Cartes de Chine
Parmi les spécimens les plus précieux de la collection des cartes asiatiques à la BnF se trouvent les cartes générales de grand format de l’Empire chinois. Celles-ci montrent l’Empire repoussant aux marges les puissances limitrophes et représentent ainsi le monde vu de la Chine.
Ces cartes ont été perçues comme des instruments de contrôle du territoire dès la fin du 3ème siècle avant J.-C. Dans un des textes reconnus par l’Empire comme un « canon » confucéen, le Zhouli ou Rites des Zhou, chapitre « géographique 周禮, compilé au 2ème siècle avant J.-C., il est écrit que le « Zhifangshi » 職方氏 ou ‘Maître d’administration des directions cardinales’, « tient en main les cartes de Sous-le-Ciel, par ce moyen il tient en main le territoire de Sous-le-Ciel » (Zhifangshi na Tianxia zhi tu, yi na Tianxia zhi di 職方氏掌天下之圖。以掌天下之地).
Les cartes chinoises générales n’ont survécu qu’à partir du début du XIIème siècle, du passage de la dynastie des Song du Nord (960-1127) à celle des Song du Sud (1127-1279). Les cartes de grand format étaient alors gravées sur une stèle de pierre, ce qui permettait leur diffusion par estampage sur papier. La BnF possède les estampages des deux cartes générales les plus fameuses, la Carte des vestiges de Yu (Yujitu 禹跡圖) et la Carte de la Chine et des pays étrangers (Huayitu 華夷圖), gravées en 1137 sur les deux côtés d’une stèle en pierre (GE D-4564). Ces deux cartes, qui ont été étudiées en détail par Edouard Chavannes en 1903, représentent deux axes complémentaires de la tradition cartographique chinoise : la cartographie « mathématique » qui s’appuie sur une grille quadrillée en carrés et la cartographie « relationnelle ».
La dynastie mongole des Yuan (1279-1368) a apporté des transformations profondes dans la représentation cartographique de l’Empire de Chine, que nous connaissons grâce aux cartes de la dynastie suivante des Ming (1368-1644). Ces cartes restent rares et la BnF en possède quelques spécimens. La plus célèbre est une version coréenne de la carte de l’Empire des Ming et des pays voisins : la Carte compréhensive terrestre de Sous-le-Ciel (le monde entier) (Tianxia yuditu 天下輿地圖), magnifique manuscrit en couleur sur soie datée de 1594 (GE A-1120 RES). Elle est signée par un «savant avancé» jinshi 進士 du nom Wang Pan 王泮, né dans le comté Shanyin 山陰 de la province du Zhejiang, qui a été mis en lumière par Marcel Destombe (1977). La Chine et la Corée sont dessinées dans le style coréen, reconnaissable à l’inscription des titres de toutes les unités administratives d’une même province dans des rectangles ou des cercles de même couleur, ce qui permet tout de suite de voir la division en provinces (quinze en Chine et huit en Corée). La carte contient également des figurations caractéristiques de la cartographie post-Yuan: la source du Fleuve Jaune dans le « Lac des Loges Stellaires » (Xingxiuhai 星宿海) sous forme d’une gourde remplie de petits cercles symbolisant des étoiles, la zone déserte désignée comme une bande s’étirant vers le nord-ouest, et l'espace maritime recouvert par des vagues régulières dites « peau de poisson ».
