bloc_article_content
L’immigration française au Canada (1760-1914)
Au début du XVIIe siècle, des Français commencent à immigrer au Canada. Jusqu’à la conquête anglaise de 1760, ils seront 35 000 à le faire. Moins de la moitié peut-être s’installent à demeure. De ce nombre, environ 9000 ont laissé une descendance qui compte aujourd’hui quinze millions de personnes sur le continent nord-américain.
Pendant le siècle suivant, quelques milliers d’immigrants français seulement se dirigent vers le Canada, s’établissant surtout en Ontario comme cultivateurs. Ils viennent des zones germanophones de l’est de l’Hexagone. Les autres choisissent le Québec. Originaires de toutes les régions françaises, ils sont artisans, commis et agriculteurs. Bon nombre sont d'anciens soldats. On recense aussi des instituteurs, des artistes, des avocats et des médecins, professions très en demande dans des sociétés peu alphabétisées. En Colombie-Britannique, on trouve aussi des aventuriers qui sont attirés en 1858 par la découverte d’or. Ils forment une petite communauté à Victoria, sur l’île de Vancouver, quoique la très grande majorité repartira. À l'autre bout du continent, quelques centaines de marins et de pêcheurs français désertent leurs navires et s’intègrent aux populations locales.
Au Québec le quart des Français sont des ecclésiastiques. Ainsi, 51 prêtres réfractaires immigrent au Canada, dont 40 en permanence. C'est peu, mais ils jouent un rôle capital, en augmentant de 25 % les effectifs du clergé et en imprégnant l'Église canadienne d'une nouvelle vigueur. Ce ne sont pas les seuls Français à venir au Canada pendant la Révolution et l’Empire. En 1798, le comte Joseph-Geneviève de Puisaye et une quarantaine de compatriotes fondent une colonie d’aristocrates en Ontario. Peu préparés à la vie de pionniers, ils s’en retournent après quelques années, voire quelques mois.
Les immigrants français entretiennent des relations étroites avec les populations locales, particulièrement les Acadiens et les Canadiens français. Ils prennent femme et ils occupent des emplois symboliquement importants. Les lettrés sont appréciés de la bonne société. Quant aux prêtres, ils sont en général estimés de leurs évêques, des autorités britanniques et de leurs ouailles. On observe cependant des dissensions entre ecclésiastiques français et canadiens. Parmi ces derniers, plusieurs craignent en effet que les émigrés ne leur soient préférés pour les bonnes cures et les postes administratifs.
En 1870, une nouvelle vague migratoire s’amorce et se poursuit jusqu’en 1914. Environ 50 000 Français traversent alors l’Atlantique à destination du Canada ; la moitié d’entre eux y restent. On les retrouve dans toutes les provinces et territoires, mais en particulier dans la prairie de l’Ouest, nouvellement ouverte à la colonisation. Un autre bloc important choisit le Québec, essentiellement Montréal. Le Canada apparaît alors comme une terre promise à beaucoup de Français, qui viennent y chercher de meilleures conditions de vie et un milieu favorable à l’épanouissement de leur catholicisme. Ils sont encouragés par des agents d’immigration canadiens, des membres du clergé et un réseau français d’« amis du Canada ».
La migration continue donc d’entretenir une relation étroite avec la religion catholique. Les politiques des gouvernements républicains incitent de nombreux Français à émigrer vers un pays perçu comme étant tolérant au point de vue religieux. Ce lien est particulièrement fort dans la Prairie, où des colonies catholiques voient le jour, mais même dans les grands centres de l’est du Canada, la très grande majorité des Français sont catholiques. En outre, de nombreux prêtres, religieuses et religieux immigrent. Dans la seule province de Québec, ils sont 2 600, ce qui représente le cinquième des Français. La plupart s’installent à demeure, certains y devenant des figures très connues.
C’est à Montréal que se trouve la plus grande et la plus diversifiée des communautés françaises du pays. C’est là que la fête du 14 Juillet a le plus d’ampleur et que sont mises sur pied des institutions communautaires n’ayant pas leur équivalent ailleurs. Cependant, tout n’est pas union et harmonie. Dans la métropole comme dans la Prairie, les immigrants ont amené avec eux des points de vue conservateurs ou républicains arrêtés.
Nonobstant leurs appartenances idéologiques, les immigrants demeurent attachés à la mère patrie, où ils ont laissé famille et amis, avec qui ils entretiennent des relations épistolaires suivies. En 1870-1871, ils répondent avec enthousiasme à l'appel des consuls pour venir en aide aux victimes du conflit franco-prussien et contribuer financièrement aux réparations de guerre. Quarante ans plus tard, leur patriotisme se manifeste encore plus ardemment lorsque la France appelle ses ressortissants sous les drapeaux ; du Canada, cinq mille Français s’empressent de traverser l’Atlantique.
Pendant le siècle et demi qui sépare la conquête britannique de 1760 et le déclenchement de la Première Guerre mondiale, beaucoup de Français partagent des espaces ruraux et urbains avec d’autres francophones. Leur présence contribue ainsi au maintien et au développement de la francophonie canadienne. Sur le plan démographique, l’effet est limité, tant le pays est vaste et les immigrants dispersés. À l’échelle locale, toutefois, leur présence compte, en permettant souvent l’essor de petites communautés francophones. Mais leur impact résulte moins de leur nombre que de la contribution qu’ils peuvent faire dans certains domaines.
Publié en mai 2021