Jean-Jacques Dessalines et l’Indépendance d’Haïti

Jean-Jacques Dessalines, né esclave, est un des chefs de la Révolution haïtienne. Il est l’architecte de l’indépendance d’Haïti en 1804 et fut son premier chef d’État. En 1805 il est couronné Empereur Jacques 1er et promulgua la première constitution du pays. Le 17 octobre 1806, pris dans un guet-apens préparé par ses rivaux mulâtres, il y mourut assassiné.

Jean-Jacques Dessalines est né esclave en 1758 sur l’habitation Vye Kay à Cormiers, dans la paroisse de Grande-Rivière du Nord à Saint-Domingue. Il y vécut chez son premier maître, au nom de Duclos, un colon blanc et propriétaire de la petite caféière. Puis, il fut acquis par un noir libre créole, Philippe Jasmin Désir, le gendre de Toussaint Louverture. Celui-ci, en 1779, selon un acte notarié, prit à bail sa caféière avec ses 13 esclaves dont Jean-Jacques. Après le décès de Désir en 1784, sa veuve, Marie-Marthe Martine, fille de Toussaint Louverture, épousa Janvier Dessalines, un vétéran du siège de Savannah (1779) dans la guerre d’indépendance étatsunienne. Il donna son nom à Jean-Jacques et lui fit apprendre le métier de charpentier. Sur l’habitation Vye Kay les deux futurs leaders de la Révolution haïtienne avaient noué leur premier contact et des relations. Selon plusieurs témoignages, Dessalines était rebelle et souvent marron, son corps étant couvert des cicatrices laissées par les châtiments corporels. 

Dessalines : l’insurgé contre l’esclavage

Dès l’insurrection en août 1791, Dessalines se joint aux rangs de l’insurgé Georges Biassou et participe comme soldat aux premiers combats contre l’esclavage. Alors que l’insurrection prend de l’ampleur, il monte en grade et devient, comme Toussaint, un lieutenant de Biassou puis de Jean-François, ce dernier se réclamant du titre de chef suprême de la révolte. À partir de 1792, Dessalines se range du côté de Toussaint qui prenait ses distances avec les deux chefs et poursuit s propre voie vers la liberté pour tous les esclaves. Au début de 1793, la France républicaine entre en guerre avec l’Espagne et l’Angleterre et les troupes de Jean-François et Biassou se rallient à l’Espagne. Ils s’emparent de plusieurs villes du nord-est de Saint-Domingue, pendant que les Anglais s’installent dans des villes côtières de l’ouest et du sud-ouest de l’ile. Et alors que se propagent les insurrections des Noirs, la survie de la colonie française est en péril. Les commissaires civils, Sonthonax et Polverel, proclament l’émancipation générale afin de rallier les Noirs à la France et à la défense de leur liberté. En mai 1794, avec les nouvelles de l’abolition par la Convention Nationale le 4 février, Toussaint abandonne l’Espagne et adopte la bannière française emmenant avec lui ses cadres dont Dessalines son premier lieutenant. 

Dessalines et la Guerre du Sud

Dorénavant, la carrière de Dessalines est liée à celle de Toussaint dont l’ascension ne cesse de croître. Dessalines continue de se distinguer sur le champ de bataille et contre les Anglais et dans la guerre civile qui éclate en 1799 entre Toussaint et son rival, André Rigaud, chef du Parti des hommes de couleur dominant dans le Sud et une partie de l’Ouest. Cette guerre devait déterminer la direction de la colonie, soit comme un État noir autonome sous la direction de Toussaint soit comme colonie sous la direction des chefs de couleur rattachés à l’autorité ultime de la France. En 1800, grâce aux exploits militaires de Dessalines, Rigaud et son armée sont défaits. Exemptés de l’amnistie générale proclamée par Toussaint, Rigaud et Alexandre Pétion partent en France avec les ordres et accusations de Toussaint de trahison et de rébellion contre son autorité. Désormais gouverneur général et commandant en chef de l’armée coloniale (environ 20 000 effectifs), Toussaint promut Dessalines au grade de général de division. Durant cette guerre Dessalines rencontra et épousa Marie-Claire Félicité Bonheur, la future impératrice d’Haïti en 1805. À la fin de la guerre du Sud, malgré la volonté de Toussaint de tirer un trait sur le passé, l’amnistie fut violée. Des centaines de prisonniers, d’officiers et de soldats furent exécutés sur les ordres de Toussaint, alors que Dessalines prit sur lui d’en sauver plusieurs, dont Bazelais et Gérin, qui joueront un rôle crucial dans la guerre de l’indépendance. Mais envers les cultivateurs soumis aux durs Règlements de culture de Toussaint, Dessalines, comme inspecteur de culture dans le Sud et l’Ouest, pouvait être impitoyable à l’égard de celles et ceux qui démontraient le moindre signe d’insubordination. 

