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« Code Noir »

Cette expression n'apparaît qu'en 1718, dans une édition privée parisienne (Saugrain) de l'ordonnance de mars 1685 sur la police des îles de l’Amérique française, ordonnance dont une copie du manuscrit originel est conservée aux ANOM. Applicable à l’origine aux colonies des « îles du Vent », à savoir la Martinique, à la Guadeloupe (dont la version - seule autre version manuscrite de l'ordonnance connue à ce jour - , enregistrée par le Conseil supérieur de Basse-Terre en décembre suivant, n'a été publiée qu'en 2015), ainsi qu'à Saint-Christophe (alors encore française à l'époque), ce texte sera ensuite « étendu », en 1687, à la partie française de Saint-Domingue (où il prendra le nom d'édit, qui tendra à supplanter celui d'ordonnance au XVIIIe siècle), puis enfin à la Guyane, en 1704.
 
Initiée à la demande de Louis XIV et de Colbert père, puis rédigée, sous la supervision du fils homonyme et successeur de ce dernier au ministère de la Marine et des Colonies, par une commission spéciale sur la base de mémoires compilés par les administrateurs locaux faisant état des règles existantes, cette ordonnance de 60 articles entrait en contradiction directe et flagrante, de l'aveu même de Colbert, avec le droit national de l’époque, qui n’admettait plus l’esclavage sur le sol du royaume. En ce sens, elle peut être considérée comme l’acte fondateur du droit colonial français en tant que corpus juridique spécifique et dérogatoire au droit commun national. Le Parlement de Paris (la Coutume de Paris était applicable dans ces territoires depuis 1664) refusera d'ailleurs toujours d'en reconnaître la validité juridique, et il prononcera même, au XVIIIe siècle, par le biais de la juridiction dite de la Table de Marbre (Amirauté), plusieurs décisions judiciaires d'affranchissement d'esclaves amenés par leur maîtres à Paris sur le fondement du principe général selon lequel « Le sol de France rend libre ».
 
Si l'ordonnance de 1685 a essentiellement pour objet la police des esclaves, la police religieuse y tient également une grande place : dès son premier article, la loi royale prévoit en effet l’expulsion des juifs des îles « dans les trois mois », et, plus loin, elle impose rigoureusement le monopole public de la religion catholique face à la « religion prétendue réformée », préfigurant d'ailleurs l'abrogation à venir de l'Edit de Nantes par celui de Fontainebleau, en octobre 1685. Le tout visant bien entendu, au-delà de la logique de centralisation et de rationalisation administrative et économique colbertienne, à affirmer la souveraineté royale sur ces territoires, récemment rattachés au domaine de la Couronne (1674) pour mettre fin aux errements des régimes juridiques précédents (régimes des compagnies coloniales puis des « seigneurs-propriétaires »).
 
Cet objectif à la fois politique et gouvernemental se discerne en effet à travers la réglementation détaillée des rapports entre maîtres et esclaves, qui révèle la volonté du pouvoir royal d'assujettir l'âme et le corps des esclaves, mais aussi d'encadrer et même de limiter le pouvoir des maîtres. L'esclave doit en principe être baptisé et catéchisé dès son arrivée dans la colonie (art. 2). Il peut se marier religieusement selon les mêmes formalités que celles du droit commun, y compris avec une personne de condition libre (art. 9, 10, 13). Il jouit du repos dominical (art. 6), de la sépulture « en terre sainte » (art. 14) et ne doit pas être pas commandé par un non catholique (art. 4). La loi royale oblige son maître à le nourrir (art. 22) et à le vêtir (art. 25), même en cas d’incapacité de travailler (art. 27), et à ne pas le mettre à mort ou lui infliger de traitements « barbares et inhumains » (art. 26, 42, 43). En retour,  l'esclave est soumis à un statut social héréditaire (par voie matrilinéaire - art. 13), discriminatoire et humiliant au sein de la société coloniale, destiné à garantir sa soumission. L'ordonnance leur interdit de porter des armes (art. 15), de s’attrouper (art. 16), de faire du commerce sans la permission de leur maître (art. 18 et s.). Elle punit sévèrement, et même de mort le cas échéant, les vols (art. 35 et 36), l’agression contre des personnes libres (art. 34) - et plus durement encore contre les maîtres ou leur famille (art. 33) - ainsi que la fuite ou marronnage (art. 38). De plus, l’esclave est légalement considéré comme propriété de son maître et soumis à sa volonté. Il ne peut rien posséder en propre et il fait partie du patrimoine domestique (art. 28). Le maître peut le punir de châtiments (de « cordes ou de verges ») en cas de désobéissance (art. 42), et peut donc également le louer, le prêter ou le revendre. Sa propriété est transmise héréditairement, en principe à titre de bien meuble, mais le plus souvent, en pratique (il s'agit là des « esclaves de culture », rattachés au domaine agricole, qui constituent la majorité de la population servile), à titre d'immeuble par destination  (art. 44 et s.).  L'ordonnance avalise cependant les situations de confiance entre maître et esclave en prévoyant que celui-là peut confier à celui-ci la gestion de sa boutique et/ou d'un négoce (art. 29), et même en faire son légataire, son exécuteur testamentaire ou encore le tuteur de ses enfants (art. 56). Enfin, l’affranchissement, qui résulte soit des cas précédents, soit du mariage avec un homme libre concubin (art. 9), soit de la volonté expresse du maître sans autres formalités administratives (art. 55), permet à l’esclave émancipé de jouir « des mêmes droits » que les « sujets naturels » du royaume (art. 57 et 59). L’essentiel de ces dispositions sera repris dans l'édit de décembre 1723 sur l’île Bourbon (future Réunion) et l’île de France (île Maurice), ainsi que dans celui de mars 1724 sur la Louisiane, aussi appelés « Code Noirs ».
 
Par la suite, l'ordonnance de 1685 sera complétée par une importante législation coloniale postérieure (l'expression « Code Noir » en viendra d'ailleurs à désigner également, au XVIIIe siècle, l'ensemble de cette législation, compilée dans des recueils privés comme celui de Prault, qui finira par atteindre plusieurs centaines de pages à la fin du siècle (voir doc. 4), mais aussi par d'abondantes réglementations locales, qui entrent parfois en contradiction avec le texte de 1685 (voir par ex. l'étude sur l'ordonnance locale de 1783 citée infra). Le droit légal de l’affranchissement et la condition juridique des affranchis et de leurs descendants (ou « libres de couleur ») seront durcis, jusqu’à infliger à ces derniers un sévère régime discriminatoire. La barrière raciale se verra globalement renforcée, jusqu'à devenir la structure sociale principale des sociétés coloniales esclavagistes d'Amérique. La condition servile en elle-même sera en revanche « adoucie » par des ordonnances royales de 1784, 1785 et 1786, puis surtout par les réformes générales de 1845 (loi Makau) et de 1846, qui semblent n'avoir pas été globalement appliquées en pratique. L’ordonnance ou édit de 1685 restera globalement en vigueur jusqu’en 1848. En pratique, toutefois, l'ensemble de cette législation, et même les réglementations locales, restèrent largement inappliquées, du fait de la résistance des maîtres et des esclaves, ainsi que de l’impuissance, de la négligence, et parfois de la complicité des autorités coloniales. De véritables coutumes et usages spécifiques s'étaient en effet constituées dans chaque colonie, et qui restent d'ailleurs encore à explorer davantage par les historiens.
 
 
Publié en novembre 2023
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