L'encre de Chine

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L’encre chinoise a une histoire plus que millénaire. Elle était préparée sous forme liquide pour servir aux imprimeurs.  Mais le plus souvent, elle était conservée en « bâtons », dissoute dans l’eau pour écrire et pour calligraphier, ou conservée et appréciée comme objet de collection…

Le caractère mo 墨 désigne une couleur sombre, utilisée dans les tatouages, ainsi que l’encre et, par extension, l’écrit et la calligraphie. Ses traces ont été identifiées sur différents supports de la plus haute antiquité et des encres solides ont été retrouvées dans des sites du IIIe s.  avant notre ère. C’est dans cette forme que l’encre était le plus souvent conservée, diluée dans l’eau peu avant son utilisation. 

Des encres solides pour la calligraphie et la collection

Les bâtons d’encre ont attiré l’attention des occidentaux, qui leur ont consacré des témoignages écrits et illustrés – par exemple les explications incluses dans le deuxième tome de La Chine en miniature (1811-1812) de Breton de La Martinière (1777-1852), ou qui ont acheté des peintures d’exportation représentant sa fabrication comme les planches finales d’une série réalisée par Yoeequa (XIXe s.) à Canton pour les marchés européens. On y découvre comment une pâte contenant de la suie était préparée et moulée, en forme de simple bâton rond ou carré pour les échantillons les plus simples, ou dans des formes plus élaborées. Deux siècles auparavant, quand Nicolas Trigault (1577-1628) publie les témoignages de Matteo Ricci (1552-1610) sous le titre Histoire de l'expedition chrestienne au royaume de la Chine entreprise par les P.P. de la compagnie de Jésus (1617), il décrit des encres solides « en forme de petits pains » (tome 1, p. 19), aussi décorées que les pinceaux et les pierres sur lesquelles elles sont dissoutes avec un peu d’eau, tout en mettant l’accent sur leur utilisation par les lettrés pour l’écriture et la calligraphie : « …ces trois choses qu’on emploie pour écrire… sont estimées, d’autant que de leur nature elles sont mises en œuvre pour une chose grave, telle qu’est l’écriture, par des hommes aussi pleins de gravité & majesté ».

En Chine, la littérature sur l’encre avait déjà à ce moment-là une longue histoire. Le fait que l’encre est indispensable à la calligraphie et que cet art a été particulièrement apprécié explique l’implication des lettrés : il fallait en être connaisseur. Des traités sont parfois attribués à des producteurs d’encre eux-mêmes. Parmi eux, le Mofa jiyao 墨法集要 écrit à la fin du XIVe s. par Shen Jisun 沈繼孫 de Suzhou, dans une édition illustrée de la fin XVIIIe s., attira l’attention de Maurice Jametel (1856-1889) qui en a fait une traduction publiée sous le titre L'encre de chine, son histoire et sa fabrication : d'après des documents chinois (1882).

Deux publications importantes de la fin de la dynastie  des Ming (1368-1644)

D’importantes publications illustrées à propos des encres furent également réalisées au sud du Fleuve bleu, dans l’actuelle province de l’Anhui. Le plus fameux producteur d’encre de l’histoire chinoise, Li Tinggui 李廷珪, s’y était installé au Xe s. pour fuir les désordres intervenus à la fin de la dynastie Tang (618-907), car il y avait trouvé le bois adapté à la préparation de la suie. Toujours dans cette région, à la fin du XVIe s., les ateliers d’édition produisirent des imprimés aux illustrations raffinées, tandis que des artisans experts dans la gravure du bois s’attelèrent tant aux planches d’imprimerie qu’aux moules des bâtons d’encre. Dans ce contexte, deux producteurs, Cheng Dayue 程大約 et son ancien disciple Fang Yulu 方于魯, s’affrontèrent dans la réalisation de livres sur les encres solides, leurs formes et décorations. Ces publications mêlent textes et images. Leur nature est « ambigüe », au point qu’elles sont parfois recensées comme catalogues des produits d’atelier, mais les plus souvent décrites comme des « œuvres artistiques », nées de la collaboration de peintres, artisans et lettrés locaux, pour des amateurs ou des acheteurs aisés. Certains exemplaires du Chengshi moyuan 程氏墨苑 ([Collection de dessins du] jardin d’encres de M. Cheng) ont la particularité d’inclure des planches colorées ou les premières images à sujet chrétien imprimées en Chine, parfois accompagnées de textes en chinois avec transcription phonétique, dont les modèles furent fournis à Cheng par Matteo Ricci.

