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Le grand dérangement
En 1755, les Acadiens sont expropriés par les Britanniques. Descendant des Français peuplant « l’Acadie » découverte par Samuel de Champlain au siècle précédent, ils sont envoyés vers les autres colonies d’Amérique, en France et aux Caraïbes. L’expression « Grand Dérangement » désigne cet évènement historique.
L’allégeance
A la signature du traité d’Utrecht (1713) mettant fin à la guerre de Succession d’Espagne (1701- 1714), les Britanniques s’emparent de la colonie française d’Acadie et la renomment Nouvelle-Écosse. Ils tentent d’assimiler leurs nouveaux sujets catholiques de langue française, les Acadiens, en les forçant à prêter un serment d’allégeance à la Couronne britannique. Certains l’acceptent mais une majorité d’entre eux lui préfèrent la « neutralité » vis-à-vis des pouvoirs impériaux.
En 1755, à la veille d’une nouvelle guerre, dite de Sept Ans (1756-1763), entre la France et la Grande-Bretagne, les Britanniques prévoient la conquête de deux forts français : le fort Saint-Frédéric sur le lac Champlain et le fort Beauséjour, en Nouvelle-Écosse. Du 12 au 16 juin 1755, ils assiègent ce dernier. Plus de 250 Acadiens participent à sa défense aux côtés des troupes françaises. Pour les Britanniques, cette participation acadienne est un acte de trahison qui s’ajoute aux ambivalences politiques dont ils ont fait preuve. Ils décident de leur dissémination dans les autres colonies d’Amérique. Le 11 août 1755, le colonel John Winslow ordonne la confiscation de leurs biens et impose leur déportation.
L’arrivée dans les colonies d’Amérique du Nord
6301 Acadiens s’échouent sur les rivages des colonies nord-américaines sur une population estimée à 15 000 personnes.
En octobre 1755, 735 Acadiens arrivent dans le port de Boston. De novembre 1755 à mai 1756, six autres bateaux s’y succèdent. La colonie voisine du Connecticut accepte environ 700 Acadiens. Ces « réfugiés » sont bien traités par ces deux colonies qui prennent en charge leurs premiers besoins.
Les colonies de New York et de Pennsylvanie accueillent respectivement du mois de décembre 1755 à avril 1756, 344 et 454 Acadiens en provenance de Chignectou, Pisiquid et Grand-Pré. Ces derniers restent confinés dans leurs bateaux jusqu’à ce que les gouverneurs locaux décident de leur procurer des vivres. Ils séparent les familles et les dispersent dans les campagnes. Dans les colonies de la Chesapeake, 930 Acadiens reçoivent un traitement similaire.
Dans la colonie de Géorgie, malgré le refus du gouverneur John Reynolds (1754-1757), 400 Acadiens arrivent en décembre 1755 et restent sans aucune aide pendant de longues semaines. Reynolds se résout l’année suivante à leur obtenir dix bateaux et une « lettre de bonne conduite » pour qu’ils quittent la colonie dès mars 1756.
La Virginie refuse l’accueil de 1000 déportés et les envoie vers la Grande-Bretagne où ils arrivent très affaiblis en 1756. Cette difficile première dispersion des Acadiens dans l’Atlantique nord se termine par le naufrage du Duke Williams commandé par le capitaine William Nicholls. Il coule au large des côtes françaises avec à son bord 360 Acadiens en provenance de l’île Saint-Jean.
De nombreux Acadiens tentent de fuir ces colonies où ils sont appauvris et vulnérables. Certains tentent de repartir en Nouvelle-Écosse, d’autres rejoignent le Québec où ils sont reçus par des missionnaires catholiques.
Dans l’empire français
Au vu des conditions précaires des Acadiens réfugiés depuis 1756 dans les ports britanniques de Brighton, Bristol et Plymouth, la France propose d’accueillir 3000 Acadiens. De 1766 à 1791, devant l’afflux de réfugiés, des projets d’installations voient le jour sous les recommandations du principal ministre d’État, Étienne-François de Choiseul. 363 Acadiens sont installés à Belle-Ile-en- Mer et 300 autres partent pour le Poitou, dans la seigneurie de Châtellerault.
Au lendemain du traité de Paris, les Acadiens incarnent les colons idéaux censés développer la France d’outre-mer. Alors que certains d’entre eux errent dans les ports de Nantes, Saint-Malo, La Rochelle, Cherbourg et Boulogne-sur-Mer, des « recruteurs » de main d’oeuvre acadienne leur proposent des passages vers les colonies caribéennes. Ils sont financés par l’État ou propriétaires de concessions terriennes aux colonies.
Le gouverneur de la colonie de Guyane, Étienne-François Turgot, et son intendant, Jean-Baptiste Thibault de Chanvalon, promettent aux Acadiens la concession de petits terrains.
En juin 1764, le gouverneur de Saint-Domingue, Charles Henri d’Estaing, invite tous les Acadiens dispersés en Amérique du Nord à peupler son territoire. Plus de 400 Acadiens répondent à son appel en janvier de l’année suivante. D’Estaing leur promet des terres et une solde pendant les premiers mois de leur installation.
Trois vagues migratoires se succèdent sur l’île de Saint-Domingue, deux en 1764 en provenance de Halifax (comprenant 600 Acadiens) et Charleston (comprenant 300 Acadiens), puis une en provenance de New York en 1765 (comprenant 500 Acadiens) totalisant 1400 personnes. Toutes n’arrivent pas à destination et l’on déplore de nombreux décès. En mars 1766, on compte 395 colons acadiens sur l’île. Le gouverneur d’Estaing choisit de les installer aux côtés de colons allemands au Môle-Saint-Nicolas et à Bombardopolis. Ces deux singulières expériences sont expliquées dans la correspondance du gouverneur d’Estaing, dans les journaux de son assistant, Daniel Lescallier, et de l’intendant René Magon de la Villebague (1763 à 1766) ainsi que dans la correspondance de l’écrivain de la marine Bernard de Saltoris.
Les Acadiens décèdent souvent de maladies tropicales et d’épuisement. Les tentatives de colonisation des Antilles françaises par les populations acadiennes ont donc abouti à des échecs lourds en pertes humaines et économiques.
En 1762, l’explorateur Louis-Antoine de Bougainville présente à Choiseul un projet de colonisation des îles Malouines. En février 1763, deux bâtiments, le Sphinx et l’Aigle réunissent 168 personnes au départ de Saint-Malo dont une quarantaine de réfugiés acadiens qui resteront dans ces îles jusque 1772.
La Louisiane
En 1765, un petit groupe d’Acadiens conduit par Joseph Broussard Beausoleil s’installe sur les rives du Mississippi en Louisiane. En France, les Acadiens restent fortement divisés sur ces projets de départs en Louisiane. Un recruteur français, Henri Peyroux de la Coudrenière, reçoit de la part du Royaume d’Espagne une commission importante pour les convaincre de peupler la Louisiane espagnole. En 1783, après de nombreux échecs de réinstallation, le gouvernement français accepte l’émigration des Acadiens en Louisiane. Au cours de l’été 1785, sept navires sous mandat espagnol, partent du port de Nantes pour la Nouvelle-Orléans avec 1600 Acadiens. Une fois sur place, la plupart s’installe le long du bayou Lafourche ainsi que dans les prairies du Sud-Ouest. Ils génèrent des communautés encore aujourd’hui unies par la mémoire du Grand Dérangement.
Publié en mai 2021