Le bouddhisme : au cœur de l’orientalisme français

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De toutes les grandes traditions intellectuelles et spirituelles de l’Asie en général, et du monde chinois et sinophone en particulier, le bouddhisme a toujours occupé une place d’honneur dans les collections et la recherche française.

Très tôt, au XVIe siècle, les premiers missionnaires et explorateurs commencent à identifier cette religion commune aux différents pays d’Asie du Sud, du Sud-est et de l’Est qu’ils explorent, et à la fin du XIXe siècle, l’étude des textes bouddhiques sera au cœur de l’essor de l’orientalisme savant.

Découvertes du bouddhisme

Les missionnaires et explorateurs qui arrivent en Asie au XVIe siècle rencontrent le bouddhisme dans divers contextes culturels et linguistiques : au Japon, en Chine, en Corée, en Thaïlande, à Sri Lanka, plus tard au Vietnam, en Mongolie et au Tibet, et sous une forme plus résiduelle dans d’autres pays encore. Il faudra assez longtemps aux savants pour réaliser l’unité originelle des traditions religieuses décrites par différents termes vernaculaires. Au demeurant, cette unité ne va pas toujours de soi pour les bouddhistes eux-mêmes de l’époque prémoderne. Dès le XVIIe siècle, cependant, par des rapprochements de sources venues de divers pays, certains missionnaires supposent l’existence d’une sorte de philosophie naturelle très ancienne à l’origine des diverses formes de bouddhisme. Ce n’est qu’au XIXe siècle avec la découverte des textes bouddhiques en sanskrit (essentiellement au Népal) et en pali que la bouddhologie émergera comme discipline et que les origines anciennes et les modes de diffusion de cette religion seront connues avec précision.

Depuis les premières découvertes, le bouddhisme jouit d’une aura particulière chez les orientalistes français et plus largement européens. Il est à la fois la tradition la plus estimée pour l’ambition spéculative et la rigueur logique de ses textes doctrinaux ainsi que pour ce qui est souvent décrit comme un positivisme et un athéisme (ou du moins un désintérêt pour la notion et l’état de divinité), mais aussi la tradition la plus décriée pour sa prétendue décadence moderne. Cette science a donc toujours eu un goût marqué pour les origines, et, jusqu’à assez récemment, un désintérêt pour la tradition vivante. Ce n’est qu’au XXIe siècle que la bouddhologie a complétement intégré l’étude des textes, y compris des manuscrits les plus anciens comme ceux conservés à la BnF, avec l’observation de la religion pratiquée dans notre monde. De façon apparemment paradoxale, ce rapprochement de l’étude philologique et philosophique des textes avec le bouddhisme vécu a été en partie initié par la découverte de manuscrits anciens.

La collection de Dunhuang

La découverte en 1900 d’une immense collection de manuscrits, de peintures et de quelques imprimés dans une grotte murée de l’oasis de Dunhuang, sur la partie chinoise de la route de la soie, constitue un tournant majeur de l’étude du bouddhisme en Europe. Paul Pelliot (1878-1945) en acquit une importante partie et la rapporta en France. Les peintures furent données à des collections muséales (elles sont aujourd’hui au musée Guimet). S'agissant des manuscrits conservés à la BnF, une équipe de recherche consacrée à leur étude depuis quelque cinquante ans atteint aujourd’hui les dernières étapes d’un catalogue analytique complet qui a renouvelé notre vision de l’histoire du bouddhisme.

Peinture polychrome bouddhique couleur sur manuscrit
                                                                        Peinture polychrome bouddhique

D’autres missions en Asie centrale à cette époque ont permis d’enrichir encore les collections, en France et ailleurs, et l’on dispose non seulement d’un vaste ensemble de textes originaux, allant du IVe au XIIIe siècle, en chinois, mais aussi en tibétain, en mongol, en tangut, en ouigur et dans des langues indo-européennes d’Asie centrale aujourd’hui disparues telles que le tokharien.

Considérés dans leur ensemble, ces textes montrent l’ampleur et la profondeur historique des échanges et des hybridations entre ces différentes cultures et langues qui avaient le bouddhisme en commun. Ils permettent aussi d’appréhender le bouddhisme comme religion vécue et non seulement comme tradition doctrinale et exégétique, comme l’a montré par exemple l’étude séminale de Jacques Gernet (1956) sur les aspects économique du bouddhisme à Dunhuang.

Enfin, les textes bouddhiques de Dunhuang permettent de regarder autrement la façon dont s’est constituée l’orthodoxie bouddhique et le processus de compilation de son canon. On y trouve en effet bon nombre de textes, souvent appelés « apocryphes » (parce que jugés comme composés ultérieurement et non dictés par le Bouddha lui-même) qui n’ont pas été inclus dans les canons bouddhiques ultérieurs et dont beaucoup ont subséquemment disparu, mais qui enrichissent considérablement notre vision de la variété interne au bouddhisme. On y trouve, enfin, nombre de traces de la pratique vécue : carnets de notes, livres de comptes, prières et témoignages personnels, chants et ballades en langue vernaculaire… Les canons, notamment les versions imprimées à la fin de l’époque impériale, en Chine et en Corée, puis au Japon, sont aussi bien présentes dans les collections françaises, mais les manuscrits nous rappellent sans cesse que les collections prestigieuses trônant dans nos bibliothèques sont aussi le résultat de processus de choix, de tri et d’exclusion.

 

Légende de l'image : Vaiśravaṇa.

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