Nadar et la Pologne

Depuis sa jeunesse et tout au long de sa longue et bouillonnante vie, Nadar, de son vrai nom Gaspard-Félix Tournachon (1820-1910), croise et photographie les Polonais.

Sensible aux malheurs de leur patrie disparue des cartes de l'Europe à la fin du XVIIIe s. il est prêt d’aller se battre pour elle. En 1848, dans un élan romantique de jeunesse, il entreprend une tentative de participer activement à sa libération, accompagné de son frère Adrien et son ami Antoine Fauchery, tous munis de passeports aux noms polonisés…

Jeunesse de bohème

Fils d’un imprimeur lyonnais, Gaspard-Félix Tournachon dit Nadar naît à Paris le 6 avril 1820 où son père s’installe après avoir fait faillite. Félix grandit dans une atmosphère familiale imprégnée des idées libérales. A la mort de son père, il abandonne ses études de médecine entreprises à Lyon et revient à Paris âgé de dix-sept ans. Il mène une vie de bohème en s’essayant au dessin, à l’écriture, au journalisme et devient caricaturiste. Parmi les jeunes artistes qu’il côtoie figurent Charles Baudelaire, Théodore de Banville, Gérard de Nerval et Henri Murger. Confrontée à la pauvreté, la vie de cette jeunesse artistique n’est pas toujours aussi insouciante telle que ce dernier la décrit dans son livre Scènes de la vie de bohème.

Amitiés et engagements polonais

Nadar se lie rapidement d’amitié avec un lithographe d’origine polonaise, Karol d’Anelle, représentant les idées de cette « Grande Émigration » polonaise, arrivée en France après l’échec du soulèvement de 1830-1831 contre la domination russe. Karol l’accueille généreusement dans sa modeste mansarde et l’introduit dans le milieu des réfugiés polonais qui espèrent voir leur patrie recouvrir son indépendance. Influencé très tôt par les idées politiques de Félicité de Lamennais (1782-1854), précurseur du catholicisme social et ardent défenseur de la cause polonaise, Nadar soutient les aspirations des Polonais à l’instar du peuple et des intellectuels français tels que Jules Michelet et Edgar Quinet.

En 1848 dans le sillage de la révolution de février suivie de l’abdication du roi Louis-Philippe et de la proclamation de la Deuxième République, le poète Alphonse de Lamartine (1790-1869) devient ministre des affaires étrangères et déclare au nom du gouvernement provisoire que l’indépendance de la Pologne est une question essentielle pour la France et annonce la création du corps expéditionnaire censé libérer le pays de la domination russe. Animé par des idées romantiques, Nadar veut agir et saisit cette opportunité pour se joindre au régiment franco-polonais en compagnie de son frère Adrien et son ami Antoine Fauchery. Munis de passeports aux noms polonisés de Nadarsky (ou Turnaszewski selon certaines sources) et de Fauchersky,  ils se lancent en direction de la Pologne à l’aube du 30 mars 1848. Cette expédition tourne court : arrêtés à Magdebourg et emprisonnés en Saxe, ils sont condamnés aux travaux forcés dont ils seront rapidement libérés et ils revinnent en France. N’ayant pas pris part à la Révolution de Février, Nadar voit dans cette initiative une opportunité de se rendre utile, comme il l’exprime dans une lettre à son ami Charles Asselineau : « J’ai pu enfin trouver l’occasion de m’éprouver et d’expier l’insouciance, en rapportant ma vie à une idée généreuse, et je suis parti ».

Les Polonais photographiés par Nadar

Tout en poursuivant sa carrière de caricaturiste Nadar se lance dans la photographie dans les années 1850. Il acquiert une grande renommée, tant ses portraits s’attachent à rendre la profondeur psychologique de ses modèles. Aux côtés des célébrités françaises telles que George Sand, Charles Baudelaire, Émile Zola, Sarah Bernhardt, de nombreux Polonais prennent pose devant son objectif. Le nom Nadar sera également utilisé par Adrien Tournachon, le frère de Félix et le fils de ce dernier Paul qui exercent également en tant que photographes.

Parmi ses clients polonais le plus éminents on trouve le prince Adam Jerzy Czartoryski (1770-1861) diplomate et écrivain, chef de l’aile conservatrice de la Grande Émigration. Sa résidence l’hôtel Lambert sur l’île Saint-Louis devient le centre de l’activité politique polonaise et d’une vie culturelle où se croisent artistes polonais et français tels Frédéric Chopin, Franz Liszt, Adam Mickiewicz, Zygmunt Krasiński, Eugène Delacroix, George Sand et bien d’autres. Son portrait est considéré par Nadar lui-même comme l’une des œuvres les plus réussies. Nadar l’aurait inclus dans sa Revendication de la propriété exclusive du pseudonyme Nadar, publiée en 1857 lors de son procès contre son frère Adrien au sujet de l’utilisation du fameux pseudonyme. L’inscription faite par le prince dans le livre d’or de l’atelier Nadar : « En signe de reconnaissance à un jeune soldat qui a voulu combattre pour l’indépendance d’un pays maintenant abandonné de tout le monde. Czartoryski » témoigne de la haute estime réciproque entre les deux hommes.

Adam Mickiewicz (1798-1855) est le seul Polonais qui figure dans le fameux « Panthéon de Nadar ».  La Bibliothèque Polonaise de Paris possède son portrait photographique. Ce poète-prophète (wieszcz) figure parmi les représentants les plus illustres de la Grande Émigration. Ses œuvres, écrites en grande partie en France, imprègnent à jamais la littérature, la culture et l’imaginaire polonais. Un autre wieszcz, Zygmunt Krasiński (1812-1859) a été photographié par Nadar sur son lit de mort.

Parmi d’autres Polonais immortalisés par l’atelier Nadar on trouve des représentants de grandes familles polonaises : les princes Lubomirski et Poniatowski, le comte Branicki ; l’écrivain et journaliste Charles Edmond (Karol Edmund Chojecki) à la tête du conseil d’administration du journal « Le Temps » ; les artistes : le pianiste et compositeur d’origine polonaise Henri Kowalski et les peintres (Wojciech Kossak et Henryk Rodakowski, ce dernier est caricaturé).

 

Publié en octobre 2021.

Les photographes Nadar et les polonais

Sensibles aux malheurs de la Pologne disparue des cartes de l'Europe, Félix et Adrien rêvent de combattre pour sa libération. En 1848, dans un élan romantique de jeunesse, munis de passeports au nom polonisé de Nadarsky, ils se lancent à l'aventure qui ne va pas durer longtemps...