Sylvain Lévi et Prabodh Bagchi

À la fin de l’année 1921, Sylvain Lévi (1863-1935), professeur de Langue et littérature sanscrites au Collège de France et à l’École pratique des hautes études, arrive au Bengale, à l’invitation du poète et intellectuel Rabindranath Tagore. Il y enseigne le sanscrit, le chinois, le bouddhisme, l’histoire de l’Inde ancienne. Parmi son auditoire, se trouve Prabodh Chandra Bagchi (1898-1956).

À la fin de l’année 1921, Sylvain Lévi (1863-1935), professeur de Langue et littérature sanscrites au Collège de France et à l’École pratique des hautes études, arrive avec son épouse, Désirée Lévi, au Bengale, à l’invitation du poète et intellectuel Rabindranath Tagore. Il s’agit du deuxième voyage de Sylvain Lévi en Asie, le premier ayant eu lieu en 1897-1898, le menant de l’Inde au Japon en passant par le Népal. Lévi séjourne principalement à Santinketan (Bengale), où Tagore vient de créer l’université nouvelle Visva Bharati. Il y enseigne le sanscrit, le chinois, le bouddhisme, l’histoire de l’Inde ancienne. Parmi son auditoire, se trouve un étudiant en histoire de l’Inde fraîchement diplômé de l’université de Calcutta, Prabodh Chandra Bagchi (1898-1956). Élève brillant, il a commencé à apprendre le chinois et le japonais, et à étudier le jaïnisme et le bouddhisme. Sir Asutosh, vice-chancelier de l’université de Calcutta, l’envoie donc à Santiniketan étudier avec Sylvain Lévi.

Pendant les quatre mois du séjour des Lévi chez Tagore, Bagchi va apprendre le tibétain et le chinois avec Sylvain Lévi, le français avec Désirée Lévi. Tous deux se prennent d’affection pour P. C. Bagchi. Lévi, percevant le potentiel de son élève, lui propose de l’accompagner dans la suite de son voyage, au Népal. Lévi y va à la recherche de manuscrits sanscrits et de nouveaux matériaux sur l’histoire et les religions du Népal.

La correspondance de Bagchi à son oncle (« Bagchi-Levi in Népal » publié par M. B. Bhaduri) laisse entendre que ce séjour de quatre mois est alors des plus formateurs : « To tell you frankly, the more I am with this old Savant the more my eyes are being opened ». Cela le conforte dans ses désirs de recherche et de compréhension de l’histoire de l’Inde, mais aussi de l’Asie et du bouddhisme. Suivant les conseils de son maître, il envisage celles-ci en interaction avec les documents chinois, tibétains et d’Asie centrale. Il apprend ainsi la paléographie et participe aux sessions de travail quotidiennes avec Sylvain Lévi sur les nombreux manuscrits conservés à la bibliothèque du Durbar à Katmandu. Une photographie prise dans cette bibliothèque témoigne d’ailleurs de cette collaboration entre Népalais, Français et Bengalis. On y voit ainsi Sylvain Lévi et P.C. Bagchi aux côtés du Rajguru Hemrāj Śarman, et de Kaiser Shumsher, troisième fils du premier ministre népalais Chandra Shamsher Jang Bahādur Rānā. Bagchi travaille ainsi à dresser l’inventaire des ouvrages tantriques de la bibliothèque, ainsi que des collections chinoises et tibétaines. Il prépare aussi l’édition de manuscrits, dont un dictionnaire chinois-sanscrit du Ve siècle, et établit un index des mots chinois utilisés pour la traduction des textes bouddhiques sanskrits. Il accompagne le professeur dans les visites des temples, à la recherche d’inscriptions, et selon les instructions de celui-ci étudie l’iconographie népalaise, la vie du sage Goraknath et le culte de Bhimsena. Tous deux commencent à apprendre le newari.

Grâce à une bourse de l’université de Calcutta, Bagchi accompagne le couple Lévi dans la suite de leur voyage en Asie. Ce sera donc Saïgon, Angkor, Hanoï et le Yunnan. L’idée de Lévi est de mettre Bagchi en contact avec les civilisations de l’Asie du Sud-Est qui ont reçu une influence indienne et de le mettre en relation avec les chercheurs de l’École Française d’Extrême-Orient, Louis Finot et Georges Coedès, entre autres. Le voyage se poursuit ensuite au Japon avec la recherche des textes bouddhiques dans les bibliothèques des universités et des temples. 

En 1923, P.C. Bagchi rejoint les Lévi à Paris. Il y restera trois ans, le temps de préparer une thèse de doctorat sous la direction de Sylvain Lévi, intitulée Le canon bouddhique en Chine, les traducteurs et les traductions. Il suit alors les enseignements de Paul Pelliot, Henri Maspero, Jules Bloch et Antoine Meillet. Il fonde également, avec d’autres étudiants indiens de Paris, l’Association des étudiants hindous de France.

De retour en Inde, la relation, devenue filiale et paternelle, entre Bagchi et Lévi se poursuivra, de manière épistolaire (voir les lettres de Sylvain Lévi publiées dans India and Asia : P.C. Bagchi centenary volume). Lévi corrige ainsi les travaux que Bagchi lui envoie, s’assure des publications en France auprès du libraire Geuthner, encourage son travail sur les tantras, s’inquiète de sa santé, etc. Bagchi retourne en 1929 au Népal, occasion pour Lévi de lui demander de lui faire envoyer des copies de manuscrits. Ses recherches sur l’histoire des relations culturelles entre l’Inde, la Chine et l’Asie centrale, ainsi que sur l’histoire du bouddhisme, prolongent ainsi celles de Lévi.

Lecturer en histoire à l’université de Calcutta, Bagchi enseigne également au département de chinois (Cheena Bhavana créé en 1937) de Visva Bharati à Santiketan, dont il devient le directeur en 1945. En 1947-48 il est professeur invité à l’université nationale de Pékin. En 1954 il est nommé Vice Chancelier de Visva-Bharati et demeure reconnu comme le fondateur des études sino-indiennes et tibétaines en Inde.

 

Publié en avril 2024

Lévi, Sylvain