Porcelaine
Lorsque les premiers objets en porcelaine de Chine pénètrent en Europe, ils attirent l’attention des puissants qui n’auront bientôt de cesse d’acquérir toutes sortes de récipients, de plats et d’objets dans cette matière translucide, participant de cette fascination pour la Chine et les chinoiseries qui fit largement évoluer les goûts en Occident.
La découverte de la porcelaine chinoise en Europe
Si les techniques de fabrication de la porcelaine dite dure semblent déjà parfaitement établies en Chine dès le 3e siècle, les premiers objets en cette matière qui parviennent de Chine en Europe et plus précisément en Italie ne sont pas antérieurs au 13e ou 14e siècle. Marco Polo a certes mentionné dans sa Description du monde « des écuelles de porcelaine qui sont très belles » que l’on fait en grande quantité à Longquan 龍泉 (Zhejiang) où on les trouve à bon marché, mais c’est en fait surtout à partir du 15e siècle que l’on constate que des objets de porcelaine de Sinant, c’est-à-dire de Chine, circulaient et figuraient dans des collections, dans les premiers cabinets de curiosités ou de singularités et dans des inventaires après décès. On n’est pas certain pour autant qu’à ce terme mystérieux de porcelaine corresponde toujours effectivement la précieuse céramique importée de Chine. Le mystère demeura longtemps sur la nature de celle-ci et sur le moyen de la fabriquer. Au cours de cette longue période, on s’essaya à imiter toute la vaisselle qui était importée par vaisseaux entiers, d’abord portugais, puis hollandais, les uns allant jusqu’à capturer les cargaisons des autres. Ces porcelaines prennent le nom de kraak-porselein, c’est-à-dire porcelaines de carraques, du nom des grands navires portugais et espagnols adoptés par les Hollandais. Plus tard, au 18e siècle, ce sont les Anglais qui prennent le pas sur les Hollandais. Cette invasion des objets de porcelaine qui caractérise pour une part un goût pour la Chine est due, non seulement à l’exotisme de formes et de décors insolites et étranges, mais aux efforts faits par les producteurs chinois pour satisfaire le goût des Européens. Dans un premier temps, ce sont des porcelaines semblables à celles qui sont diffusées en Chine qui atteignent le Moyen-Orient et l’Occident. C’est le cas des importantes collections du sanctuaire du Cheikh Safi à Ardabil en Iran et de Topkapi Sarai à Istanbul. Mais bientôt les motifs furent adaptés au monde des acquéreurs.
La fabrication de la porcelaine
Ce n’est qu’au début du 18e siècle que les Européens peuvent se mettre à fabriquer eux-mêmes des objets de porcelaine. Deux événements importants surviennent presque simultanément. Le premier a lieu en 1708, lorsque l’alchimiste Johann Friedrich Böttger (1682-1719), qui recherchait la pierre philosophale pour le compte du grand électeur Auguste le Fort à Meissen, et son compagnon, le physicien Ehrenfried Walther von Tschirnhaus (1651-1708) réinventent la porcelaine en se servant du kaolin dont des gisements étaient connus dans la région depuis quelques dizaines d’années. Le procédé, gardé secret, fut retrouvé un peu plus tard, au milieu du 18e siècle, par Réaumur (1683-1757) et mis en œuvre à la manufacture de Vincennes (qui fut ensuite déplacée à Sèvres) par le chimiste Pierre-Joseph Macquer (1718-1784).
De son côté, le père jésuite François-Xavier Dentrecolles ou d’Entrecolles (1664-1741), envoyé à Jingdezhen (Jiangxi), dans le sud de la Chine, adresse en 1712 au procureur des missions de la Chine et des Indes de la Compagnie de Jésus une lettre dans laquelle il décrit avec force détails la fabrication de la porcelaine et l’organisation de sa production. Cette lettre, suivie d’une autre dix ans plus tard, servira à la rédaction de l’article sur la porcelaine dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, après avoir été publiée dans le tome 10 du recueil des Lettres édifiantes et curieuses écrites des missions étrangères (p. 131-176) éditées par le P. Jean-Baptiste du Halde (1674-1735) qui, lui-même, reprit les éléments de ces lettres dans sa Description de l’empire de la Chine en 1735. À Jingdezhen, qui compte dix-huit mille familles, toute l’activité se concentre sur la fabrication de porcelaines. Rien d’autre n’y est produit au point que tout ce qui s’y consomme vient d’ailleurs. Tous y travaillent, « jusqu’aux aveugles et aux estropiés qui y gagnent leur vie à broyer les couleurs ». C’est le kaolin, terre blanche et fine au toucher arrivant par bateau des carrières de Gaoling, qui donne sa fermeté à la porcelaine, « il en est comme les nerfs ». La fabrication d’une pièce, cuisson comprise, est répartie entre plus de soixante-dix personnes. Cette division du travail a pour conséquence, selon Dentrecolles, que l’ouvrage se fait beaucoup plus vite. Les étapes de la fabrication de la porcelaine sont reproduites en de nombreux albums de planches peintes qui sont envoyées en France comme il en est pour d’autres productions comme celles du papier ou de la soie, afin de satisfaire savants et curieux. Outre l’album de la collection de Robien conservé au musée des Beaux-Arts de Rennes et deux albums venant du Père Amyot et de de Guignes fils conservés au musée national de Céramique de Sèvres, la Bibliothèque nationale de France est riche de plusieurs autres séries de peintures exécutées en Chine pour un public français. C’est d’abord une série qui date également du 18e siècle (Cabinet des estampes Oe 105), ensuite celles plus tardives qui étaient produites en plus grande quantité par des ateliers comme Yoeequa (Yuejia) à Canton dans les années 1830, sur « papier de riz » (Oe 106 et 107). Cet atelier et d’autres, comme Sunqua et Tingqua, réalisèrent toutes sortes d’albums de peintures relatifs à l’histoire naturelle (oiseaux, plantes, insectes, poissons, etc.) et aux techniques du quotidien, par exemple la fabrication du verre en vue de la réalisation de peintures sous verre.
Connaisseurs et collectionneurs
Aux connaissances apportées par le père Dentrecolles vinrent s’ajouter au 19e siècle celles que contenait la monographie sur les céramiques de Jingdezhen, Jingdezhen taolu 景德鎮陶錄. Cet ouvrage dû à Lan Pu 蘭浦 et publié en 1815 fut traduit par Stanislas Julien en 1856, accompagné d’annotations d’Alphonse Salvétat, chimiste de la manufacture de Sèvres, sous le titre Histoire et fabrication de la porcelaine chinoise. En même temps se développait chez les amateurs un intérêt croissant pour les porcelaines chinoises qui mena plusieurs d’entre eux à une connaissance approfondie du sujet. C’est ainsi que des collectionneurs comme Albert Jacquemart (1808-1875), Octave du Sartel (1823-1894) ou Ernest Grandidier (1833-1912) s’adonnèrent à des études poussées de la céramique chinoise sur laquelle ils publièrent d’importants ouvrages. Ce sont l’Histoire artistique, industrielle et commerciale de la porcelaine (1873), La porcelaine de Chine (1881) et La céramique chinoise (1894). Deux de ces collectionneurs devinrent d’ailleurs des spécialistes, respectivement conservateurs du musée Cernuschi et du Louvre. La collection Grandidier, conservée au musée Guimet, se monte à environ six mille pièces.
Légende de l'image : peinture des ornements, Recueil - industrie de la procelaine