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L’abbé Grégoire, son combat contre l’esclavage et le préjugé de couleur
En octobre 1789, est publié le Mémoire en faveur des gens de couleur ou sang-mêlés de Saint-Domingue, et des autres iles françaises de l’Amérique, adressé à l’Assemblée nationale. C’est la première charge publique du curé d’Embermesnil, député aux Etats-Généraux, puis à l’Assemblée Nationale Constituante, contre le « préjugé de couleur », cet édifice colonial ségrégationniste qui restreint, pour les populations libres de couleur, affranchis ou nés libres, noirs et métissés, l’accès à l’espace public et aux charges publiques.
A cette époque, Grégoire ne fait pas encore partie de la Société des Amis des Noirs (il n’est admis comme membre honoraire que le 4 décembre 1789), mais il a été largement sensibilisé à la cause abolitionniste par son ami Lanjuinais. Comme membre du comité de vérification des pouvoirs des élus à la Constituante, Grégoire s’élève contre la prétention des colons blancs à représenter exclusivement la population des colonies. Il revient sur le sujet le 12 octobre 1790 avec la Lettre aux philanthropes sur les malheurs, les droits et les réclamations des gens de couleur de Saint-Domingue et des autres îles françaises de l’Amérique.
Outre l’aspect conjoncturel, qui fait que la question de l’égalité des droits politiques (et singulièrement le droit de vote) entre personnes libres, indépendamment de la généalogie des ancêtres, soit devenue le sujet principal qui transforme les conflits localisés en guerre civile, dans les territoires français des Antilles, il y a un intérêt stratégique. Ce sont les libres de couleur qui sont désormais les acteurs majeurs de l’évolution des sociétés coloniales, alors que la question de l’abolition graduelle de l’esclavage, qui était la priorité du premier âge des Amis des Noirs, était plutôt abordée sous l’angle du compromis entre puissances impériales, et de la conversion pacifique des propriétaires à la plus grande efficacité du travail libre par rapport au travail servile.
Le combat pour les droits civiques et politiques des gens de couleur libres est ainsi devenu le vecteur du changement révolutionnaire. A l’Assemblée, Grégoire se fait le champion de la cause égalitaire dans le grand débat de mai 1791. Une première brèche est ouverte dans l’édifice ségrégationniste, lorsque les droits politiques sont reconnus aux « sang-mêlés nés de père et de mère libres ». L’avancée est ténue, mais le symbole est net : Grégoire salue comme tel le décret du 15 mai 1791 dans sa Lettre aux citoyens de couleur et nègres libres de Saint-Domingue, et des autres îles françaises de l’Amérique.
Les législatures suivantes voient la révolution coloniale s’approfondir jusqu’au décret d’abolition de l’esclavage du 4 février 1794. Pendant toute cette période, puis à l’époque du Directoire, Grégoire est extrêmement attentif à l’évolution des anciennes colonies, à travers la refondation de la Société des Amis des Noirs et des colonies en 1797, mais il explore d’autres domaines, comme la promotion du projet de colonisation libre (Notice sur la Sierra Leone, mars 1796) ou la régénération morale des anciens esclaves (Epitre des évêques réunis à Paris, aux pasteurs et aux fidèles des colonies françaises, à l’occasion du concile de l’Eglise constitutionnelle en 1797).
Il est opposé au rétablissement de l’esclavage par Bonaparte en 1802, mais il se trouve isolé. Pour contrer l’offensive colonialiste et ségrégationniste du régime, il publie en 1808 De la littérature des nègres ou recherches sur leurs facultés intellectuelles, leurs qualités morales et leur littérature. Il s’agit pour lui tout à la fois de souligner les larges apports des afro-descendants au « processus de civilisation universelle », et de rappeler les moments et les figures du combat abolitionniste.
Sous la Restauration, Grégoire participe au renouveau de ce combat. Il s’inscrit contre la poursuite de la traite des Noirs (Des peines infamantes à infliger aux négriers, 1822), mais aussi et surtout contre la persistance du préjugé de couleur. En 1815, dans De la traite et de l’esclavage des Noirs et des Blancs, il s’élève de nouveau contre la poursuite de la traite en Afrique, tout en montrant que la servitude n’est pas une question raciale, s’appuyant sur l’exemple des Irlandais dont la condition matérielle au Royaume-Uni s’apparente à celle des Noirs esclaves aux Antilles. C’est avec De la noblesse de la peau, en 1826, qu’il exprime le plus clairement son aversion pour le « préjugé sur la prééminence de la couleur blanche ».
L’évolution de l’Etat d’Haïti le préoccupe beaucoup, jusqu’à sa mort en 1831. Après avoir prodigué ses conseils pour la « régénération » morale du peuple Haïtien (Considérations sur le mariage et sur le divorce, adressées aux citoyens d’Haïti, 1823), et pour sa situation spirituelle (De la liberté de conscience et de culte à Haïti, 1824), il exprime sa profonde désillusion sur l’évolution politique de la République caribéenne en 1827 (Epitre aux Haïtiens).
Publié en juin 2023
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