De Sieradz à Paris
Né le 24 décembre 1884 à Sieradz, une petite ville au centre de la Pologne, Antoni Cierplikowski se passionne très tôt pour la coiffure. À 15 ans, il quitte sa ville natale pour se former à Łódź, puis à Varsovie, avant de s'installer à Paris en 1903. Il débute alors dans la confection de perruques au salon de M. Decoux. Sa carrière prend un tournant inattendu lorsque, lors de la fête des catherinettes, on lui demande d’aider à coiffer les clientes. Le succès est immédiat. En 1904, une cliente perd son chapeau et, dans un geste audacieux, Antoine le remplace par une coiffure innovante en cheveux. Cette création fait sensation, et bientôt toutes les Parisiennes souhaitent être coiffées par « ce petit Russe ».
Sa rencontre avec la manucure Marie-Berthe Astier, alors qu'ils travaillaient ensemble au salon Calou, s'avérera déterminante par la suite. Devenue à la fois son épouse et sa précieuse collaboratrice, Marie-Berthe se distingue par ses talents de gestionnaire et son sens aiguisé des affaires. Le couple rentre à Paris en 1909 après un séjour à Londres et s'installe à Montmartre. Le talent d’Antoine attire rapidement les comédiennes, les stars des cabarets et les courtisanes célèbres, toutes en quête de sa créativité et de son flair unique.
La Coupe révolutionnaire à la garçonne
L’automne 1909 marque une étape décisive dans sa carrière lorsque le Théâtre des Variétés fait appel à lui pour rajeunir Ève Lavallière, une comédienne de 43 ans. Elle devait jouer Antoinette, jeune fille de 24 ans, dans la pièce d’Alfred Capus Un Ange. Antoine coupe ses cheveux court – une véritable révolution pour l’époque. Cette coupe, sera surnommée plus tard « à la garçonne ».
Une femme nouvelle
Même si Lavallière triomphe, la coupe « à la garçonne» ne devient populaire qu’après la Première Guerre mondiale. Les bouleversements sociaux et l'évolution des mœurs durant la Grande Guerre incitent les femmes à s’émanciper. En prenant la place des hommes partis au front, elles commencent à travailler dans les usines et à conduire des voitures, et les cheveux courts s’avèrent bien plus pratiques.
Le Salon du 5, rue Cambon
En 1912, fort de son succès grandissant, Antoine ouvre son propre salon au 5, rue Cambon à Paris. Il y propose des soins de beauté novateurs : lavage des cheveux, coupes, teintures. Les clientes pouvaient y profiter des services d’une manicure, d’une masseuse et d’une maquilleuse qui proposait, entre autres, d’ajouter de faux cils, fabriqués à partir de cheveux humains.Dans ses lettres à sa sœur, Ernest Hemingway recommandait ce salon comme le meilleur de Paris. C’est un lieu incontournable pour les grandes stars de l’époque, telles que Marlene Dietrich, Greta Garbo, Joséphine Baker, Claudette Colbert, Kiki de Montparnasse et Arletty et bien d’autres. Il coiffait aussi bien des courtisanes célèbres telles que Mata Hari et Liane de Pougy, que des aristocrates et des têtes couronnées du monde entier : la reine Nazli d'Égypte, la reine Marie de Roumanie et la reine Astrid de Belgique. Wallis Simpson comptait parmi ses muses favorites.
Le Succès Mondial
En 1916, le couple Cierplikowski achète une propriété à Gravigny où il lance une usine de cosmétiques. Dès les années 1920, Produits de beauté Antoine conquièrent le marché mondial avec des produits fabriqués à base d'ingrédients naturels. Il élargit la gamme de produits et en améliore la composition. A partir de 1925, il réalise les premiers cosmétiques bronzants de la gamme Bain de Soleil et les autobronzants Orange Gelée. En 1937, il lance même un parfum iconique, « Rue Cambon ».
La Coiffure de Paris : revue professionnelle illustrée artistique, littéraire, scientifique. 30 novembre 1927.
Son influence s’étend bien au-delà de Paris : en 1927, il ouvre un showroom à New York, conquérant les États-Unis sous le nom d’Antoine de Paris. Il collabore ensuite avec les studios de Hollywood et MGM, il ouvre des salons à Londres, Varsovie, Marseille et Cannes. Antoine se distingue également dans le monde du spectacle en créant des perruques et des costumes pour le théâtre, le ballet et l’opéra, notamment pour les Ballets Russes.
Une Vie Mondaine et Artistique
Antoine était autant connu pour son talent que pour son excentricité. Il se distinguait par ses tenues extravagantes, souvent conçues par l’artiste Sarah Lipska, et il fut même immortalisé par Kees van Dongen dans un célèbre portrait. Il possédait un sens exceptionnel du style et de l’élégance. Surnommé tour à tour « le roi des coiffeurs », « le coiffeur des rois », « l’empereur de la coiffure », « le Napoléon des permanentes », « le coiffeur des étoiles » ou encore « le Phidias de la coiffure », il était une véritable icône. Chouchou de la presse, ses créations occupaient une place de choix dans les médias. Ses soirées dans sa « Maison de Verre » au 4 rue Saint-Didier, dans le 16e arrondissement de Paris, attiraient le tout-Paris. Il y gérait également une école de coiffure et d’esthétique. En 1937, au 1 avenue Paul-Doumer il fait construire un des immeubles le plus modernes de Paris.
En 1932, il lance un magazine de luxe, Antoine. Document pour la femme moderne, abordant des thèmes allant de la mode à l'art de vivre. Il inspire aussi des œuvres de fiction, comme la pièce de théâtre Coiffeur pour dames de Marcel Gerbidon et Paul Armont, qui sera adaptée au cinéma en 1933 et 1952.
Antoine, passionné par l’art, étudie aussi la sculpture avec le célèbre sculpteur polonais Xawery Dunikowski et expose même ses œuvres au Salon des Indépendants.
Le Retour aux Sources
Durant la Seconde Guerre mondiale, Antoine se réfugie aux États-Unis, laissant la gestion de ses affaires à son épouse. Il revient en France en 1947, où il continue de travailler pendant vingt ans. En 1965, il retourne en Pologne pour la première fois depuis la guerre et finit par s’y installer définitivement. Il vit modestement à Sieradz, sa ville natale, jusqu'à sa mort le 5 juillet 1976. Il emporte avec lui ses secrets, y compris celui du destin de ses immenses richesses.
Véritable pionnier de la coiffure moderne, Antoine a laissé une empreinte indélébile dans l’histoire de la mode et de la beauté, alliant innovation, art et style.
Publié en novembre 2024