Que ce soit dans le cadre impérial français ou britannique, les huguenots ont été présents aux Amériques, sur le continent ou aux îles, du milieu du XVIe siècle à la fin du XVIIIe.
Jusqu’à la mort d’Henri IV (1610) et l’exclusion des protestants de la Nouvelle-France sous Richelieu (1627), une décision concomitante à l’offensive royale contre La Rochelle, les huguenots sont très actifs dans l’élaboration et la concrétisation de la politique impériale française aux Amériques. Dans les années 1550, sous l’impulsion de Gaspard de Coligny, des protestants sont parmi les colons qui s’installent dans la baie de Rio, au Brésil. Affaiblis par des dissensions, ils en sont chassés par les Portugais. Dix ans plus tard, un premier fort français, Charlesfort, est fondé dans l’actuelle Caroline du Sud, puis abandonné. Un second, Fort La Caroline, est construit dans le Nord-Est de la Floride actuelle, près de Jacksonville. Cette Floride, dite « huguenote » car les colons, en majorité protestants, ont pour chefs des capitaines de la religion réformée, Jean Ribault et René de Laudonnière, disparaît sous les attaques des Espagnols. De cette « Floride française » restent les magnifiques dessins d’Amérindiens (et une carte) du protestant Jacques LeMoyne de Morgues, les récits de Ribault et de Laudonnière, des sites touristiques et des lieux de mémoire en Floride et en Caroline du Sud. Au XVIe siècle, la course protestante, à partir des ports de La Rochelle, Le Havre, Honfleur et Dieppe, sillonne aussi l’océan Atlantique et la mer des Antilles, en compagnie de corsaires anglais et hollandais.
Dans le dernier tiers du XVIIe siècle, surtout lors des années qui encadrent la révocation de l’Edit de Nantes (1685), un édit qui accordait des droits religieux, civils, et militaires aux protestants depuis la fin des guerres de Religion (1598), les huguenots abandonnent l’espace impérial français et migrent vers les colonies anglaises d’Amérique du Nord. En 1678, des wallons, ces calvinistes francophones venus des Pays-Bas espagnols (Belgique et nord de la France), et des huguenots fondent le village de New Paltz, ou Nouveau Palatinat, nommé ainsi car certains réfugiés ont séjourné au Palatinat avant de traverser l’Atlantique. Ils se sont établis dans l’arrière-pays new-yorkais, la vallée de l’Hudson, une région majoritairement néerlandophone. Les années 1680 sont la décennie phare pour les migrations huguenotes dans les colonies anglaises d’Amérique du Nord. Des huguenots s’installent à Charleston (Caroline du Sud), à Boston (Massachusetts) et à New York, et fondent des communautés rurales en Caroline du Sud (Santee, Le Quartier d’Orange, Goose Creek), au Rhode Island (Frenchtown), dans la colonie de New York (Staten Island et New Rochelle) et en Virginie (Manakintown).
Ces réfugiés viennent principalement des provinces de la façade atlantique, soit l’Aunis, la Saintonge, le Poitou et la Normandie, mais aussi du Dauphiné et du Languedoc. Leurs villes et villages d’origine sont La Rochelle, Dieppe, Le Havre, Marennes, Saint-Jean-d’Angély ou Vitré. Ce sont majoritairement des artisans et des marchands, accompagnés de hobereaux. D’autres, établis surtout à New York, proviennent des Antilles, notamment de la Guadeloupe où ils possédaient près d’un tiers des sucreries. Dans les îles, la communauté protestante est aussi concernée par le Code Noir (1685), dont l’article III interdit la pratique du culte et l’article VIII rend invalide tout mariage contracté dans un temple.
Sitôt arrivés les huguenots fondent des églises. Charleston, New York et Boston ont ainsi leur « French Church », tout comme les établissements ruraux. Mais dès les années 1720, la grande majorité des protestants français, comme en Angleterre, rejoignent les rangs de l’Eglise anglicane. Celle-ci offre aux huguenots le confort matériel et religieux d’une église royale après des décennies où, en France, ils étaient déchirés entre leur fidélité à leur religion et à leur roi. Les huguenots s’intègrent parfaitement dans les sociétés coloniales anglaises. Protestants, ils partagent l’anti-catholicisme des colons, reflété par le rejet de Jacques II lors de la « Glorieuse Révolution », et, arrivés à la fin du XVIIe siècle, moment charnière qui voit les colonies nord-américaines amorcer un prodigieux développement économique et territorial, ils acquièrent terres et esclaves, fondations d’une prospérité assurée.
Au cours du XVIIIe siècle, un mince filet migratoire conduit, de manière continue, d’autres huguenots vers les colonies, le plus souvent à partir d’un premier lieu de migration (Angleterre, Irlande, Provinces-Unies, Etats allemands et Cantons suisses). Des initiatives individuelles mènent à la fondation de deux établissements en Caroline du Sud. Purrysburgh (1732), le long de la frontière avec la Géorgie, et New Bordeaux (1763), dans l’arrière-pays. Mais ces établissements sont éphémères, les colons rejoignant Savannah ou Charleston, ou s’évanouissant dans le piémont appalachien en quête de terres. Au moment de la Révolution américaine, la mémoire de ces migrations huguenotes est vive avec la présence d’acteurs de premier plan d’origine française.
Publié en mai 2021