Artiste français naturalisé polonais. Influencé par Rembrandt et Watteau, il fut témoin de grands évènements politiques en Pologne qu'il illustra. Il est considéré en Pologne comme un peintre majeur du Siècle des Lumières.
Jean-Pierre Norblin de la Gourdaine (1745-1830), peintre-graveur d’origine française et naturalisé polonais est une personne éminente dans l’histoire des rapports franco-polonais. Son oeuvre constitue un pan incontestable tant de la culture que de la mémoire collective polonaise, une source iconographique capitale. Au début du XXe siècle le journaliste et collectionneur Tadeusz Rutowski (1852-1918) constate : "La France lui a donné la vie, la Pologne lui a offert la renommée". Pour l’historien d’art Pierre Francastel (1900-1970) : "La France du XVIIIe siècle a fait à la Pologne un magnifique cadeau dans le domaine des arts en lui donnant Norblin" et André Michel (1853-1925) dans sa monumentale "Histoire de l'art, a déclaré: Norblin ne jouerait qu'un rôle effacé dans l'histoire de l'art, s'il n'avait été le premier peintre étranger qui ait eu l'idée de peindre en Pologne des sujets nationaux". Zygmunt Batowski (1876-1944), historien d’art polonais, a noté dans la monographie de Norblin: "Il n’est pas certain s'il eût pris en France une place aussi importante que celle qu’il a prise en Pologne. Il se serait perdu dans sa patrie parmi d'autres talents comme lui; et comme d'autres artistes doués, il serait resté un peintre tardif de fêtes galantes ou un peintre conventionnel de bataille, mais il n'aurait pas ouvert de nouveaux horizons pour les artistes en Pologne, il n'aurait pas eu le mérite de former un piédestal pour l'art polonais".
Jean-Pierre Norblin de la Gourdaine naquit le 1er juillet 1745 à Misy-sur-Yonne. Ses parents Pierre-Martin Norblin et Elisabeth née Collet, tenaient une auberge dans leur domaine dit La Gourdaine. On peut lire dans les documents d’archives que le père de l’artiste : "était connu pour très honnête et que sa fortune bornée l’empêche de donner des secours à son fils". Novice dans le métier artistique, Jean-Pierre Norblin partit à Paris à la recherche de meilleures conditions de vie. À cette époque, il était élève de Francesco Casanova et Jacques-Philippe Caresme. En 1769 il rejoignit l'Académie royale de peinture et de sculpture. En septembre 1770 il fut admis à l’École Royale des Élèves Protégés grâce à une autorisation exceptionnelle du marquis de Marigny. Dans la supplique adressée à marquis on lit: "Ce jeune homme passe pour être fort rangé et très laborieux. Quelques officiers de l’Académie en parlent avantageusement. M. Dumont, recteur, le reçoit avec amitié". Malheureusement six mois plus tard, lors du décès de son maître Louis Michel van Loo, il fut obligé de quitter l’École. Ce départ fit qu’il ne put jamais concourir pour le Prix de Rome mais il eut la chance de plaire aux professeurs de l’Académie de Dresde dont il se vit décerné le grand prix.
En 1774, Norblin rencontra le prince Adam Kazimierz Czartoryski (1734-1823) qui le fit maître de dessin pour ses enfants. Le jeune artiste arriva en Pologne où il vécut à peu près 30 ans. Il réalisa quelques séries de tableaux destinés à orner les galeries des familles Czartoryski, Radziwiłł, Lubomirski mais aussi celle du roi Stanislas August Poniatowski. Il fut le premier et probablement l’unique peintre des fêtes galantes en Pologne. L’inspiration et la forte influence de Watteau se manifestent dans le triptyque constitué de trois panneaux décoratifs exécutés pour la résidence de la famille Czartoryski à Powązki : Le Petit-déjeuner dans le parc, La Kermesse dans le parc et Le Concert dans le parc. Les fêtes galantes et les concerts champêtres sont bien en accord avec l'atmosphère sentimentale de la résidence de ses mécènes. Parmi les nombreux jardins pittoresques créés en Pologne dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, seuls deux gagnèrent une grande notoriété en Europe: le jardin de Puławy de la princesse Izabela Czartoryska et Arkadia de la princesse Helena Radziwiłł. En effet, la description rimée de ces parcs fut ajoutée à la deuxième édition du poème de Jacques Delille Les jardins ou L’art d’embellir les paysages. Norblin travailla pour les deux princesses et dessina plusieurs fois les deux parcs – Puławy et « la belle Arcadie qui a mérité son nom » comme disait Delille dans son poème. En outre, Norblin exécuta la fameuse Aurore, fresque dans le style néo-classique décorant le plafond du temple de Diane au parc de la princesse Radziwiłł. Cette composition représente la déesse menant à travers les nuages les coursiers attelés au char du Soleil.
