Mission Chavannes (1907-1908)

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En poste à Paris, Edouard Chavannes décide d’effectuer un voyage en Chine centrale non pas d’exploration mais d’étude archéologique en Chine septentrionale et centrale. Celui-ci a lieu de mars 1907 à février 1908.

Edouard Chavannes (1865-1918), professeur au Collège de France depuis 1893, avait effectué un séjour assez long en Chine, entre 1889 et 1893, pour y traduire en partie les Mémoires historiques du « grand historien » Sima Qian (vers 145 avant J.C. – vers 86 avant J.C). Il s’était en même temps initié à l’étude de la sculpture sur pierre des premiers siècles de notre ère à partir des bas-reliefs de la province du Shandong. En poste à Paris, il décide d’effectuer un voyage en Chine centrale non pas d’exploration mais d’étude archéologique en Chine septentrionale et centrale. Celui-ci a lieu de mars 1907 à février 1908.

A la différence d’autres savants voyageurs de la même époque, Chavannes part seul ou du moins sans adjoint qui pourrait le seconder, si ce n’est un photographe chinois, Zhou, qui est chargé des photographies de grand format tandis que le sinologue effectue lui-même les photos instantanées de petit format. Il est vrai qu’il ne compte pas explorer des contrées sauvages ou inconnues ; il est vrai aussi qu’il parle le chinois et qu’il n’a pas besoin d’interprète. Le financement de sa mission est assuré grâce à la vacance d’un poste non pourvu à l’Ecole française d’Extrême-Orient. Chavannes est donc attaché à l’Ecole pour l’année 1907. Les fonds accordés au déroulement la mission sont plutôt modestes : dix-sept mille francs, se répartissant en cinq mille francs octroyés par le ministère de l’Instruction publique, six mille francs par l’Académie des inscriptions et belles-lettres et six mille francs donnés par l’Ecole française d’Extrême-Orient.

Empruntant le chemin de fer sibérien, il arrive à Moukden (l’actuelle Shenyang 沈陽) en Mandchourie, après 19 jours de voyage. Il y visite le palais impérial où s’installa Nurhaci (1559-1626), après avoir fondé la dynastie des Jin postérieurs, préfigurant la grande dynastie des Qing (1644-1911). Chavannes visite également le mausolée de Nurhaci , appelé Dongling 東陵ou Fuling 福陵et celui de son fils Hong Taiji (1599-1643), qui est appelé Beiling 北陵ou Zhaoling 昭陵. Poussant jusqu’au fleuve Yalu, plus précisément jusqu’à Ji’an 集安 ou 輯安 (province du Jilin), à la frontière coréenne, il veut voir l’énorme stèle quadrangulaire du grand roi Gwanggaoeto du royaume de Gaokouli 高句麗, érigée en 414. C’est un monument particulièrement important pour l’histoire ancienne de la Corée qui n’a été découvert que dans les années 1870 à proximité de l’ancienne capitale du royaume. Le texte en a d’abord été copié puis estampé et étudié par des savants japonais. Chavannes en avait sûrement entendu parler lors de son séjour à Pékin et surtout, en 1898, Maurice Courant (1865-1935) en avait traduit le texte. (Journal asiatique, mars-avril 1898) d’après les travaux japonais. Chavannes parvient à faire faire une série d’estampages de cette inscription de plus de cinq mètres de haut. Elle est maintenant conservée à la Société asiatique. Cette première partie du voyage se déroule entre le 23 avril et le 14 mai 1907.

De retour à Pékin, Chavannes prend presque aussitôt le chemin de Tianjin. Il part en compagnie d’un jeune sinisant russe qui deviendra l’un des grands sinologues de la Russie soviétique, Vasilij M. Alexeiev (1880-1951), avec qui il voyage jusqu’à Taiyuan 太原 (Shanxi) où ils arrivent au début du mois d’octobre. Tous deux s’intéressent aux estampes populaires imprimées en couleur à Yangliuqing 楊柳青, dans la banlieue de Tianjin. Ce sont les fameuses « images de Nouvel An », nianhua 年畫, dont ils acquièrent l’un et l’autre de nombreux exemplaires.  Si  Chavannes a écrit un journal de voyage parfois très détaillé, mais dont ne subsiste que des extraits manuscrits, celui-ci n’a pas été publié, à la différence du journal d’Alexeiev qui a paru à Moscou un peu après sa mort, en 1958, et qui a fait l’objet d’une traduction allemande (1989). Puis c’est le trajet jusqu’à Jinan (Shandong). Il  visite le fameux mont Tai, Taishan 泰山, qu’il avait déjà gravi en 1891, les 20 et 21 juin. Il en tirera une monographie publiée trois ans plus tard qui a exercé une profonde influence sur les travaux postérieurs consacrés aux montagnes sacrées et plus largement aux cultes populaires (Le T’ai-chan. Essai de monographie d’un culte chinois). Chavannes ne manque pas de s’arrêter au temple de Confucius à Qufu 曲阜, lieu de naissance (en 551 avant notre ère) du sage « dont la doctrine sociologique constitue encore aujourd’hui comme l’armature morale de l’esprit chinois ». Il accorde ensuite une attention particulière aux vestiges de la dynastie des Han, à Jiaxiang 嘉祥, à Liujia cun 劉家村, au sanctuaire de la famille Wu (Wu Liang ci 武梁祠) qu’il a déjà étudié ainsi qu’au site du Xiaotang shan 孝堂山, puis se dirige vers Gongxian 鞏縣et Henan fu 河南府, c’est-à-dire Luoyang 洛陽 , une partie du voyage s’effectuant en train, entre Kaifeng et Zhengzhou. C’est un autre monde que rencontre alors Chavannes, celui des sculptures bouddhiques qu’il explore à Gongxian et à Longmen près de Luoyang. A Longmen, il entreprend un relevé systématique des centaines d’inscriptions votives relatives à des images bouddhiques sculptées dans un complexe de grottes entre le 5e et le 7e siècle. Puis il se dirige vers Xi’an. Là, après avoir visité les mosquées et la Forêt des stèles, Beilin 碑林, le sinologue acquiert tout un ensemble de plusieurs centaines d’estampages de cet ancien temple de Confucius, à la quasi-totalité de ce qu’il contient alors, à l’exception des épitaphes des Sui et des Tang. Non loin de Xi’an, Chavannes étudie les sépultures des empereurs des Tang et redécouvre les célèbres « six coursiers de l’empereur Taizong 太宗 (règne 626-649), bas-reliefs dont deux sont volés un peu plus tard et vendus à un mécène qui les donna à un musée américain.

