Segalen, Victor (1878-1919)
Victor Segalen n’est pas photographe de métier, il a cependant rapporté des centaines d’images lors de ses trois expéditions en Chine, en 1909-1910, 1914 et 1917. Clichés archéologiques, paysages et aperçus des expéditions témoignent de ses voyages.
Victor Segalen n’est pas un photographe, il est né à une époque où cette technique était devenue banale et ainsi banalement disposait-il d’un appareil de photographie. Il est toutefois une circonstance dans laquelle il a pratiqué assidûment la photographie : de ses trois expéditions en Chine, en 1909-1910, 1914 et 1917, il rapporta des centaines d’images. La plupart sont relatives à ses relevés archéologiques et à ses découvertes. D’autres sont des aperçus de l’expédition, on y voit lui-même et ses compagnons Lartigue et Gilbert de Voisins, les Chinois de l’escorte, les chevaux, les bagages. D’autres enfin consignent ce qui l’a frappé en route : paysages surtout, arbres, maisons.
Lors des missions de 1914 et 1917, expéditions scientifiques à part entière, inspirées et suivies depuis la France par l’archéologue et sinologue Édouard Chavannes, la photographie est du voyage comme technique auxiliaire, au même titre que les fouilles, les dessins, les estampages. L’application de cette pratique, alors parfaitement intégrée dans les instruments des archéologues, n’est pas remarquable en soi ; ce qui est intéressant, c’est que ce soit à Segalen, devenu archéologue pour l’occasion, qu’elle ait, en la circonstance, été confiée.
Grâce à sa correspondance, nous sommes renseignés sur le matériel qu’il utilisait. L’expédition avait emporté en 1914 mille plaques de 9 X 12 cm et mille de 24 X 30 cm, fournies par la maison Lumière. Ce matériel se révéla défectueux et dut être remplacé en cours de route par des plaques de 9 X 12 cm et un appareil à négatifs souples de Kodak. « Grâce » à ces problèmes techniques, nous sommes renseignés sur les excellentes connaissances photographiques de Segalen. Il tire lui-même, le soir à l’étape, les « 24 X 30 Lumière » défectueuses. La plupart des plaques sont expédiées au fur et à mesure pour être développées et/ou tirées à Shanghai. Les tirages que Segalen n’a pas vus lui sont renvoyés par l’intermédiaire de sa femme. Il adresse aussi directement à Chavannes quelques clichés qu’il a développés lui-même, assortis de ses commentaires, pour le tenir au courant jour après jour des découvertes. Ses lettres à sa femme contiennent des recommandations très précises sur la manière de stocker les caisses de négatifs — « emballer chaque boîte en bois comme une porcelaine » —, le délai maximum avant développement, le papier de tirage à utiliser, « demi-mat ».
Les photographies occupent une grande place dans l’emploi du temps de cette équipée : elles sont en effet destinées à permettre la publication des découvertes au retour en France. De fait, elles ont été en partie publiées en 1923 par Jean Lartigue, en son nom et au nom de Victor Segalen et de Gilbert de Voisins. La maîtrise technique en est impeccable, surtout au regard des circonstances matérielles. Mais leur valeur va au-delà de la qualité technique et documentaire du relevé. Le cas est fréquent en photographie : manié avec sensibilité, le médium donne des résultats qui débordent du cadre fixé au départ. Ce que Segalen a vu est devenu la substance de son œuvre. À ceux qui savent et qui aiment les pages que la Chine lui a inspirées, à défaut de leur permettre de voir par l’œil de Segalen, dont lui seul sait ce qu’il a vu, les images retenues par le « gros œil de verre » donneront au moins le plaisir d’avoir fait le voyage à ses côtés.