Voyageurs français en Amérique du Nord

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De la recherche de la liberté à la poursuite de la modernité : L’Amérique comme pays d’inspiration, désenchantement et inquiétude. Voyageurs français en Amérique du Nord de la Guerre d’Indépendance à la fin du dix-neuvième siècle.   

La quête de la liberté

Vers la fin du dix-huitième siècle, voyager en Amérique du Nord, voire en faire le récit, est une aventure intellectuelle.  L’horizon d’attente des voyageurs se construit à partir de controverses qui, dans l’esprit des Lumières, perçoivent dans le nouveau monde soit le dernier refuge de la liberté naturelle chère à Rousseau soit le lieu de naissance de la liberté moderne forgée par les colons européens.  La guerre d’indépendance cristallise le débat.  Les officiers français qui y participent vont au-devant de l’opinion avec des récits bienveillants décrivant l’Amérique comme une expérimentation réussie, où la liberté naturelle s’est muée avantageusement en liberté civique (les Noirs et les Indiens n’y paraissent guère). Sans assombrir le tableau, certains créent la polémique, tel Chastellux qui avoue avoir manqué les élégances du monde civilisé.  Scandalisé, le républicain Brissot lui donne la réplique après un voyage précipité qui révèle une Amérique audacieuse, patrie de l’égalité et de la liberté.

Modèle ou contre-modèle révolutionnaire

La Révolution française tire donc le débat vers la politique : l’Amérique est-elle un modèle à suivre ? Instruits par la marche des événements, les voyageurs d’après 1789 n’y croient plus. Lézay-Marnésia, déçu dans sa quête de liberté philosophique, mi naturelle, mi moderne, ne retrouve l’espoir que chez les Moraves, en dehors de la société américaine proprement-dite. La Rochefoucauld-Liancourt, émigré malgré lui, se met en route à travers l’Amérique en 1795.  Ce qu’il voit ne l’enchante point : la rapacité, l’ignorance et la rudesse élevées au rang de principe, voici les tares d’une société à peine née et déjà en déclin. Toujours en 1795, l’Idéologue Volney observe froidement, à des fins purement scientifiques, une Amérique somme toute anodine, de surcroît en passe de déroger à ces principes fondateurs, la liberté en premier lieu. Pour tous, le désarroi des Indiens et l’esclavage des Noirs complètent l’image d’un monde barbare plutôt que libre, qui n’a rien à apprendre à la France.  En contrepoint, Chateaubriand renoue avec les chantres de la liberté naturelle pour mieux en évoquer la mort par asphyxie, sous le poids de la moderne liberté de commerce. Hanté par la fatalité de l’histoire, Chateaubriand voit une défaite historique, plus qu’une injustice, dans le destin tragique des Indiens vivant en osmose avec une nature poétique, également menacée.

Détachement

En 1824, Lafayette se rend aux Etats-Unis à l’invitation du Congrès.  Accueilli en héros, l’œil voilé par la nostalgie, il prend un franc plaisir à redécouvrir le pays intrépide et vertueux pour lequel il a bien valu la peine de se battre. Cet optimisme lumineux ne fait pas recette. Alexis de Tocqueville commence le récit de son voyage américain (1832) avec une confession que tout autre voyageur français aurait pu faire sienne :  J’avoue que dans l’Amérique j’ai vu plus que l’Amérique ; j’y ai cherché une image de la démocratie elle-même (…) ne fût-ce que pour savoir du moins ce que nous devions à espérer ou à craindre d’elle.  La mélancolie romantique en moins, Tocqueville reprend le thème de l’Amérique – fatalité et entame le devoir intellectuel de déchiffrer un fait historique présent sur le sol américain, auquel la France ne saurait échapper. Si la description minutieuse des institutions a de quoi rassurer le lecteur en quête de repères, la critique des mœurs acquiert une signification bien plus profonde que chez un Chastellux ou un Liancourt : la grossièreté et le manque d’introspection propres à la société américaine finissent par fragiliser précisément les institutions garantes de la liberté.  La preuve, les injustices flagrantes infligées aux Indiens et aux Noirs sans pour autant enfreindre aucune loi.  En résumé, ce n’est pas un modèle mais un avertissement que discerne en Amérique le voyageur averti. Même la nature déçoit : Tocqueville et son ami Beaumont peinent à trouver un coin non-cultivé pour s’adonner à un moment de rêverie (Quinze jours dans le désert américain, 1998). L’analyse de Tocqueville clôt l’arc d’un désamour. Désormais, le voyage américain se banalise.  Simple sujet d’étude, le mode de vie des Indiens ne donne plus de vertiges philosophiques et c’est sans états d’âme – mais non sans en persifler les mœurs – qu’on examine l’Amérique comme pays de la modernité triomphante. Ni aimé, ni honni, l’Amérique fait quand-même réfléchir.

 

Publié en mai 2021

A. de Tocqueville

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