Hyecho (vers 700 - 780)

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Quasiment inconnu des historiens du bouddhisme, le moine coréen Hycho (en chinois Huichao) n’a attiré l’attention qu’avec la découverte d’un fragment manuscrit de sa relation de voyage jusqu’en Inde dans les années 720. Ce manuscrit, repéré à Dunhuang par Paul Pelliot, est conservé à la BnF.

Le manuscrit découvert à Dunhuang

Lorsque Paul Pelliot était à Dunhuang, en 1908, et qu’il parcourait à toute allure des milliers de manuscrits vieux souvent de dix à quatorze siècles pour opérer un choix de pièces à acquérir, il remarqua parmi eux le rouleau d’un texte sans début ni fin, relatant un voyage en Inde. Y étaient décrits succinctement divers lieux de l’Inde, de l’Asie centrale et même du Moyen Orient. Pelliot, encore sur place, est à même d’identifier le texte et son auteur et en informe ses correspondants parisiens dans une lettre devenue célèbre, datée du 26 mars 1908. Il se souvient qu’il existe, dans un glossaire phonétique et sémantique du canon bouddhique, un bref commentaire d’un Voyage de Huichao dans les cinq Indes, Huichao wang wu Tianzhu zhuan, un ouvrage en chinois dans lequel sont mentionnés trois termes géographiques correspondant au pays Khmer, aux pays malais et au Zaboulistan, dans cet ordre. Ce glossaire est l’œuvre de Huilin (737-820). Pelliot en conclut que Huichao était parti de Chine par la voie maritime et qu’il était revenu par l’Asie centrale. Le terme de « Cinq Indes » revient à plusieurs reprises dans le manuscrit et le parcours décrit fait passer le voyageur par le Zaboulistan avant de rejoindre Kachgar et la Chine. Une seule date est signalée dans le texte, à propos de l’arrivée du pèlerin à Anxi (Kachgar), au 11e mois de la 15e année Kaiyuan, c’est-à-dire en 727. Là, est en poste le gouverneur Zhao, dont on sait par ailleurs qu’il s’agit de Zhao Yizhen. Pelliot conclut : « Il me paraît donc très probable que l’ouvrage anonyme dont j’ai retrouvé la plus grosse partie est le Voyage de Huichao dans les cinq Indes ». L’ouvrage de Huichao n’était pas inconnu de Pelliot, puisqu’il avait noté, dans son gros article sur « Deux itinéraires en Inde à la fin du VIIIe siècle » publié en 1904, que cette relation en trois chapitres avait été perdue, mais qu’elle était analysée dans le glossaire bouddhique de Huilin achevé en 810.

Sa mission terminée, Pelliot se rendit à Pékin et y montra quelques bijoux parmi ses trouvailles à plusieurs grands savants. Parmi eux Luo Zhenyu s’empressa de publier ce manuscrit avec quelques autres à Pékin dès 1909. Aussitôt traduit en japonais par Fujita Toyohachi, en 1910, et reproduit par Haneda Toru et Pelliot en 1926 (Tonkō issho, 1), le manuscrit arrivé à Paris prit la cote Pelliot chinois 3532. Bien que non daté, il semble être une copie du VIIIe siècle, d’après ses caractéristiques morphologiques. Il comporte 227 colonnes de texte et on doit noter qu’aucun nom de lieu figurant dans la relation n’est signalé dans le glossaire bouddhique. Ce manuscrit a fait l’objet de plusieurs traductions et de nombreuses études.

Que sait-on de Huichao ?