Une autre caractéristique de la cartographie des Ming est le développement de l’axe « mathématique » qui est fondé sur le même quadrillage, avec en particulier l’Atlas compréhensif élargi (Guang Yutu 廣輿圖) de Luo Hongxian 羅洪先 (1504-1564), qui fut imprimé pour la première fois en 1555 et s’appuyait sur la Carte compréhensive terrestre (Yuditu 輿地圖) créée autour de 1315 par Zhu Siben 朱思本 (1273-1337), dont l’original n’a pas survécu. Le caractère yu 輿 désigne littéralement le « corbeau du chariot », chariot qui avait une forme carrée avec les côtés grillagés. Le chariot était depuis la dynastie des Han antérieurs (207 avant J.-C. – 9 après J.-C.) un des symboles de l’Univers, et le « corbeau » symbolisait la Terre. Ce titre apparaît dans les cartes des histoires impériales relatives aux Han, mais il devient courant à partir des Ming. Révisé et réimprimé, l’atlas a servi de modèle pour les cartes générales et les atlas postérieurs; deux spécimens datant de la fin des Ming existent dans la collection de la BnF (atlas manuscrit Chinois 9228 et atlas imprimé en 1635-1636 GE DD-2809 (RES)). Sous la dynastie des Qing, avec la diffusion de la cartographie moderne occidentale, la grille est remplacée par les parallèles et méridiens.
Ensuite, l’apogée du développement de la cartographie chinoise autochtone sous les Qinq (1644-1912) est représentée à la BnF par deux types de cartes générales grand format, imprimées à partir de planches de bois gravées :
1° Deux copies de la Carte complète universelle (littéralement : astronomique) imprimée dans la Capitale (Jingban tianwen quantu 京板天文全圖) compilée par Ma Junliang 馬俊良autour de 1790, xylographiée et coloriée à la main (GE AA-1656 (RES); GE A-1871). La carte est constituée de trois cartes distinctes sur la même feuille. Dans la partie supérieure, deux petites cartes qui représentent les hémisphères occidental (à gauche) et oriental (à droite), sont fondées respectivement sur les cartes de Chen Lunjiong 陳倫炯 (1730) et de Matteo Ricci (1584). La carte principale est une version mise-à-jour de la Carte complète de la terre (Yudi quantu 輿地全圖) compilée par Huang Zongyi 黃宗羲 en 1673, qui représente le territoire impérial. Une autre carte de ce type se trouve aussi à la BnF (GE AA-651 (RES).
2° Deux cartes de la période 1800-1810 qui suivent le même modèle: celle dite « Blue Map », la Carte complète de l’organisation terrestre de la Grande Qing éternellement unie (Da Qing wannian yitong dili quantu 大清萬年一統 地理全圖), xylographie bi-colore, bleu foncé pour les terres, vert clair pour la mer (GE A-1096 RES), ainsi qu’une version similaire en plusieurs couleurs, xylographiée et coloriée à la main, sous un titre un peu différent : Carte complète de Sous-le-Ciel de la Grande Qing éternellement unie (Da Qing wannian yitong Tianxia quantu 大清萬年一統天下全圖)(GE C-5353 1-3 RES). Selon l’introduction située en bas à droite de ces cartes, elles s’appuient sur une carte-prototype aujourd’hui disparue, qui était intitulée Carte compréhensive de Sous-le-Ciel (Tianxia yutu 天下輿圖) et avait été dressée par Huang Qianren 黃千人 (titre honorifique Zhengsun 證孫) en 1767 (année dinghai 丁亥 de l’ère Qianlong), né à Yuyao 餘姚 dans la province du Zhejiang.
Enfin, les besoins de l’administration impériale ont apporté d'autres types de cartes, dont des copies datant de la dynastie des Qing sont présentes à la BnF :
- cartes des grandes rivières telle la carte manuscrite en couleur du Fleuve Jaune, entrée à la BnF en 1845 (GE A-268 RES);
- cartes des côtes maritimes sous forme de rouleaux (manuscrit en couleur GE FF-1087 (RES); imprimé et manuscrit GE A-358).
- cartes des provinces non inclues dans des atlas, telle la carte magnifique en couleur de Fujian et Taiwan (GE A-267 RES).
A ces cartes asiatiques, on peut ajouter deux représentations japonaises de l’Empire des Qing, l’une datée de 1783-1785 -GE A-633) et l’autre, un atlas historique de la Chine imprimé à Kyoto en 1857 (GE DD-2928 RES).