Paris devint, dans cette période, la seconde capitale musicale polonaise. Les artistes s’y rendaient en nombre. Ils y recherchaient du travail, des sources d’enseignement et d’inspiration.
Cet exode musical répondait à des motivations artistiques et à la curiosité. Le mythe de Paris, ville d’art ouverte à tous, prenait une nouvelle ampleur. Elle promettait de réaliser les rêves et les projets de jeunes musiciens, au seuil de leur carrière, avides de connaissances et de succès. Conquise en 1918, l’indépendance de la Pologne avait libéré de nouvelles énergies et le désir de se confronter à la nouvelle réalité.
Karol Szymanowski conseillait fortement à ses élèves de se rendre à Paris. Il était lui-même un ambassadeur zélé et un promoteur des valeurs esthétiques et spirituelles de la musique française qu’il voyait comme un symbole de modernité. Le compositeur polonais devint un guide pour la génération de musiciens arrivés à maturité dans les années 20 et 30. La francophilie brillait alors au firmament. En quête de modèles artistiques et d’inspiration, les héritiers de Szymanowski n’avaient d’yeux que pour la France.
Mais l’amour de l’art ne suffisait pas. Les jeunes devaient également trouver des fonds pour payer leur voyage et subvenir financièrement à leurs besoins sur place. L’État polonais leur vint en aide avec la création en 1926 de Towarzystwo Szerzenia Sztuki Polskiej wśród Obcych (TOSSPO) [l’Association de diffusion de l’art polonais parmi les étrangers] et en 1928 de Fundusz Kultury Narodowej (FKN) [le Fonds pour la culture nationale]. Leur mission consistait à soutenir la création scientifique et artistique polonaise à l’étranger en octroyant des bourses individuelles et des fonds à des maisons d’édition et à des associations.
Ce que la presse française rapporta des activités des artistes polonais
De nombreux artistes polonais se produisirent dans les salles de concert parisiennes. Il y avait parmi eux des musiciens installés avant la Grande Guerre et déjà profondément intégrés au milieu musical, comme Wanda Landowska, Alexandre Tansman et Marya Freund. Par ailleurs, de grands virtuoses – Ignacy Jan Paderewski et Bronisław Huberman – se produisaient sur les scènes parisiennes. Quant à Felix Łabuński, Piotr Perkowski, Antoni Szałowski, Tadeusz Szeligowski, ils formèrent avec quelques autres l’Association des jeunes musiciens polonais. Les jeunes suivirent l’enseignement de professeurs français, aussi bien dans des établissements publics qu’en cours privés. En particuliers à l’École normale de musique, plus rarement au Conservatoire et à la Schola Cantorum.
La présence polonaise à Paris s’affirma donc dans de nombreux domaines de la vie musicale. La presse française en témoigne : les périodiques musicaux (Le Ménestrel, Le Courrier musical, La Revue musicale, Le Monde musical), les journaux (Le Figaro, Le Temps, L’Intransigeant, La Liberté, L’Écho de Paris, Le Matin, Le Petit Parisien, Journal des débats, Candide, Comœdia, Excelsior) ainsi que La Pologne politique, économique, littéraire et artistique, édité par l’Association France-Pologne.
Grâce à la presse et aux programmes, il est possible de reconstituer les manifestations majeurs et les activités des musiciens polonais. Parmi les pianistes il y avait des célébrités et des interprètes moins connus : Artur Rubinstein, Józef Śliwiński, Zygmunt Dygat, Jerzy Lalewicz, Auguste de Radwan, Leo Sirota, Erwin Brynicki, Artur Hermelin, Jan Smeterlin, Ignaz Friedman, Leopold Godowski, Zbigniew Drzewiecki, Albert Tadlewski, Czesław Marek, Wiktor Łabuński, Ryszard Byk, Henryk Sztompka i Stanisław Niedzielski, Lucyna Robowska, Zofia Jaroszewicz, Helena Krzyżanowska, Wanda Piasecka. Certains étaient aussi des pédagogues. Dans sa méthode de piano, Louta Nouneberg présentait les résultats de ses recherches sur la technique du piano basée sur l’étude des mouvements au ralenti. Violonistes : Bronisław Huberman, Eugenia Umińska, Roman Totenberg, Irena Dubiska et chanteuses : Marya Freund, Maria Modrakowska, Ewa Bandrowska-Turska, Ada Sari, Stanisława Korwin-Szymanowska, Stanisława Argasińska, Ina Zadora Zbierzchowska, Maneta de Radwan, Wanda Strela, Tola Korian, Zofia Massalska, Stefania Millerowa, Irène Downar-Zapolska, Janina de Witt, Ganna Walska, Tonia Pavel-Kleczkowska, ne manquaient pas non plus à l’appel.
La presse montra de l’intérêt pour des actions spectaculaires, notamment le Gala polonais à l’Opéra (1925), le Festival de musique polonaise (1932), la première de Harnasie (1936), les concerts de l’orchestre de la Radio polonaise et les spectacles des Ballets polonais dans le cadre de l’Exposition universelle (1937). Institutions nationales et services diplomatiques polonais s’engagèrent activement dans l’organisation de ces événements.
Axes de recherche, sources
Cet article et les suivants ont étés rédigés dans le cadre du projet de recherche « Presence of Polish Music and Musicians in the Artistic Life of Interwar Paris » financé par le Centre national de la science, Pologne (NCN OPUS 12), Projet ID : 2016/23/B/HS2/00895. Les résultats de cette recherche ont été publiés dans l’ouvrage Muzyczny Paryż « à la polonaise » w okresie międzywojennym. Artyści – Wydarzenia – Konteksty [Paris, ville musicale polonaise dans l’entre-deux-guerres. Artistes, manifestations, contextes], Cracovie, Éditions Księgarnia Akademicka, 2020.
Cette recherche vise à analyser diverses occurrences de la présence musicale polonaise à Paris dans l’entre-deux-guerres : l’activité des compositeurs et des interprètes ; la présence d’œuvres polonaises dans les programmes de concerts ; les manifestations polonaises et les opinions de la critique. Le but de ce travail est de retrouver les traces de cette présence, les étudier et exposer dans un contexte plus large en explorant plusieurs sources : la presse (musicale et quotidienne), les programmes de concerts, les archives et enfin la correspondance, notamment celle que des élèves polonais ont adressée à Nadia Boulanger.