La majorité des quelques 5000 Polonais exilés en France dans la seconde moitié du XIXe siècle, était constituée de jeunes hommes célibataires. Pour certains la photographie devint non seulement un moyen de subvenir à leurs besoins, mais fut aussi un facteur d’intégration et de réussite sociale. Plusieurs d'entre eux marquèrent pour toujours l'histoire de la photographie française.
Nouvelle maison - nouvelle profession
Lors de la première vague d'émigration polonaise vers la France, dans le sillage de l’échec des deux grandes insurrections nationales de 1831 et de 1863, nombre de réfugiés - des jeunes hommes, pour la plupart issus de la noblesse et de l'aristocratie terrienne - poursuivent leurs études commencées en Pologne, tandis que d'autres cherchent un métier leur permettant avant tout de gagner leur vie. La photographie, nouveau domaine de l'industrie et des services, connaît alors un développement vertigineux, laissant espérer, malgré une concurrence considérable, un retour sur investissement rapide et un revenu stable. Ce concours de circonstances conduit à l’apparition de nombreux noms polonais dans l'histoire de la photographie française. Rien qu'à Paris, on en compte près de quarante dans la deuxième moitié du XIXe siècle.
Les daguerréotypistes polonais en France
Dans la capitale française, obnubilée par la daguerréotypomanie, les studios photographiques se multiplient. De nombreux réfugiés polonais s'y essayent, investissant dans des équipements extrêmement coûteux et prenant des leçons auprès des maîtres locaux. Parmi les premiers, l’on trouve Józef Feliks Zieliński (1808-1878) qui avait exercé la profession de banquier avant l’exil. Une fois installé en France, il se tourne d’abord vers la carrière de publiciste et d’ingénieur pour devenir enfin un adepte du pionnier de la photographie Pierre Ambroise Richebourg (1810-1875). Zieliński devient propriétaire d'un atelier de daguerréotypie itinérant, qui opère dans toute la France, et d'un atelier permanent à Nantes. En 1844, il publie un article dans la presse de l'émigration intitulé « Sur un daguerréotype », dans lequel il souhaite partager avec ses compatriotes les secrets de la technique, ainsi que sa propre invention de coloration de la plaque. Ses œuvres, conservées, entre autres, à la Bibliothèque polonaise de Paris, témoignent de sa parfaite maîtrise de l'art du daguerréotype.
Inventeurs, artistes, entrepreneurs
Une vingtaine de photographes polonais actifs à Paris sont membres de la Société française de photographie, créée en 1854, qui rassemble les artistes amateurs les plus remarquables et, plus tard, des photographes professionnels. Dans les bulletins de l'association, nous pouvons trouver des preuves de la participation active des Polonais à la vie photographique locale. Nombre de leurs inventions et améliorations font l'objet de brevets. On compte parmi ces photographes inventeurs : Michał Szweycer (1808-1871), ancien insurgé, mort tragiquement pendant la Commune de Paris, auteur du portrait d'Adam Mickiewicz (1798-1855) copié par Nadar ; Jan Mieczkowski (1830-1889), qui, outre son établissement à Varsovie, possède également une succursale à Paris en 1880, sur la toute nouvelle avenue de l'Opéra ; Henri-Gaston Niewenglowski (1871- ?), auteur, non seulement de magnifiques photographies botaniques, mais est aussi à l’origine de plusieurs améliorations et traités sur les aspects techniques de la photographie ou de ses applications pratiques ; Ludwik Ogonowski (1858-1921), propriétaire d'un studio photographique et détenteur de plusieurs brevets concernant le système de gradation de la lumière ; le frère aîné de ce dernier Edgard Ogonowski (1848-1924) pratique également la photographie en Touraine. Citons également Stanislas Ostroróg (1834 ?-1890 ?), qui exerce sous le pseudonyme de « Walery ». Ce portraitiste des têtes couronnées, de l'aristocratie et de la crème de la société à Paris et en France dirige également des studios à Marseille, Londres et Varsovie. Son fils Stanislas Julian Ignacy Ostroróg (Lucien Walery) (1863 ?-1929 ?) poursuit l'œuvre de son père, étant lui-même l'auteur, entre autres, de photographies remarquées de danseurs des ballets russes. Un autre photographe parisien, Adam Druchlinski (1835-1898), devient le photographe officiel du ministère de la Guerre et réalise les portraits de nombreux membres éminents de l'élite française.
„Dissertations…” d’Alexandre Ken
Parmi les premières études historiques et théoriques sur la photographie figure l’ouvrage d'Alexandre Ken ( 1831 ?-1874) intitulé Dissertations historiques, artistiques et scientifiques sur la photographie, publié à Paris en 1864. L'artiste, venu de Varsovie très probablement en 1859, devient rapidement l'un des portraitistes les plus populaires de la capitale française et son atelier du 10 boulevard Montmartre produit non seulement des portraits en cartes de visite mais aussi des reproductions d'œuvres d'art, des photographies théâtrales et érotiques. Dans son livre, Ken retrace la naissance et le développement d'une nouvelle méthode de représentation photographique, il inclut également des réflexions sur la dimension esthétique de la photographie, ce qui le fait considérer comme un pionnier de la critique dans ce domaine. Le chapitre consacré aux aspects pratiques du travail dans un studio photographique a servi de manuel pendant des décennies, établissant des normes pour l'art du portrait.
Paris comme point de référence
La ville lumière est, tout au long du XIXe siècle, un point de référence pour les photographes polonais restés dans leur pays. Ils sont nombreux à venir régulièrement en France pour s'informer sur les dernières technologies et tendances ou pour trouver l’inspiration. C'est là qu'ils achètent les équipements les plus récents ou les brevets de techniques qu'ils revendent ensuite à l’est de l’Europe. C’est en France qu’ils peuvent, lors des expositions universelles et professionnelles, présenter leurs œuvres et rivaliser avec les entrepreneurs locaux dans l'art de la photographie, remportant souvent des prix et des distinctions. On peut affirmer que certains, à l’instar de Karol Beyer (1818-1877), Maksymilian Fajans (1825-1890) ou Konrad Brandel (1838-1920), contribuent à propager le style et le chic français dans la photographie polonaise.
Publié en juillet 2021.