Inspiration chinoise et créativité littéraire
Depuis la publication des premiers travaux des Jésuites, la littérature chinoise traduite exerce une fascination continue sur la création littéraire en langue française. Des imitations, des adaptations souvent très libres, des textes « inspirés » par la Chine montrent la dynamique des échanges sino-français.
Voltaire en précurseur
Zhao shi gu er, L’Orphelin de la Maison de Zhao, à partir de la traduction donnée par le père Joseph de Prémare (1666-1736). L’œuvre est décrite par Voltaire comme « un monument précieux, qui sert plus à faire connaître l’esprit de la Chine, que toutes les relations qu’on a faites, et qu’on fera jamais de ce vaste empire. » Sa version de la pièce, intitulée L’Orphelin de la Chine, fut représentée pour la première fois par la Comédie-Française le 20 août 1755. Elle marque un départ dans notre perspective, en montrant comment la médiation de l’orientalisme savant et de la traduction sinologique stimule la création littéraire autant que la réflexion philosophique. Cette médiation reste toutefois marquée par l’extrême liberté de l’auteur, qui reconsidère la pièce en fonction de sa démonstration, en changeant par exemple de période historique, ou en ajoutant un personnage féminin, Idamé, afin de répondre au goût du public français.
Une Chine romantique
La représentation idéalisée de la Chine du XVIIIe siècle perdure encore chez Honoré de Balzac, dans l’un de ses premiers textes, L’Interdiction (1836), qui voit paraître le marquis d’Espard, sinophile monomaniaque, éditeur des études sur la Chine de la Compagnie de Jésus, et que la critique balzacienne a rapproché du père de l’auteur lui-même, Bernard-François Balssa (1746-1829). En 1842, répondant à l’actualité de la signature du traité de Nankin, le romancier donnera aussi une série d’articles sur « La Chine et les Chinois », à partir du témoignage et des dessins réalisés sur place par Auguste Borget (1808-1877). Mais sans doute le plus fervent admirateur de la Chine est-il alors Théophile Gautier, auteur de plusieurs poésies sur des modèles chinois, qui n’ont pas toutes été conservées, et en 1846 d’une nouvelle dont l’intrigue poétique est située dans le « Céleste empire », intitulée Le Pavillon sur l’eau. Dans ce texte, inspiré de sa lecture d’un texte anonyme des Yuan qu’avait jadis traduit le père François-Xavier d’ Entrecolles (1664-1741), on découvre sans doute pour la toute première fois dans la littérature française une référence au Livre des Odes (诗经 Shijing).
De la Chine du Parnasse à la Chine fin-de-siècle
Les nouveaux recueils de traduction de poésie chinoise qui paraissent dans les années 1860 provoquent une vague nouvelle dans la poésie de langue française, qui se propagera jusqu’au XXe siècle. Les poètes du Parnasse contemporain, sous l’égide de Théophile Gautier et de Leconte de Lisle, intègrent à leur publication de 1866 le fameux poème du jeune Stéphane Mallarmé, « Las de l’amer repos… », tout entier consacré à la Chine. Après quoi d’autres poètes moins connus aujourd’hui, comme Louis Bouilhet ou Emile Blémont, livrent leurs créations imitées du chinois, où ils ont trouvé « des métaphores et des associations d’idées ébouriffantes ».
La guerre franco-chinoise de 1885, mais aussi le succès du japonisme, tendent à reléguer l’influence chinoise au second plan, et favorise surtout une atmosphère très sinophobe dans le dernier XIXe siècle. La révolte des Boxeurs et l’expédition internationale de 1900 remettent brutalement la Chine sur le devant de l’actualité : Pierre Loti, officier de Marine envoyé sur place, publie son témoignage dans un roman, Les Derniers jours de Pékin (1901), d’abord dans Le Figaro sous forme de reportages, puis en volume. Judith Gautier saisit l’occasion pour faire éditer sa nouvelle version du Livre de Jade, précédée d’un éloge de la culture et de la civilisation chinoises qui contraste fortement avec les discours du moment.
De la Chine imaginée à la Chine parcourue
Les dernières années du XIXe siècle marquent ensuite une rupture majeure : les écrivains voyagent à présent en Chine, comme Pierre Loti, ou même y séjournent longuement. Paul Claudel, arrivé à Shanghai en 1895, résida dans ce pays jusqu’en 1909, en publiant plusieurs œuvres directement tirées de son expérience chinoise, notamment le recueil de proses poétiques Connaissance de l’Est. A Pékin, il rencontre Victor Segalen, débarqué en 1909 pour son premier séjour. Et, en 1916, c’est de nouveau un poète-diplomate, Saint-John Perse, qui arrive à Pékin, où il résida jusqu’en 1921. Désormais, les médiations de l’orientalisme ou du récits de voyage peuvent laisser place au contact direct.
Légende de l'illustration : Les tribulations d'un Chinois en Chine. J. Verne, 1910.