Le Mississippi, dont l’appellation signifie Grande rivière en langue ojibwée, a longtemps été absent des cartes géographiques européennes, malgré la grande étendue de terres que ce fleuve irrigue et le nombre de territoires autochtones qu’il traverse.
Jusque dans les années 1670, les cartographes européens avaient une connaissance très floue des terres situées au nord du golfe du Mexique. Leur géographie était jusqu’alors surtout alimentée par le récit d’expéditions espagnoles.
Le commerçant Louis Jolliet et le jésuite Jacques Marquette sont les tout premiers Français à laisser un témoignage écrit de l’exploration du fleuve en sa partie nord (1673). Avant même leur expédition, ils avaient eu connaissance du Mississippi par l’entremise d’informateurs autochtones. Mais l’incertitude demeurait sur son orientation et sur la localisation de son embouchure. Pour lever l’ambiguïté, ils conçoivent le projet de le rejoindre et de le descendre aussi loin que possible. Pour le jésuite, une expédition réussie permettait de faire connaître une multitude de nouveaux peuples autochtones à convertir; pour le commerçant, elle offrait des promesses de nouveaux marchés aux produits européens. Aguerris à la vie en forêt, Jolliet et Marquette avaient les notions de base pour représenter sous forme cartographique les territoires parcourus. Leurs journaux rapportent qu’ils interrogent les Autochtones pour cartographier le trajet à venir entre les Grands Lacs et le Mississippi. Les quelques cartes issues de leur expédition témoignent de l’intérêt qu’on porte dans la colonie à ce vaste espace qui s’ouvre au sud-ouest du Canada. Elles présentent une multitude de villages jusqu’alors inconnus des Français, ainsi que des gisements de minerais particulièrement attrayants aux yeux des colons français.
D’autres commerçants du Canada convoitent aussi le bassin du Mississippi et son potentiel commercial. C’est le cas de René-Robert Cavelier de La Salle qui descend la rivière et atteint son embouchure en avril 1682. Cherchant à obtenir le soutien du roi pour financer ses projets de colonisation et d’exploitation commerciale, La Salle et ses partenaires inventent un nouveau nom pour désigner ce territoire irrigué par le Mississippi, soit la Louisiane, en hommage à Louis xiv. De nouvelles cartes sont produites, montrant le cours du fleuve jusqu’à son embouchure. Il est possible que La Salle ait délibérément falsifié la géographie pour rapprocher le Mississippi des mines du Nouveau-Mexique afin d’intéresser plus vivement les décideurs à la cour de Versailles. L’explorateur se fait persuasif, car l’année suivante, avec l’appui royal, il dirige un convoi depuis la France vers le golfe du Mexique pour y établir une colonie. Il ne parvient pas, toutefois, à retrouver l’embouchure du fleuve, mal localisée sur les cartes et bien masquée par les marais.
Plus tard, à la fin du XVIIe siècle, le Montréalais Pierre Le Moyne d’Iberville poursuit les recherches et reprend le programme de colonisation. Plusieurs cartes des environs du Mississippi reflètent la connaissance des lieux acquise alors le long de la côte, mais aussi à l’intérieur des terres auprès des peuples autochtones. À Paris, le géographe Guillaume Delisle est de ceux qui obtiennent rapidement des données à jour sur cette géographie, notamment sur la position en longitude du Mississippi. Responsable du développement de la Louisiane, la Compagnie d’Occident orchestre en 1718 une campagne de promotion dans laquelle les cartes publiées jouent également un rôle. Delisle dresse dans ce contexte sa Carte de la Louisiane et du cours du Mississipi, alimenté notamment par les mémoires et cartes du prêtre François Le Maire. On y voit de nombreux affluents qui se déversent dans le fleuve, notamment la rivière Missouri qui provient de loin vers l’Ouest, une voie de communication pressentie vers l’océan Pacifique.
Après la fondation de La Nouvelle-Orléans en 1718 et sa désignation comme siège de l’administration coloniale, le fleuve Mississippi (qu’on nomme aussi fleuve Saint-Louis) retient l’attention des officiers de marine ainsi que des ingénieurs et dessinateurs de la Compagnie des Indes. Ceux-ci président au développement de la colonie par la construction de forts, par la délimitation des concessions, par la reconnaissance et le relevé (à l’estime et à la boussole) des voies d’eau qui permettent la communication entre les établissements. À différents moments, ils effectuent des relevés de tronçons du fleuve, depuis son embouchure jusqu’au pays des Illinois loin en amont.
Ainsi, en 1719, l’officier Bernard Diron d’Artaguiette en fait le relevé à la boussole depuis La Nouvelle-Orléans jusqu’au pays des Illinois. Il en évalue la distance à 400 lieues en suivant tous ses détours. Dans les années 1720, l’ingénieur Adrien de Pauger dresse plusieurs cartes du delta du Mississippi, alors qu’on cherche à rendre le fleuve accessible aux vaisseaux et à protéger La Nouvelle-Orléans. En 1721, 1726 et 1731, l’ingénieur Ignace-François Broutin relève le Mississippi à l’estime entre La Nouvelle-Orléans et le pays des Natchez, où il commande le fort Rosalie.
Dressée « à l’estime » à la Mobile en mars 1733, la Carte de partie de la Louisiane du baron de Crenay donne un portrait relativement fidèle des chemins couramment utilisés pour parcourir le territoire louisianais.
Un peu plus tôt, en 1731, la Compagnie des Indes avait rétrocédé la Louisiane au domaine du roi. Dans la foulée, un grand nombre de pièces manuscrites ont été confiées au géographe d’Anville - des plans de baies et d’îles sur la rive du golfe dressés par des commandants et des pilotes de vaisseaux au service de la Compagnie des Indes, des cartes de l’intérieur des terres, du Mississippi jusqu’au pays des Illinois, de la rivière Rouge, de la rivière des Alibamons, de la rivière aux Perles et même du Missouri. Avec l’aide de ces sources de première main, d’Anville peut ainsi dresser une carte de la colonie permettant de mieux apprécier l’étendue de cette Louisiane et l’emplacement des cours d’eau, des forts et des villages autochtones. Son Essai d’une carte de la Louisiane est tracé dès juin 1732 à une échelle plus grande que toute autre parution antérieure, avec une multiplication des toponymes français et autochtones et des sinuosités qui trahissent l’existence de relevés faits sur le terrain.
La connaissance du terrain est un véritable atout quand vient le temps d’évaluer la pertinence de construire des forts et des habitations. Par ailleurs, le Mississippi est la voie de communication obligée pour faire cheminer les fourrures et les farines en provenance du pays des Illinois. La guerre avec certains peuples autochtones est un autre puissant moteur qui motive les officiers français à mieux connaître les routes nécessaires aux déplacements d’une armée. En témoigne notamment la Carte particuliere d’une partie de la Louisianne datée de 1743, réalisée à partir des relevés de trois cartographes de terrain. On y aperçoit le Mississippi, la Mobile et leurs affluents avec les chemins de terre menant au pays des Chicachas, nation autochtone opposée à la présence française sur son territoire.
Publié en mai 2021