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Sur le terrain avec les Autochtones de la Nouvelle-France (1534-1763)

Dès les premiers contacts de Christophe Colomb avec Hispaniola, la construction discursive des Amérindiens s’installe au cœur des relations du Nouveau Monde

À la fois enjeu de savoir et clé de voûte de la colonisation, elle s’exprime dans plusieurs langues. Malgré son installation tardive au Canada, la France occupe une place de choix dans ce vaste corpus.

16e siècle : premiers contacts rapportés

Précédé par des morutiers anonymes, tant français que basques, puis par Verrazzano en 1524, Jacques Cartier devait avoir fréquenté le golfe Saint-Laurent avant d’obtenir sa charge royale en 1534. Implicite dans ses trois Relations, cette familiarité transparaît notamment dans son rapport allusif aux Autochtones. Tantôt qualifiés de « sauvaiges » ou de « gens du pays », tantôt de « Canadians », ils sont décrits sur un ton factuel et presque entendu. « Effarables », certes, mais de belle corpulence, peints mais rarement nus, ils pêchent et chassent avec aisance. Cherchant l’amitié de l’équipage, ils montrent « des peaulx sur des bastons », si bien que certains échangent toutes leurs possessions contre des « ferremens ». Confiant, Cartier en enlève même quelques-uns (dont Donnacona et ses deux fils en 1536) pour les ramener en France et, conformément aux usages diplomatiques, en faire des interprètes.

Voyageur occasionnel, mais surtout cosmographe de cabinet, André Thevet se montre plus disert dans les Singularitez de la France Antarctique. Évoquant de prétendues conversations avec Cartier, il vante la bonté des « barbares de ce païs » et souligne la diversité des peuples de la vallée du Saint-Laurent. Doté d’une prose agile, il brosse un portrait flatteur des Canadiens : obéissants et « amiables », serviables et généreux, courageux, robustes et vaillants, ils habitent en « communité », ne sont pas velus et « se sçavent fort bien couvrir de peaux de [b]estes sauvages ». En somme, s’ils diffèrent des Français, ce ne sont pas pour autant des monstres.

17e siècle : constitution d’un savoir proto-ethnographique

Infatigable voyageur, fondateur de Québec et homme-orchestre des premières années de la Nouvelle-France, Samuel de Champlain est aussi un prolifique auteur. Que ce soit dans Des Sauvages (1603) ou ses derniers Voyages (1632), il fait la part belle aux fragiles alliances franco-amérindiennes, qui constituent la pierre d’assise de la colonie. Algonquins et Montagnais, Hurons et Iroquois, tous y figurent. Dans l’esprit du Concile de Trente, comme le rapporte le jésuite Paul Lejeune dans sa Relation de 1633, Champlain aurait même dit à l’un de leurs chefs : « nos garçons se marieront à vos filles, & nous ne serons plus qu’un seul peuple ». Par son ambition et sa portée, l’œuvre de Champlain marque le 17e siècle canadien et ses aventures hantent tous les écrits de la Nouvelle-France, tant missionnaires que profanes (Lescarbot, Radisson).

Rebattu à l’envi, le « naturel des Sauvages » ne suscite pas les mêmes espoirs chez tous ceux qui les fréquentent sur le terrain. Pour Lejeune, connaissance et patience sont les clés de leur conversion : « on instruira les peres par le moyen des enfans », « qui sont bien éveillez et fort gentils », écrit-il en 1632, avant de rater son hivernement auprès des Innus (Montagnais) deux ans plus tard. D’une richesse inouïe, les observations consignées dans les milliers de pages des Relations des Jésuites de la Nouvelle-France (1632-1672) témoignent de cette volonté. Mœurs, coutumes, croyances, langues : rien ne leur échappe. Plus personnel dans son Grand voyage du pays des Hurons, le récollet Gabriel Sagard admire la grande générosité de « ses Hurons », observant qu’à l’égard de leurs morts, « ils surpassoient la pieté des Chrestiens ». Alors que la plupart des religieux du 17e siècle dissertent sur les qualités morales de leurs hôtes, le jésuite Louis Nicolas choisit plutôt, comme Lafitau après lui, d’en faire des informateurs dans son Histoire naturelle des Indes occidentales (ou Codex canadensis), en plus d’en tirer (fait rarissime) une vingtaine de dessins à la plume.

18e siècle : du philosophe au guerrier allié

Publiées à La Haye (1702-1703) et largement diffusées, les œuvres viatiques du baron de Lahontan inspirent profondément le discours européen sur l’Amérique et ses habitants. Si les Nouveaux voyages et les Mémoires de l’Amérique septentrionale sont abondamment cités et démarqués, de Thomas Corneille à Chateaubriand, ou ridiculisées par l’historien Charlevoix, c’est surtout aux Dialogues avec un Sauvage que Lahontan doit sa fortune littéraire. Avec la figure d’Adario, un Huron philosophe, il crée un bon Sauvage sans « tien, ni mien, ni loix, ni Juges, ni Prestre ». Qu’il s’appelle Arlequin sauvage, Olivette, Jao, Baroco ou l’Ingénu, Adario et ses idées libertines traversent le siècle des Lumières.

La présence du bon Sauvage dans la fiction ne tarit pas l’intérêt des voyageurs pour la Nouvelle-France et ses Autochtones. S’appuyant sur des mémoires manuscrits, dont ceux du coureur de bois Nicolas Perrot, Bacqueville de La Potherie consacre une large part de son Histoire de l’Amérique septentrionale aux acteurs amérindiens, dont un volume entier à l’histoire de Iroquois jusqu’à la Grande Paix de Montréal (1701). Avec leurs Lettres édifiantes et curieuses (1702-1776), les Jésuites s’éloignent quant à eux du ton apostolique des relations annuelles. Tantôt elles donnent des nouvelles de la Louisiane des Natchez, tantôt de divers théâtres américains de la Guerre de Sept Ans [ici, vol.6, non disponible sur Gallica; chercher auprès de vos partenaires]. Or, les Autochtones forment la majorité des troupes coalisées contre les Anglais, au grand dam de Montcalm et Bougainville. Comme la plupart des témoins européens du conflit, ils admirent ces guerriers redoutables, mais abhorrent leur soif de liberté et leurs « festins de guerre ».

Ainsi, des voyages de Cartier à la cession du Canada au Royaume-Uni en 1763, c’est un volumineux chapitre de la France en Amérique qui s’est constitué. Riche et sous-exploité, il permet d’appréhender les représentations successives des Autochtones de la Nouvelle-France en fonction des besoins et des sensibilités. D’allusives et distantes, elles aspirent à l’exhaustivité au 17e siècle, avant de se diffracter sous l’effet des Lumières.

 

 

 

Publié en mai 2021

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