Vers la fin du mois de septembre, Chavannes est à Hancheng 韓城, lieu de naissance de l’historien Sima Qian dont il a traduit une bonne partie des Mémoires historiques. Traversant le fleuve Jaune, il se dirige vers le Wutai shan 五臺山, le mont « aux Cinq Terrasses ». Puis, à Datong  大同, il se remet à l’étude des grottes bouddhiques à Yungang 雲崗, situées près de Datong, qui ont précédé celles de Longmen, lorsque la capitale des Wei du Nord (386-534) était à Pingcheng  平城 (Datong) avant d’être transférée à Luoyang vers la fin du 5e siècle. Le 4 novembre, Chavannes était de retour à Pékin et  il rentre à Paris le 5 février 1908, en passant par Shanghai, Hong-Kong, Hanoi, Hue, Saïgon et Marseille.

Deux mois plus tard à peine, le voyageur donne, lors d’une conférence, les principaux résultats de ses recherches archéologiques. Ce sont avant tout les monuments les plus anciens (pour l’époque) de la sculpture chinoise qu’il a étudiés, à savoir les bas-reliefs du 2e siècle de notre ère, qui se trouvent soit sur des chambres funéraires soit sur des piliers signalant l’entrée de sanctuaires. Bien que Chavannes considère, modestement, les matériaux qu’il a glanés comme un simple complément d’informations à l’ouvrage qu’il a écrit quelques années auparavant (La sculpture sur pierre en Chine au temps des deux dynasties Han, 1893), il retravaille son étude en approfondissant l’analyse des piliers de Dengfeng 登封, la chambrette du Xiaotang shan et le groupe du Wu Liang ci et décrit un nombre important de bas-reliefs divers. En fait, la publication des résultats les plus importants de sa mission se fait en deux temps. D’abord les planches sont publiées en deux albums qui paraissent très rapidement, en 1909 (Mission archéologique dans la Chine septentrionale). Les 488 planches, qui représentent près de 1200 numéros, se répartissent en six sections. La première correspond au 1er album et concerne la sculpture de l’époque des Han. Chavannes y a adjoint les photographies des piliers de Yazhou 雅州 (Ya’an 雅安 au Sichuan, dues à d’Ollone); les cinq autres, constituant le second album traitent de la sculpture bouddhique, à savoir les grottes de Yungang, celles de Longmen, celles du Shiku si 石窟寺 à Gongxian, puis sont reproduites des photographies des sépultures impériales des Tang (618-907) et des Song (960-1279); ce sont ensuite quelques objets de musée (tambours de bronze, figurines en terre non cuite). Dans la section d’épigraphie sont reproduits les fac-similés d’environ deux cents inscriptions de Longmen et des Classiques du confucianisme gravés sur pierre en 837. Enfin, 401 numéros sont consacrés à des vues pittoresques, paysages mais aussi des estampages de gravure sur pierre.

Les textes devant accompagner toutes ces images ne sont publiés que dans un second temps, en 1913 et 1915. Ce sont deux tomes parus sous le même titre, le premier concernant la sculpture à l’époque des Han et le second la sculpture bouddhique. Dans le premier, Chavannes reprend entièrement le propos de son précédent livre, quant au second tome, il est entièrement nouveau.  Dans ces deux domaines d’étude, Chavannes se révèle un pionnier, parmi les savants non chinois, à peine talonné, pour la sculpture des Han, par le Japonais Sekino Tei 關野貞 (1868-1935) qui visita le Wu Liang ci la même année que lui et qui publia son catalogue en 1916. Tout au long de son voyage, Chavannes s’est employé en outre à collecter toutes les monographies locales qu’il pouvait trouver. Premier sinologue occidental de son temps, il est certainement un des pionniers dans l’utilisation des monographies locales dans les études chinoises. Quant aux centaines d’estampages qu’il a rapportés de sa fructueuse mission, ils sont conservés à la Bibliothèque nationale de France, au musée national des arts asiatiques-Guimet, à la Société asiatique et au musée Cernuschi.

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