Quelques années plus tard, un ouvrage de toute autre nature, le Tiangong kaiwu 天工開物 de Song Yingxing 宋應星, fut imprimé dans la province du Jiangxi (1637), puis réimprimé au Fujian (s.d.). Quelques pages traitent des méthodes de production de l’encre : de la fumée obtenue par l’huile (surtout de paulownia) brulée dans des lampes ; ou de la suie du bois de sapin qui, vidé de sa résine, était brulé pendant plusieurs jours dans de longs fours. Les sections plus internes du four donnaient les suies les plus pures, utilisées pour faire les bâtons ; celles proches de l’embouchure, un produit avec beaucoup d’impuretés qui était récupéré par les imprimeurs et d’autres artisans. La description illustrée des techniques de Song Yingxing est une contribution singulière dans la production chinoise et les exemplaires des deux différentes éditions conservés à Paris, ainsi que la présence de cet ouvrage dans le catalogue des livres chinois de la bibliothèque du roi (1742) d’Étienne Fourmont (1683-1745), attestent de l’attention portée aux techniques par les premiers missionnaires et orientalistes. Plus tard, Stanislas Julien (1799-1873) réalisa des traductions de certains passages du Tiangong kaiwu : la section sur l’encre a été reprise dans une publication de 1869, Industries anciennes et modernes de l'Empire chinois…, où des « notices industrielles et scientifiques » par Paul Champion (1838-1884) se mêlent à la description originale.

L’encre liquide pour l’impression

Les imprimeurs utilisaient l’encre en grande quantité : elle était alors préparée sous forme liquide, prête à être appliquée sur la planche d’impression. Cependant, ce cas ne fait pas exception à la tradition : les ouvrages sur les techniques étaient compilés essentiellement par des lettrés, des intellectuels souvent fonctionnaires dans l’administration publique, qui ne maitrisaient pas personnellement le savoir-faire et le transfert des connaissances se faisait dans la pratique et à l’intérieur des corps de métier. Ainsi la description de l’encre liquide n’a pas été privilégiée par les auteurs chinois, et celle qui en 1735 paraît dans la Description… de l'Empire de la Chine et de la Tartarie chinoise de Jean-Baptiste Du Halde (1674-1743) est rare, sinon unique : « L'encre dont on se sert pour imprimer, est liquide, et est bien plutôt prête, que celle qui se vend en bâtons. Pour la faire, il faut prendre de la suie, la bien broyer, l’exposer au Soleil, et la passer par un tamis ; plus elle est fine et meilleure elle est. Il faut la détremper avec de l'eau-de-vie, jusqu'à ce qu'elle devienne comme de la colle, ou comme de la bouillie  épaisse, prenant garde que la suie ne se mette en grumeaux. Après cette façon, on y ajoute de l'eau autant qu'il faut, pour qu'elle ne soit ni trop épaisse, ni aussi trop claire, et par conséquent trop blanche. Enfin pour empêcher qu'elle ne s'attache aux doigts, on y ajoute un peu de colle de bœuf. Je crois que c'est celle dont se servent les menuisiers : on la fait dissoudre auparavant sur le feu, et ensuite sur dix onces d'encre, on  fait couler à peu près une once de colle, qu'on mêle bien avec la suie et l'eau-de-vie, ayant que d'y ajouter l'eau » (tome 2, p. 251).

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