Mission Henri d’Ollone (1906-1909)
Le projet de mission soumis à la Société de géographie et soutenu par plusieurs organes de l’administration française démarre en août 1906. Le chef de mission est le capitaine Henri d’Ollone, qui a précédemment effectué une mission en Afrique et qui vient d’effectuer en 1904 un voyage d’initiation en Chine.
Au cours de la même période, les années 1906-1909, trois missions d’exploration scientifique en Chine sont soutenues et financées par des institutions officielles françaises, celle conduite par Paul Pelliot, celle d’Edouard Chavannes et celle menée par Henri d’Ollone (1868-1945). Les objectifs sont différents comme le sont les territoires parcourus. La question principale qui sous-tend la problématique de l’expédition d’Ollone est l’origine des populations non assimilées ou peu assimilées qui vivent dans les provinces chinoises du Guizhou, du Sichuan et du Tibet oriental désignées sous les nom de Miaozi 苗子 (ou Miao), Lolos 倮倮 (ou Yi 夷, maintenant彝) et Xifan 西番 (ou barbares de l’Ouest ).
Le projet de mission soumis à la Société de géographie et soutenu par plusieurs organes de l’administration française démarre en août 1906, mais le départ n’a lieu qu’en décembre. Le chef de mission est le capitaine Henri d’Ollone, qui a précédemment effectué une mission en Afrique et qui vient d’effectuer en 1904 un voyage d’initiation en Chine. Il s’adjoint trois autres militaires, le lieutenant de Fleurelle, qui se chargera des questions géographiques et topographiques, le lieutenant Lepage, diplômé de chinois à l’Ecole des langues orientales en 1906, qui doit servir d’interprète, et le maréchal des logis de Boyve pour s’occuper « des détails du convoi ». Le budget est fixé à environ cent mille francs, la participation du ministère de l’Instruction publique se limitant à deux mille francs, mais le gouvernement général de l’Indochine offrant une subvention de cinq mille francs et le Comité de l’Asie française attribuant mille francs.
La mission a des visées géographiques (dresser la carte de régions « inconnues »), historiques, archéologiques, épigraphiques, ethnographiques et anthropologiques. Ayant débarqué à Haïphong, la mission s’ébranle à partir de Hanoï, après deux excursions à Lang Son et Mong Cai. Ayant gagné Yunnan sen (l’actuelle Kunming 昆明au Yunnan), la mission se sépare en deux groupes, deux des participants se rendant au Guizhou, en pays Miao, jusqu’à Wangmo 望謨et Zhenning 鎮寧, tandis que les deux autres se dirigent vers Ning-yuen-fou 寧遠府, l’actuelle Xichang 西昌au Sichuan. D’ollone, en cours de route, songe à un prolongement vers le Yangzi de la voie ferrée Hai Phong-Kunming alors en construction sous la conduite d’ingénieurs français. Les incursions qu’effectue la mission chez les Lolos au cours de l’été 1907 bénéficient des connaissances acquises par le vicaire apostolique Jean de Guébriant (1860-1935) qui réside alors à Ning-yuen fou. Celui-ci part avec d’Ollone, non sans avoir emmené avec lui un interprète chinois-lolo. D’Ollone découvre l’ethnie lolo, se rendant jusqu’à Souei-fou (actuellement Suijiang 綏江) sur le Yangzi, puis c’est la découverte des Miao du nord-ouest du Yunnan.
En septembre 1907, les explorateurs sont de retour à Yunnan sen où commencent d’être triés et classés les documents collectés, vocabulaires des minorités, estampages d’inscriptions, etc. En même temps, Lepage se met à la recherche de vestiges historiques ou archéologiques et recueille plusieurs inscriptions dont certaines relatives à un ancien gouverneur du Yunnan à l’époque mongole, le Seyyid Edjell ou Saidianchi 賽典赤 Omar (1210-1279) qui fut l’introducteur de l’islam au Yunnan.
