Serres chaudes des Chinois

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Dans la Chine ancienne, il était considéré comme relevant de la bonne vertu des mandarins au service de l’empereur de ne divulguer aucun secret de la vie palatiale. D’où l’expression proverbiale « garder le silence sur les arbres des serres impériales » pour décrire la réserve extrême attendue d’un fonctionnaire d’État.

Kong Guang 孔光, descendant de Confucius, grand secrétaire de l’empereur Chengdi des Han 漢成帝 (r. 33-7 av. notre ère), refusa même de satisfaire la curiosité de sa famille pour les espèces d’arbres cultivées dans la cour des serres chaudes impériales. Pourtant il n’aurait jamais pu imaginer qu’une vingtaine de siècles plus tard, les petits secrets qu’il s’interdisait alors de révéler pourraient parvenir jusque dans des pays lointains.

Un savoir-faire très ancien

L’utilisation des serres en Chine remonte à l’antiquité. L’expression yinhua banwu, littéralement « demi-maison pour abriter les fleurs en sous-sol », servait au XIIIe s. à désigner les serres des grands Khan mongols qui régnaient alors à Pékin. Pierre-Martial Cibot (1727-1780), jésuite français à la Cour de Chine, explique dans son essai sur les serres chinoises qu’« elles sont enfoncées en terre, et creusées en dedans en manière de fosse ». En effet, ces structures semi-enterrées rendent possibles non seulement la production des fleurs et des arbres en hiver, mais aussi celle des légumes et fruits hors saison, grâce à des canalisations d’eau chaude et à un système de ventilation.

En raison de leur forme, les serres étaient parfois nommées huajiao ou huadong, « caves à fleurs ». D’après des archives de l’époque Ming (1368-1644), dans la cité impériale, chaque année, les plantes fragiles y étaient mises à l’abri et préservées en pot à partir du début du dixième mois, pour passer l’hiver. À l’approche du Nouvel An, les pivoines mudan étaient installées dans la partie la plus profonde des serres, de manière à obtenir une floraison précoce. Mais comme le remarque Cibot (p. 429), ces structures servaient aussi à protéger les plantes du mauvais temps, à abriter les jeunes pousses et les plantes malades.

Une Europe curieuse

Prise d’engouement pour l’art des jardins, l’Europe du XVIIIe siècle s’intéressa vivement aux jardins de Chine. Cette curiosité ne porta pas seulement sur leurs aspects formels, mais aussi sur le savoir-faire des Chinois dans le domaine des techniques horticoles. Serres chaudes des Chinois est un recueil de planches basé sur l’observation directe des serres impériales des Qing (1644-1911). Adoptant la même forme que beaucoup d’autres documents iconographiques élaborés à la même époque et envoyés en France par les missionnaires jésuites, il manque cependant de notices explicatives. D’après Delatour, il se trouvait déjà en France en 1776 et faisait partie de la fameuse collection extrême-orientale d’Henri Bertin. Selon lui, les figures furent créées par « les peintres du palais impérial », mais il ne précise ni leur nom, ni leur nationalité.

Comme toutes les planches encyclopédiques de l’époque, les cinq figures de ce recueil n’hésitent pas à employer diverses méthodes de visualisation pour rendre compte de la  structure complexe de ces serres impériales. La première renseigne avec précision sur leur toiture : les dessinateurs détaillent couche par couche la structure de cette toiture à la chinoise comme on exécuterait une fouille stratigraphique, des chevrons jusqu’à la dernière couche de mortier fin sous les tuiles, en passant par les planchettes de bois et les nattes d’herbes intermédiaires. Dans la deuxième figure, pour montrer le décalage de hauteur entre le sol de la serre et le sol de l’extérieur, les dessinateurs juxtaposent la coupe et l’élévation, révélant ainsi la structure du dispositif de chauffage en sous-sol qui suit le même principe que pour le kang, plate-forme chauffante servant de lit. Toutes ces planches se caractérisent par une remarquable finesse dans la représentation des plantes, des penjing (bonsaïs) et même de leurs pots en terre cuite, grès ou porcelaine. Parmi les plantes représentées, on reconnaît des orchidées, des chrysanthèmes, des pins, des amarantes crêtes de coq, un cédratier qui produit des fruits en forme de « main de Bouddha », utilisés pour décorer et et parfumer les pièces d’habitation, et même des vignes.

L’auteur de l’Essai sur l’architecture chinoise propose dans son avertissement que les lecteurs puissent envoyer leurs questions à Pékin pour obtenir des explications plus détaillées. On peut donc supposer qu’en raison de la grande similarité du style de représentation adopté par les des deux recueils, Serres chaudes des Chinois formait un complément au premier, et comme une suite à cet enseignement par correspondance avant la lettre.

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