L’une des images iconiques de la Révolution française montre Marie Antoinette emprisonnée au Temple. Néanmoins son auteur reste relativement peu (re)connu et ses œuvres sont souvent attribuées à d’autres artistes. Qui était ce peintre polonais, qui prit le risque d’une telle tâche à la période de la Terreur ?
Pensionnaire royal devenu portraitiste
Originaire de Varsovie, Aleksander Wojciech Kucharski naquit le 18 mars 1741. Il fut le douzième et dernier enfant d’un capitaine de l’armée d’Auguste III, électeur de Saxe et roi de Pologne. Bien que les sources concernant sa jeunesse soient incomplètes, il est parfois considéré comme l’élève de Marcello Bacciarelli, peintre d’origine romaine, actif à Dresde, Vienne et Varsovie. Page à la cour de Stanislas Poniatowski, « stolnik » (panetier) de Lituanie qui sera élu roi de Pologne en 1764, Kucharski bénéficia d’une pension de son protecteur et de la confidente de ce dernier, Madame de Geoffrin, et poursuivit ses études à Paris dès 1760. Il y étudia à l’Académie royale de la peinture et sculpture sous la direction de Carle van Loo et Joseph-Marie Vien, à qui le roi Stanislas commanda les tableaux historiques pour le château royal de Varsovie. A cette époque, le jeune peintre remporta des prix importants, et notamment pour son Sacrifice de Manoach (1760), ainsi que deux récompenses aux concours d’expression (1763 et 1769). Son talent pour l’art du portrait lui valut une reconnaissance dans le milieu académique, comme en témoigne le frontispice de Gabriel-Pierre-Martin Dumont, professeur de l’Académie d’Architecture (publ. 1767). Cependant, le succès de son parcours personnel en tant que portraitiste entraîna un refroidissement des relations avec son mécène royal, qui favorisa par la suite son autre protégé qui séjournait à Rome, Franciszek Smuglewicz, ceci dans le but de stimuler le développement de la peinture historique en Pologne. La détermination de Kucharski à se consacrer à un genre artistique moins prestigieux aboutit, d’une part, à la fin du soutien royal en 1767 et, d’autre part, au développement rapide d’une carrière dans les cercles privilégiés de Paris et Versailles.
Peintre courtisan
Ayant achevé ses études académiques, Kucharski se spécialisa dans les miniatures et portraits au pastel, à l’huile et à la gouache, souvent de nature intime et à la psychologie approfondie. Si l’attribution du portrait de la dauphine Marie Antoinette de 1770 signé par un certain Kernoskii à Vienne reste incertaine, il est clair que Kucharski a déploya ses connections internationales pour élargir son réseau artistique à Paris. Comme l’indique l’inventaire de la collection de Poniatowski, Kucharski réalisa des portraits au pastels de la princesse Izabela Czartoryska, née Flemming, et de ses filles, lors de leur séjour à Paris dans les années 1773/74. Il fit également un portrait du comte Michał Wielhorski, gravé par Charles Macret (entre 1775 et 1780). Mais c’est son engagement en tant que professeur de dessin d’Adelaïde de Condé en 1776 puis de la Princesse de Lamballe, sa cousine et favorite de la reine, qui lui valut l’accès à la famille royale. Les portraits des femmes de ce milieu privilégié, souvent représentées avec une inclinaison caractéristique de la tête, comprennent la Reine et son entourage, y compris la Duchesse d’Orléans, la Marquise de Lage de Volude, la Comtesse de Polastron. Par ailleurs, Kucharski ne recule pas devant les représentations des intellectuels moins loyaux envers la monarchie absolue, tels que le couple Laclos ou Olympe de Gouges, dont les portraits au pastel lui sont attribués. Cependant, ce n’est qu’après l’éclatement de la Révolution française que son talent put se déployer avec le plus d’éclat.
Tableaux blessés
Après le départ d’Élisabeth Vigée-Lebrun de Paris en octobre 1789, Kucharski accéda au poste de peintre royal malgré les dangers imminents de la Révolution. Dépassant les conventions développées par Vigée-Lebrun, il limita l’idéalisation de ses modèles et rétrécit les cadres des portraits de la reine et du dauphin. Il en résulta une intensification de l’effet d’immédiateté qui favorisa les pratiques dévotionnelles chez les royalistes comme dans le cas du reliquaire du Musée Carnavalet créé par Pauline de Tourzel. La mère de cette dernière, gouvernante des enfants royaux, décrivit ainsi l’impact du portrait au pastel de Marie Antoinette, resté inachevé en raison de la prise du palais des Tuileries: «une ressemblance parfaite quoique bien abîmé par tout ce qu'il a souffert. Ce portrait de la reine reçut le 10 août [1792] deux coups de piques des révolutionnaires ». Kucharski atteignit l’apogée de sa puissance émotionnelle dans son dernier pastel de la reine posant en deuil après la décapitation de son époux que l’artiste aurait exécuté, selon une annotation postérieure, en tant que membre de la garde nationale de la prison au Temple. Cette image iconique, inscrivant dans l’imaginaire collectif les derniers jours de la « Veuve Capet » est mentionnée par celle-ci dans les procès-verbaux précédant son exécution en Octobre 1793 comme étant l’œuvre de « Coëstier, peintre polonais, établi depuis plus de vingt ans à Paris. »
Pourquoi Kucharski prit un tel risque au moment de la chute politique de sa protectrice ? Ses motivations restent obscures, néanmoins ce paradoxe pourrait en partie s’expliquer par le haut degré d’autonomie dont l’artiste jouissait en raison de son statut d’étranger dont l’ambivalence est exprimée dans la citation ci-dessus ainsi que par son attachement aux représentations royales dont il diffusa des copies des années après la mort des monarques.
Bénéficiaire d’une pension civile, accordée par Louis XVIII en reconnaissance de ses services, le dernier portraitiste de Marie Antoinette s’éteignit à l’hôpital Sainte Périne, le 5 novembre 1819.
Publié en novembre 2023