2021

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