Norblin était tout à la fois héritier du rococo dans ses compositions à la manière de Watteau et chroniqueur engagé de l’histoire polonaise contemporaine. Mais il n’y a pas d’abîme entre ses scènes galantes, toutes fantaisies gracieuses, et ses tableaux de la vie polonaise, au réalisme pittoresque et précis. Il savait les réunir habilement. L’une de ses compositions - La kermesse à Bielany est empreinte de sentimentalisme tout en étant empreinte d’un grand réalisme toujours saisi sur le vif, au caractère quasi documentaire. Norblin nous a conservé tous les costumes, les figures et les gestes de son époque. En effet, le jeune peintre fut fasciné par ce pays si exotique. De plus, il fut le témoin oculaire d’événements importants. Ainsi, Norblin dessina le destin tragique du Palais de la République à Varsovie, aujourd’hui l’un des sièges de la Bibliothèque nationale polonaise qui brûla à deux reprises en 1782 et en 1787. Il observa et documenta les deux sinistres.
Le 7 septembre 1791 eut lieu la cérémonie d'ouverture de l'amphithéâtre près du Palais Royal à Łazienki à l'occasion du vingt-septième anniversaire de l'élection du roi Stanisław August Poniatowski. Ce jour-là, Norblin muni de sa plume fut présent au théâtre pour une représentation de Cléopâtre, ballet historique racontant l’histoire de batailles navales et permettant de profiter avantageusement de l'emplacement du bâtiment situé sur une île entourée de l'eau.
L’artiste étudia attentivement cette vie qui lui semblait extraordinaire et, de temps en temps, bien extravagante. De surcroît, il reproduisit, des événements politiques importants de l’Histoire de la Pologne. Le roi Stanisław August aurait anobli Norblin pour lui permettre d’observer des sièges de la Diète polonaise et de retracer sur papier les portraits de représentants. L’époque pendant laquelle Norblin était actif correspond aux lendemains du premier partage de la République des deux Nations en 1772. La Pologne perdit alors une partie importante de son territoire. Au cours du 18e siècle la Diète polonaise devint de moins en moins efficace à cause du liberum veto (veto absolu) qui était l’émanation d’une démocratie poussée à l’extrême. L’artiste exécuta des dizaines de compositions représentant les assemblées tumultueuses de petites diètes régionales. Les tentatives pour restaurer l’Etat furent nombreuses. Le roi Stanisław August Poniatowski, souverain éclairé, grand propagateur des idées du siècle des Lumières, tenta d’introduire des réformes approfondies. Ainsi le 3 Mai 1791 la Diète de Quatre Ans vota la Constitution, la deuxième constitution moderne après celle des États-Unis et la première en Europe. On fondait ainsi les bases d’une monarchie constitutionnelle avec une Diète nouvelle, capable d’agir, un système parlementaire de gouvernement. Norblin, présent au cours de cette session historique, l’immortalisa dans plusieurs dessins.
