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John Law
Pour redresser un royaume de France en piteux état à la mort de Louis XIV, l’écossais John Law crée la Compagnie d’Occident, qui doit à la fois soutenir le commerce et les colonies et débarrasser l’État du fardeau de sa dette.
Lorsque le Roi Soleil s’éteint en septembre 1715, il laisse son royaume dans une situation délicate. Les finances publiques, le commerce maritime et les colonies ont été très affectées par la guerre de succession d’Espagne (1701-1713), conflit qui a démontré que la balance des pouvoirs en Europe commence à pencher en faveur de la nation qui combine succès coloniaux et gestion efficace de sa dette, l’Angleterre.
Pour faire face à cette rivalité et redresser la France, le Régent Philippe d’Orléans (1674-1723) s’adjoint les services de l’aventurier et économiste écossais John Law (1671-1729). En 1716, ce dernier crée une banque et un papier-monnaie, puis en 1717 la Compagnie d’Occident, société par actions qui doit coloniser la Louisiane et éponger la dette de l’État.
La Louisiane fantasmée
La Louisiane désigne à l’époque un vaste espace allant des Grands Lacs d’Amérique du Nord jusqu’à l’embouchure du Mississippi. Grâce aux expéditions de Pierre Le Moyne d’Iberville (1661-1706), ce territoire mal connu est cartographié par Nicolas de Fer et Guillaume Delisle, ce qui n’empêche pas certains mythes de persister, comme celui de l’existence d’une « Mer de l’Ouest » qui permettrait de gagner le Pacifique par le Missouri. La Louisiane française est peu peuplée et mal approvisionnée sous le régime d’Antoine Crozat, jusqu’à ce qu’en 1718 la Compagnie d’Occident en récupère l’exploitation. Pour susciter l’intérêt vis-à-vis de cette région et de ses propres activités, l’entreprise se lance dans une intense propagande : des textes présentent la Louisiane comme un paradis terrestre ; de nouvelles cartes, faisant état de richesses fabuleuses, sont produites par Delisle et de Fer, ainsi que des gravures, comme celle de François-Gérard Jollain avec ses indiens pacifiques, un grand négoce et une ville fortifiée dans une scène de pure fiction. L’activité de la Compagnie se développe et beaucoup de particuliers achètent ses actions contre les titres de la dette française qu’ils possèdent, ce qui soulage l’État en diminuant son fardeau financier.
Le Léviathan économique
La Compagnie d’Occident obtient en septembre 1718 le monopole d’importation, de transformation et de vente du tabac en France, une activité très lucrative. Elle absorbe également d’autres compagnies de commerce, comme celles du Sénégal et de Guinée, qui pratiquent la traite négrière, ainsi que celles des Indes orientales et de la Chine. Cet immense conglomérat prend en mai 1719 le nom de Compagnies des Indes et Law décide en août de la même année de convertir l’intégralité de la dette publique en actions de l’entreprise. Ce n’est donc plus l’État royal mais cette dernière qui a désormais en charge sa gestion. La Compagnie obtient d’autres prérogatives régaliennes, comme le monopole de la fabrication des monnaies et le recouvrement des impôts indirects. Elle est alors au cœur d’une stratégie commerciale et impériale : des dizaines de navires et plusieurs milliers de colons arrivent en Louisiane ; le coton, le tabac et l’indigo se développent sur des plantations esclavagistes au sud, tandis qu’au nord des fermiers produisent des céréales et que des mineurs exploitent les gisements de galène (plomb et argent) du pays des Illinois. La Compagnie fait également venir des ouvriers qualifiés d’Angleterre pour construire et développer des manufactures et des arsenaux. Elle contrôle certains prix, réquisitionne des navires et tend à se substituer à l’État royal, les corps intermédiaires et les ministères n’assurant plus qu’un rôle de figuration.
L’effondrement final
Mais alors que John Law est devenu Contrôleur général des finances en janvier 1720, autrement dit principal ministre, les choses s’emballent : une intense spéculation propulse les actions de la Compagnie, d’une valeur initiale de 500 livres, à plus de 10 000. De nombreux actionnaires décident alors de convertir leurs titres financiers en espèces, ce qui a pour conséquence de vider les caisses de la banque et de faire sortir les métaux précieux du royaume. Pour tenter de mettre un terme au phénomène, John Law et le Régent décident de diminuer arbitrairement le prix des actions de la Compagnie. La panique s’empare des spéculateurs. À l’été 1720 le prix des actions s’effondre, les billets de banque sont démonétisés, les instruments classiques de la dette publique reviennent. Law, plusieurs fois menacé physiquement et isolé politiquement, quitte le royaume en décembre 1720. Il n’y reviendra plus et mourra à Venise en 1729. La Compagnie des Indes, quant à elle, perd ses activités régaliennes et passe sous contrôle privé dans les mois suivants, mais continue à assurer une partie du commerce colonial français, notamment en Louisiane, jusqu’en 1769.
Publié en mai 2021