De sa jeunesse jusqu’à son voyage en Inde, on ignore tout. Et c’est d’abord par une préface à un soutra tantrique relatif aux attributs du bodhisattva Manjuśrī que l’on apprend le territoire d’origine de Hyecho, à savoir Xinluo (Silla). Cette préface nous informe d’emblée que Hyecho a reçu l’enseignement de ce texte au monastère de la Glorification de la Félicité, Jianfu si, à Chang’an le 1er jour du 1er mois de la 21e année Kaiyuan, c’est-à-dire le 21 janvier 733. Il fallut huit attendre huit ans pour que commence la traduction du soutra, soit en 741. Au sein de l’équipe de traduction, Hyecho assurait la fonction de scribe, bishou, c’est-à-dire qu’il notait la traduction orale en chinois du texte sanscrit. Celle-ci devait être ensuite polie, puis vérifiée, tout cela sous l’autorité de Vajrabodhi (671-741). Hélas le maître indien mourut cette année-là, avant que la traduction du soutra ne fût achevée. Et c’est seulement plusieurs années après que la traduction fut complétée sous la férule du disciple de Vajrabodhi, Amoghavajra (705-774), avec l’assistance de Hyecho. Toutefois la traduction ne fut réellement achevée, ou en tout cas copiée, qu’en 780, dans un monastère du mont Wutai, alors qu’Amoghavajra était déjà décédé.

Le nom de Hyecho apparaît encore dans un mémoire au trône que lui-même adressa en 774, indiquant qu’il se rendit à l’étang de la Fille de Jade pour y prier afin de faire venir la pluie et encore la même année dans un écrit testamentaire d’Amoghavajra. Hyecho de Silla y est cité comme l’un des disciples du maître.

La relation de voyage

Il est difficile de savoir si la relation qui, selon les sources, comportait trois chapitres est bien la version du manuscrit de Dunhuang ou si celui-ci est condensé. En effet, sur le voyage d’aller de Chine en Inde, probablement par la mer de Chine méridionale et l’océan Indien, on ne peut que faire des supputations à partir des termes conservés dans le glossaire bouddhique de Huilin, évoqué ci-dessus. La description des contrées traversées par Hyecho suit un modèle courant pour les relations de voyage. Celle-ci est brève et se limite à l’essentiel : état sommaire des lieux, coutumes, nourriture, productions et, bien sûr, vestiges bouddhiques. Le manuscrit, mutilé, commence avec la description de Kuśinagara. Le fragment qui précède semble se rapporter à Vaiśālī, site d’un célèbre concile bouddhique.  Il se poursuit avec Vārānasī (Bénares), puis avec des considérations un peu plus détaillées sur les coutumes des cinq Indes (nord, sud, est, ouest et centre). De l’Inde du Nord, Hyecho passe au Kachmir, puis au Baltistan alors sous domination tibétaine. Mais, de cet endroit, au lieu de regagner la Chine par l’actuelle province du Xinjiang, Hyecho se dirige vers le Nord-Ouest, vers le Gandhāra et l’actuel Afghanistan, passant par Bamiyan et se dirigeant vers la Perse et l’Arabie (c’est-à-dire alors vraisemblablement l’Irak), sans que l’on connaisse ses motivations. Dès lors, c’est le retour, par An (Boukhara), Kang (Samarcande), les monts des Oignons et Kachgar. Le texte du manuscrit s’arrête à Yanqi, c’est-à-dire Qarachahr, à l’est de Koutcha.

Les dates du voyage ne sont pas établies. En calculant la durée du parcours depuis Kuśinagara jusqu’à Kachgar, on peut estimer qu’il s’est passé environ 2 ans. Si l’on ajoute à peu près un an pour le trajet depuis la Chine par voie maritime jusqu’au nord de l’Inde, Hyecho serait parti en 724. Il serait arrivé à Chang’an avant 730.

La relation de Hyecho apporte des informations précieuses, plus encore sur les pays non bouddhiques que sur les contrées indiennes. Ses descriptions sont parfois rugueuses, comme pouvaient l’être celles de Faxian (vers 340 - vers 420), différant en cela du récit souvent imagé de Xuanzang (602-664). En revanche, elles sont agrémentées de poèmes de l’auteur, des poèmes diversement appréciés et qui ne plurent pas à Pelliot, puisque ce dernier déclara que Hyecho aurait mieux fait de s’abstenir de nous les faire partager.

 

Légende de l'illustration : Wang wu tian zhu guo zhuan 往 五 天 竺 國 傳. Hui chao 慧 超

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