L’artiste documenta également l’invasion des armées de l’impératrice Catherine II en 1793 sous prétexte d’apporter un soutien au groupe conservateur de la noblesse hostile à la Constitution. Le parti des réformateurs fut vaincu et la Pologne à nouveau amputée de nouveaux territoires. Cette situation provoqua en 1794 l’insurrection menée par le général Tadeusz Kościuszko. Malgré les succès de ses débuts, l’insurrection succomba. Profondément engagé dans la vie de sa nouvelle patrie, Norblin était sensible à tous les événements politiques et surtout à l'héroïsme des combattants polonais. Il illustra l’épisode de la bataille de Maciejowice, entre les armées polonaise et russe, lors de laquelle Kościuszko blessé, fut capturé et envoyé à Saint-Pétersbourg. Norblin rentra à Paris en 1804 mais sa correspondance témoigne de son attachement et de sa bienveillance à l’égard de sa patrie d'adoption. En décembre 1806, un an avant la création du Duché de Varsovie par Napoléon, il écrivit au prince Czartoryski : "On dit ici que le Royaume de Pologne va reparaître sur la scène du monde. J’en suis on ne peut plus content pour la Nation Polonaise qui ne méritait pas la défaveur que lui avait fait le Destin. Au moins si elle reprend sa splendeur cela fera plaisir à tout ce que l’Europe a d’honêstes gens, pensant bien".
Toutes ses compositions historiques garantirent à Jean-Pierre Norblin le succès et une place privilégiée dans l’histoire de l’art polonaise. Il convient de souligner qu’il laissa aussi une oeuvre gravée considérable. Le Département des Estampes et de la photographie de la Bibliothèque nationale de France possède un corpus de 485 estampes tirées des planches de cuivre aux différentes étapes de réalisation. Il y en a plusieurs teintées et rehaussées à la plume par l’auteur, ce qui les rend encore plus précieuses.
Admirateur passionné de Rembrandt, Norblin s’était formé une remarquable collection d’oeuvres de son maître de prédilection. Il possédait ses dessins, ses estampes mais aussi le cuivre original de la composition Petite tombe, qu’il retoucha de sa main. Il étudia ces oeuvres soigneusement afin de saisir les secrets de ce métier. Il essaya de découvrir le secret du clair-obscur, de produire ces effets d’éclairage rembranesque, qui donnent aux scènes représentées un mystère et une étrangeté spécifiques. Enfant lisant auprès d’un feu de forge, le scribe et le dessinateur, rôdeurs de nuit portant leur lanterne allumée, mère penchée sur le berceau de son enfant.... toutes ces compositions sont réussies comme l’effet de la pénétration de la lumière dans une zone d'ombre. Plusieurs estampes de Norblin : Suzanne et les vieillards, La prédication de Saint Jean-Baptiste, La Résurrection de Lazare, l’Adoration des bergers, sont inspirées par des oeuvres du Grand Maître hollandais. Norblin exécutait plusieurs épreuves et s’amusait aux variations et modifications du clair-obscur. En assombrissant ou éclaircissant une partie de la composition il formait des personnages et des objets plus ou moins distincts. A l’aide du burin il réalisait les ombres un peu grisâtres, avec la pointe sèche il rendait les noirs veloutés et satinés.
Les oeuvres de Norblin se trouvent dans les musées et bibliothèques du monde entier : Orléans, Lille, Compiègne, Bruxelles, New Jersey, Cambridge, Londres, Vienne, Varsovie, Cracovie et Kórnik…A titre d’exemple, Alexandre et Diogène dont Norblin exécuta deux croquis en 1786 conservés au Musée national de Varsovie alors que les épreuves de six différents états d’estampe se trouvent à la Bibliothèque nationale de France et la peinture au Princeton University Art Museum.
En Pologne il forma de nombreux élèves qui deviendront maîtres dans l’art des scènes de genre : Aleksander Orłowski, Michał Płoński, Jan Rustem, Henryk Nether, Grzegorz Wakulewicz. Il est considéré là-bas comme un peintre majeur du Siècle des Lumières.
Légende de l'image : [Autoportrait au châssis] : [estampe] / [Jean-Pierre Norblin de la Gourdaine]