L’expédition du général Leclerc

La guerre du Sud allait fragiliser l’unité de forces contrôlées par Toussaint et Dessalines face à la métropole. L’arrivée en 1802 de l’expédition française, forte de 22 000 troupes de ligne et une trentaine de vaisseaux de guerre, menée par le général Charles-Victor Leclerc, beau-frère du Premier consul, allait changer la donne. Bonaparte avait confié à Leclerc des instructions précises de ramener sous l’autorité française. Et en cas de résistance, de leur faire une guerre implacable ainsi qu’à tout officier noir ou de couleur ayant porté une épaulette. Il s’agissait de rétablir l’esclavage et l’ordre racial d’avant 1792.  Dessalines n’avait aucune illusion depuis la guerre du Sud quant aux intentions réelles de la France et appréhendait une guerre plus importante encore, celle contre la France. Elle commencera en février 1802 avec le débarquement de l’expédition Leclerc. Au mois de mars, Dessalines et ses troupes affrontèrent les Français pendant trois semaines avec une résistance soutenue pour défendre le fort stratégique de la Crête-à-Pierrot. À court de munitions et de réserves, et forts de l’annonce de Dessalines que cette guerre serait pour l’indépendance, ses forces réussirent une évacuation spectaculaire durant la nuit, à travers les lignes de l’ennemi dix fois plus nombreux. Cependant, en mai, le général Christophe se rallie à Leclerc. Celui-ci offre à Toussaint une retraite honorable en permettant à ses officiers de garder leurs grades. En juin, son arrestation par le général Brunet, et sa déportation en France, poussent au ralliement à Leclerc de plusieurs militaires dont Dessalines. Celui-ci mena une guerre féroce aux insurgés et à leurs chefs indépendants, pour la plupart africains, qui par milliers, se soulevaient face à la nouvelle du rétablissement de l’esclavage en Guadeloupe. Plus la résistance augmentait plus la violence de l’armée française s’intensifia. Dans le Sud, on entassait des militaires noirs et de couleur dans les câles de bateaux remplis de soufre—les premiers chambres à gaz dans l’histoire moderne de la guerre. En octobre, 1802, Dessalines et Pétion  vont abandonner les rangs de Leclerc et organiser une armée indigène sous le commandement suprême de Dessalines. Les chefs indépendants africains, notamment Sans-Souci dans le Nord et Lamour Dérance, un ancien partisan de Rigaud dans l’Ouest, traqués sans répit par Christophe et Dessalines sous les auspices de Leclerc, refusaient de se soumettre au commandement de Dessalines et furent assassinés. Le 18 novembre 1803, à Vertières, les Indigènes victorieux mettaient fin à l’expédition française. Le 19, Donatien Rochambeau, qui avait assumé la direction de l’expédition après la mort de Leclerc en novembre 1802, capitula. 

