Au XIXe siècle, de nombreux artistes polonais étudient, travaillent et séjournent plusieurs mois voire plusieurs années à Paris. L’une des nombreuses traces de cette présence est l'aquarelle de Juliusz Kossak Atelier de Henryk Rodakowski à Paris=Pracownia Henryka Rodakowskiego w Paryżu (1857), conservée dans la collection du Musée national de Varsovie.
Atelier de Henryk Rodakowski à Paris
Dans cette aquarelle Kossak montre l'atelier de Henryk Rodakowski que ce dernier occupera après le peintre Paul Delaroch (1797-1856). La pièce au plafond très haut est spacieuse et remplie d'objets divers : des copies de sculptures anciennes, de meubles précieux, de la vaisselle et des textiles ainsi qu’une collection d'armes polonaises et orientales du XVIIe siècle
Il ne s’agit donc pas seulement de témoigner du lieu de travail de l’artiste, mais c’est un espace de représentation symbolique qui met en relief ses centres d’intérêts, sa position sociale élevée et sa réussite professionnelle.
On y aperçoit trois hommes : Henryk Rodakowski, debout devant le chevalet, Juliusz Kossak assis dans un fauteuil et Leon Kapliński sur le canapé, dans une pose décontractée. Ces trois peintres polonais deviennent amis au cours de leur séjour à Paris, ils s’inspirent et se soutiennent mutuellement.
Henryk Rodakowski (1823-1894)
Conformément à la tradition familiale, Henryk Rodakowski entreprend des études de droit à Vienne en 1841 et en parallèle il cultive ses passions artistiques. En 1846, il part pour Paris afin de poursuivre les études de peinture dans l'atelier de Léon Cogniet, qui compte déjà de nombreux Polonais parmi ses élèves. Il entretient des contacts avec la communauté polonaise centrée autour de l'Hôtel Lambert et de la famille Czartoryski. Il fréquente Cyprian Norwid et Teofil Lenartowicz et se lie d’amitié avec Juliusz Kossak et Leon Kapliński.
Ses œuvres sont exposées régulièrement aux Salons de Paris. Pour le Portrait du général Henryk Dembiński=Portret generała Henryka Dembińskiego (Musée national de Cracovie) il est primé par une médaille d'or en 1852 et le Portrait de la mère=Portret matki (1853, Muzeum Sztuki à Łódź) est chaleureusement accueilli par la critique et le public. Dans son Journal du 8 avril 1853 Eugène Delacroix écrira à propos de ce tableau : J'ai vu un véritable chef-d'œuvre.
Rodakowski est considéré comme l'un des peintres polonais majeurs du XIXème siècle. Il démontre une maîtrise particulière dans le domaine du portrait en créant des œuvres psychologiquement profondes, parfaitement composées, avec des coloris sophistiqués. Il s’essaye également aux grandes compositions historiques, puisque cette thématique occupe une place de choix dans la hiérarchie académique des thèmes à cette époque.
Juliusz Kossak (1824-1899)
Très populaire en Pologne, Juliusz Kossak est un peintre de batailles, illustrateur et un incomparable peintre de chevaux.
Son mariage avec Zofia Gałczyńska, issue d’une famille fortunée et dont le père soutient avec sympathie ses aspirations artistiques, lui permet de se rendre à Paris en 1855.
Kossak rêve d’étudier chez Horace Vernet (1789-1863), créateur de nombreuses œuvres consacrées à l'épopée napoléonienne qu’il connaît grâce à des lithographies populaires et très admirées en Pologne. Il est également attiré par les deux thèmes favoris du maître français: le cheval et la bataille. Malheureusement, quand il arrive à Paris, le maître ne donne plus de cours. Cependant, Vernet accueille avec bienveillance le jeune Polonais et lui prodigue des conseils. Il se lie même d’amitié avec la famille Kossak, au point de devenir le parrain de Wojciech, l'un des jumeaux du couple nés à Paris. Wojciech deviendra par la suite un peintre aussi célèbre que son père.
Dans les œuvres de Juliusz, on retrouve de nombreux motifs chers à Vernet dont celui du soldat tué, représenté par un raccourci caractéristique au premier plan de la composition.
Au Louvre Juliusz étudie et copie les œuvres des grands maîtres, dessine les silhouettes de chevaux dans la rue et dans les casernes et découvre leur anatomie à l'abattoir. Il noue des relations amicales avec d'autres artistes polonais qui séjournent à Paris: Henryk Rodakowski, Leon Kapliński, Henryk Pillati, Józef Brandt et devient l’ami du poète Cyprian Kamil Norwid.
Le séjour de la famille Kossak à Paris s'achève en 1860, lorsqu’un magazine populaire de Varsovie Tygodnik Ilustrowany lui propose de l’engager comme illustrateur.
Leon Kapliński (1826-1873)
Leon Kapliński étudie le droit et la philosophie en Pologne.Très engagé dans l’action clandestine contre le régime tsariste, il s’enfuit en Grande-Pologne (Province de Poznanie, Royaume de Prusse) afin d’échapper à la prison. Néanmoins la poursuite de ses activités politiques lui vaut d’être arrêté et enfermé à la prison berlinoise de Moabit. Il est jugé dans le "procès de Berlin" intenté contre 254 participants à la conspiration polonaise, accusés d'avoir préparé le soulèvement de la Grande-Pologne en 1846.
Depuis 1849 ou 1850 il habite en France et entame les études à Paris chez Ary Scheffer (1795-1858) et Joseph Nicolas Robert-Fleury (1797-1890). Son art est influencé par la peinture de Henryk Rodakowski. Il participe activement à la vie de l'émigration polonaise liée à l'Hôtel Lambert. En 1871 il revient en Pologne.
Légende de l'illustration : Pracownia Henryka Rodakowskiego w Paryżu. J. Kossak. 1857