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Compagnies de commerce

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Depuis la Compagnie de Saint-Christophe (1626-1635) jusqu’à la dernière Compagnie des Indes (1785-1793), de nombreuses compagnies françaises jouiront de l’accès privilégié à des commerces maritimes pendant l’Ancien Régime.

Ces privilèges seront tantôt restreints à un objet particulier, ou à une région circonscrite, telle la Compagnie des Îles d’Amérique (1635-1651); tantôt ils donneront accès à des espaces quasi illimités et à une vaste gamme de produits. Hormis la dernière Compagnie des Indes, établie en 1785, ces compagnies disposeront non seulement de privilèges sous forme de commerce exclusifs et d’exemptions fiscales, mais aussi de pouvoirs régaliens et de responsabilités colonisatrices. Dans toute leur variété, les compagnies commerciales participent à la construction d’un empire français ultramarin, contribuant aussi à la mobilité du capital et à la violence qui le sous-tendent. Leurs privilèges exclusifs sont souvent contestés ou contournés par la contrebande.

Dans la France de l’époque moderne, une « compagnie » est une association érigée en personne juridique avec responsabilité pour le « bien public » et droit de fixer ses règles internes, en vertu d’actes royaux, dont des lettres patentes. Qu’elle soit religieuse, universitaire ou autre, une telle « corporation » peut entre-autres emprunter, posséder, ou intenter des procès.  Des compagnies dont la vocation était de faire le commerce maritime voient le jour dès le XVIe siècle. Là où une société commerciale pouvait réunir quelques individus et leurs capitaux pour être dissoute après une seule expédition de négoce, une compagnie pouvait réunir plus d’investisseurs pour une période plus longue, voire indéterminée. Sous forme d’actions, leurs capitaux peuvent être transférés ou retirés sans mettre en péril l’entreprise. Négociants y voient un mode d’association mieux adapté aux risques et périls de voyages de long cours, surtout lorsqu’il s’agissait d’accéder à de nouvelles routes commerciales. Souverains y voient une source de pouvoir et d’argent.  Dans l’Europe du Nord-Atlantique, les grandes compagnies deviennent dès le début du XVIIe siècle de véritables instruments de guerre commerciale, parfois de guerre tout court. Fortes des privilèges octroyés par leurs souverains, elles contestent les prétentions ibériques à un vaste monopole tant dans les Amériques qu’en Afrique et à l’Est du Cap de Bonne-Espérance. 

Convaincus du lien entre puissance étatique et essor commercial, les autorités françaises s’inspireront d’ambitieuses matrices anglaises et néerlandaises. Le Cardinal de Richelieu, érigé en 1626 « Grand maître, chef et surintendant de la navigation et du commerce de France » fera traduire les chartes de la English East India Company, fondée en 1600, et surtout de la Compagnie des Indes orientales néerlandaise (VOC), qui réunit en 1602 plusieurs compagnies existantes. Chacune obtient le privilège « national » d’accéder exclusivement à de vastes espaces (« depuis le Cap de Bonne-Espérance jusqu’au Détroit de Magellan ») dans lesquels circulent déjà des marchands portugais. Pour écarter ses rivaux et pour se faire accepter par les pouvoirs politiques de l’Océan indien, la VOC obtiendra des États généraux néerlandais le droit de confisquer des vaisseaux étrangers, de faire la guerre et la paix, de former des colonies et même de frapper de la monnaie. En 1621, les néerlandais créeront une compagnie semblable pour l’espace atlantique. Entre 1623 et 1636, ses principaux profits découleront de la saisie de 545 vaisseaux ibériques.

La Compagnie des Cent-Associés (1627-1663) sera la première grande compagnie à charte française pour le commerce avec les Amériques. Comme toutes les autres, elle n’aura pas comme seul objectif le profit et sera un instrument d’expansion impériale. En tant que corporation, elle doit contribuer au « bien public ». En pleine guerre contre le royaume ibérique, avec son vaste empire colonial, lui incombera la tâche de peupler à ses frais des habitations françaises et de faire des autochtones des catholiques; ses privilèges comprennent la « pleine propriété et seigneurie » de tout le « pays de la Nouvelle-France depuis la Côte de la Floride jusqu’au cercle arctique, et depuis Terre neuve jusque tous les nouveaux endroits où voyageront les français. » En perpétuité, elle jouira du commerce exclusif des fourrures, et pour une durée de quinze ans, celui de « tout autre commerce », avec l’exception importante (et qui s’avèrera permanente) des pêcheries. Ses droits régaliens seront importants, mais moindres que ceux de la VOC ou de la Compagnie de la Virginie. Si elle peut construire des forts, exercer de la justice seigneuriale et proposer des gouverneurs, elle demeure fermement sous la gouverne du roi, et ne peut déclarer la guerre ou négocier des alliances.