Puis, l’année suivante, la mission reprend la route du Nord en direction du Tibet oriental pour rencontrer les populations Xifan. Après un détour par Yazhou (Ya’an 雅安) et avoir gravi le mont sacré Emei 峨眉山, puis avoir passé Chengdu, d’Ollone parvient à Song-p’an-t’ing 松潘廳 (actuellement Songpan) où il aborde les confins tibétains. Là se trouve une région que tous les voyageurs qui l’ont précédé considèrent comme hostile et que beaucoup de voyageurs se sont efforcés d’éviter, qu’il s’agisse du Père Huc (1845-1846), de Prjevalsky (1879-1880), de Rockhill (1888-1889) ou de Dutreuil de Rhins (1893-1894). Toutefois, deux explorateurs anglais, l’ingénieur John Birch (1847-1900) et le capitaine W.A. Watts-Jones s’y étaient aventurés en 1900, mais le premier se noya dans le fleuve Jaune. Surtout, en 1904, une mission allemande y circula en sens inverse, du Nord au Sud, conduitepar le lieutenant Wilhelm Filchner (1877-1957) et le géographe Albert Tafel (1876-1935). La mission d’Ollone se trouve confrontée à toutes sortes d’incidents et de menées hostiles, jusqu’à son arrivée dans la grande lamaserie de Lhabrang (Labulengsi 拉卜楞寺), près de Xiahe 夏河 (Gansu). Puis, c’est Lanzhou. Ensuite, tandis que ses compagnons rejoignent Pékin directement, d’Ollone descend le fleuve Jaune, s’arrête à Datong 大同 (Shanxi) et aux grottes de Yungang 雲崗que Chavannes avait étudié attentivement peu avant et se dirige vers le Wutai shan 五臺山pour y rencontrer le Dalaï Lama qui s’est enfui de Lhassa après l’invasion britannique de 1904. Enfin, c’est Pékin et le retour en France au début de l’année 1909.
D’Ollone, qui a inondé la Société de géographie et les autres organismes qui l’ont subventionné de lettres annonçant ses succès et décrivant les obstacles auxquels il avait à faire face, dresse un bilan très positif de son équipée. Après avoir parcouru 8000 kilomètres et établi 2700 km d’itinéraires absolument nouveaux, déclare-t-il, il rapporte 2000 photographies, 45 vocabulaires de dialectes non chinois, 4 dictionnaires d’écritures inconnues ou indéchiffrées, 32 manuscrits lolos, 225 inscriptions en plusieurs langues, des monographies de 42 villes et de nombreux objets. L’étude de l’ensemble devrait représenter sept volumes.
Trois voient le jour en 1911 et 1912, l’un des sept volumes prévus étant divisé en deux : Recherches sur les musulmans chinois d’une part, Ecritures des peuples non chinois de la Chine et Langues des peuples non chinois de la Chine d’autre part. Un autre est annoncé comme sous presse en 1911 (Stèles et inscriptions rupestres, 1 vol. de 400 pages avec 100 planches hors texte, au prix de 25 francs), qui ne sera pas achevé. Si l’ensemble des volumes prévus n’a pas été publié, plusieurs études ont été effectuées de manière ponctuelle par des spécialistes. La biographie du Said Edjell a été éclaircie surtout par Arnold Vissière et par Édouard Chavannes. Chavannes, grand maître de l’épigraphie chinoise, qui a conseillé d’Ollone, se penche sur les inscriptions les plus importantes, que ce soit les inscriptions chinoises relatives aux Lolos ou celles datant de la dynastie des Han estampées à Ya’an au Sichuan. Les quelque deux cents estampages rapportés par la mission d’Ollone sont en totalité conservés au musée Guimet. Leur contenu est assez divers et leur collecte ne semble pas avoir été toujours systématique.
Le bilan de la mission d’Ollone n’est pas mince, mais certainement beaucoup moins important que celui des missions Pelliot et Chavannes et surtout moins important que ne le croyait d’Ollone. Celui-ci était certainement désavantagé par son absence de connaissance de la langue chinoise et par la formation encore peu approfondie de Gaston Lepage. L’annonce de succès plus retentissants qu’ils ne l’étaient réellement entraîna une certaine retenue dans leur appréciation. C’est le cas du géographe Maurice Zimmermann (1869-1950) qui déclare que les itinéraires reconnus par d’Ollone ne sont absolument neufs que sur des sections assez brèves, opinion partagée par Pierre-Rémy Bons d’Anty (1859-1916), consul de France à Chengdu, qui estime en outre que d’Ollone s’imagine volontiers avoir la priorité alors qu’il reste sur les sentiers battus. Quant au sinisant Charles Maybon (1872-1926), il écrit que les informations apportées sur l’islam au Yunnan n’ajoutent rien de bien nouveau aux connaissances courantes sur la question. Cette critique donne lieu à une passe d’armes entre d’Ollone et Claude-Eugène Maître (1876-1925) alors directeur de l’Ecole française d’Extrême-Orient. Enfin, concernant les Lolos, l’historien Henri Cordier (1849-1925) se montre prudent sinon sceptique quant aux découvertes du capitaine d’Ollone.