Le règne de Dessalines

Le 1er janvier, 1804, à Gonaïves, l’indépendance d’Haïti fut proclamée et consacrée dans un acte solennel présenté et signé par Dessalines et 36 généraux et officiers de l’Armée Indigène ainsi que Boisrond-Tonnerre, l’auteur de l’Acte de l’Indépendance. Ils juraient de « renoncer à jamais à la France », de ne plus jamais vivre sous sa domination et de combattre jusqu’à la mort pour l’Indépendance. Mais aussi ils vouaient « la paix aux voisins ». On adopta le nom d’Hayti, donné à l’île par ses premiers occupants Tainos, décimés par l’arrivée des Espagnols au quinzième siècle, pour désigner le nouveau pays et ainsi se venger des siècles du colonialisme européen. L’indépendance acquise, il fallait consolider la révolution, créer les fondations institutionnelles d’un nouvel État noir, garantir sa sécurité et protéger ses citoyens contre tout atteint à leur liberté. La présence d’une force active de quelque 2 000 troupes françaises sous le commandement du général Ferrand dans la partie est de l’île, où Ferrand avait rétabli l’esclavage, laissait planer une menace palpable à la liberté des Haïtiens. Dans un premier acte, le 29 février 1804, Dessalines ordonna l’arrestation, puis en avril le massacre, de tous les Français vivants encore dans l’île soupçonnés d’avoir pris part aux atrocités commandés par Leclerc et Rochambeau. Le nombre exact de victimes reste incertain mais pouvait s’élever à moins de 2 000. Les Blancs qui, par leur savoir ou utilité pouvaient aider le pays—prêtres, médecins, ouvriers, ainsi que des soldats polonais ayant déserté l’armée française pour se battre dans l’Armée indigène, furent épargnés. Or, avec l’élimination des colons blancs, la question de la propriété des terres s’imposait et mettait en lumière les divisions inhérentes de classe et de couleur datant du régime colonial. Dessalines ordonna la résiliation des baux à ferme de toutes les habitations, justifiant sa décision ainsi : « depuis que nous avons chassé les colons, leurs enfants réclament leurs biens; les Noirs dont les pères sont en Afrique n’auront donc rien (…) ». Désormais, l’État seul sera détenteur du vaste domaine national.

En février, 1804, Dessalines renonça au titre de gouverneur-général à vie pour prendre celui d’empereur, et le 8 octobre se fit couronner Jacques 1er d’Hayti. Le 20 mai, 1805, il promulgua une constitution qui créa « l’Empire haytien » et confirma son rôle d’Empereur ainsi qu’un conseil d’État composé de généraux et de son secrétaire, Boisrond-Tonnerre. L’esclavage fut à jamais aboli, mais le système plantationnaire maintenu, avec les grandes habitations distribuées principalement aux militaires et les cultivateurs, soumis au caporalisme agraire, restaient rattachées à la glèbe. L’administration du pays, l’armée, les relations étrangères, le commerce extérieur ainsi que l’économie furent du domaine exclusif de Dessalines. De plus (art. 12), il était interdit à jamais, à tout homme blanc, quelle que soit sa nationalité, à l’exception des Polonais et Allemands naturalisés (art. 13), de posséder de la terre en Haïti. Finalement (art. 14), pour faire cesser toute distinction de couleur héritée de l’ancien régime racialisé de l’époque coloniale et ainsi jeter les bases d’une nouvelle identité haïtienne commune : « les Haïtiens ne seront désormais connus que sous la dénomination générique de Noir ». 

La fin du règne et assassinat de Dessalines

Le règne de Dessalines fut bref. Sa politique de répartition des terres, sa gouvernance dictatoriale, son contrôle sur le commerce extérieur et la gestion agraire antagonisaient les plus hauts placés de l’oligarchie du Sud et de l’Ouest, notamment Pétion et Gérin, Avec, entre autres, la neutralité complicite de Christophe, ils préparaient une révolte pour renverser le régime. Le 17 octobre, 1806, en route pour la mâter, Dessalines tomba dans un guet-apens au Pont-Rouge où il fut assassiné, son corps mutilé et démembré. Une pauvre femme, qu’on appelait Défilée La Folle, avait ramassé ses restes dans un sac de toile pour les faire enterrées. Elles seront transférées au Musée du Panthéon national haïtien pour commémorer et redonner honneur au héros de l’Indépendance. Dans le panthéon des loas du vaudou haïtien, Dessalines est le seul des « pères fondateurs » qui est vénéré.

Publié en décembre 2024