Sous le règne de Louis XIV, 39 compagnies de commerce verront le jour. Fondées en 1664, les compagnies des Indes orientales et occidentales sont les plus fortement capitalisées. Elles contribueront à asseoir une présence française dans des circuits mondiaux de captifs africains, de textiles asiatiques, d’espèces métalliques ibériques, de sucre, de tabac, et de café. Avec un capital de 15 millions de livres, la Compagnie des Indes orientales sera la seule à perdurer au-delà du règne de Louis XIV. La compagnie des Indes occidentales, avec un capital de 5,5 millions de livres, dont environ la moitié sera fournie par la couronne, et le reste par des officiers, a pour objectif essentiel de chasser les néerlandais du commerce des Antilles. Elle se fait accorder en toute « justice, propriété et seigneurie » l’ensemble des possessions françaises des Amériques et obtient le droit de mener le commerce exclusif pendant 40 ans dans les « Îles et terres fermes de l’Amérique, » y compris Cayenne et ses environs, jusqu’alors entre les mains de la Compagnie de la France equinoxiale; elle récupère aussi les droits de la Compagnie du Cap Vert et du Sénégal, qui disposait d’un commerce exclusif depuis le Cap Vert jusqu’au Cap de la Bonne-Espérance. La Compagnie obtient entre autres le droit d’établir des conseils souverains. L’édit de création impose aussi la Coutume de Paris à travers ses possessions. Elle sera dissoute en 1674. Certains de ses privilèges, dont ceux associés à la Nouvelle-France, seront récupérés par le nouveau Domaine d’Occident. Le commerce antillais sera ouvert aux négociants privés moyennant un tarif. Le commerce africain, y compris la traite des esclaves, sera d’abord accordée à une nouvelle incarnation de la Compagnie du Sénégal, puis sera accessible aux négociants privés.  

Les compagnies atteignent une brève apothéose sous la régence. La Compagnie des Indes de John Law réunira « en perpétuité » toutes les grandes compagnies ultramarines françaises: la Compagnie d’Occident, fondée en 1717, et ayant le monopole pendant 25 ans du castor canadien et du commerce louisianais, sera peu à peu fusionnée avec la Compagnie de Saint-Domingue (qui depuis 1698 peut seule approvisionner la colonie en esclaves, et doit développer le sud-ouest de l’Île, adonné à la contrebande), la Compagnie du Sénégal, la Compagnie d’Afrique (avec postes à Alger et Tunis), la Compagnie de la Chine, et la Compagnie des Indes Orientales.  Soudée même à la nouvelle Banque royale, la compagnie géante acquiert les fonctions fiscales et monétaires de l’État: le droit exclusif de prélever impôts directs et indirects, de frapper de la monnaie métallique, ou d’émettre de la monnaie de papier. En Louisiane, comme dans les « Indes orientales », elle s’occupe directement de la gouvernance. Elle tente de transformer la vallée du Mississippi en société de plantation. La moitié des colons français et allemands recrutés par la Compagnie mourront. Le taux de mortalité sera encore plus élevé parmi les esclaves.

La Compagnie perpétuelle des Indes de John Law sera dissoute en 1721, suite à une chute de la valeur de ses actions. Une variante réduite perdurera jusqu’en 1769. Son principal commerce sera asiatique, mais elle garde des commerces atlantiques, dont le monopole sur la vente du tabac en France et le celui de l’exportation des peaux de castor canadien. Elle obtient aussi le droit exclusif d’importer des textiles anglais essentiels au commerce avec les autochtones. Elle conserve la propriété de la Louisiane jusqu’au lendemain de la Guerre des Natchez. La colonie sera rétrocédée à la couronne en 1731. La Compagnie des Indes conserve aussi des postes sur les côtes de l’Afrique de l’Ouest.  Ses monopoles sur la traite des esclaves et sur l’approvisionnement de Saint-Domingue seront vivement contestés, notamment pendant une révolte de 1722-24. 

 

Publié en mai 2021

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