Eugène Burnouf était le fils de Jean-Louis Burnouf (1775-1844), professeur d’éloquence latine au Collège de France. Après avoir étudié à l’École royale des Chartes (1822), puis à l’École de droit de Paris où il soutint une thèse de droit romain (1824), il abandonna sa charge d’avocat à la Cour royale de Paris afin de poursuivre son apprentissage des langues orientales, notamment du sanskrit, d’abord, avec son père qui l’introduisit auprès de l’indianiste allemand Franz Bopp (1791-1867), puis en suivant les cours dispensés par Antoine-Léonard Chézy (1776-1832). Présent lors de la fondation de la Société asiatique de Paris, en 1822, il put y côtoyer des orientalistes comme l’arabisant Antoine-Isaac Silvestre de Sacy (1758-1838) et le sinologue Jean-Pierre Abel Rémusat (1788-1832) qui furent ses modèles d’érudition. Secrétaire-adjoint de ladite Société, en 1826, puis, secrétaire, en 1829, Eugène Burnouf fut nommé professeur de grammaire à l’École normale de Paris de 1830 à 1833, élu membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres en 1832. Professeur de langue et littérature sanskrites au Collège de France en 1833, il fut également inspecteur de la typographie orientale à l’Imprimerie royale en 1838, et fut élu, quelques jours avant sa mort, secrétaire perpétuel de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
À partir des années 1820, Burnouf investit deux principaux domaines de recherche, l’un sur les textes bouddhiques, l’autre, sur les textes mazdéens, dans la continuité du travail déjà accompli par Abraham Hyacinthe Anquetil-Duperron (1731-1805), mais dont il éclaira la terminologie en s’appuyant sur la langue archaïque du Ṛgveda. Il fit également la traduction du Bhāgavata Purāṇa (livres I-IX, 1840-1847), à partir de trois manuscrits de la Bibliothèque royale – notamment une copie (BnF, sanscrit 463- 475) contenant le commentaire de Śrīdhara Svāmin (1378-1414), réalisée à Bénarès (1839-1840), que lui offrit son élève Saint-Hubert Théroulde de retour des Indes –, et du manuscrit de Duvaucel de la Société asiatique de Paris. Cette traduction qu’il ne put terminer, le fut par ses élèves (livres X-XII, 1881).
Cherchant un travail lui permettant non seulement de se différencier de celui de Chézy et de son disciple Alexandre Langlois (1788-1854) mais encore de restituer l’histoire de la formation et du sanskrit et des prakrits, Burnouf, aidé de son ami norvégien Christian Lassen (1800-1876), se lança dans l’étude de la langue bouddhique pālie en collationnant cinq manuscrits siamois et birmans conservés à la Bibliothèque royale de Paris. Il put ainsi présenter dans leur ouvrage commun, Essai sur le pali ou langue sacrée de la presqu’île au-delà du Gange, publié en 1826, les particularismes grammaticaux de cette ancienne langue bouddhique. Il poursuivit ce travail sur les sources textuelles du bouddhisme dit du Sud afin d’en restituer l’histoire, en acquérant à ses propres frais des manuscrits pālis sur ôles, comme, en 1833, le Dīghanikāya (BnF, pali 46) auprès du libraire londonien William Straker qu’il rencontra en 1835, ou bien le Pātimokkha (BnF, pali 9) ainsi que des chroniques telles que le Commentaire du Mahāvaṃsa ou Mahāvaṃsaṭīkā (BnF, pali 367) et le Thūpavaṃsa (BnF, pali 368) traitant de l’histoire des stūpa bouddhiques. À partir de 1836, E. Burnouf se lança dans la restitution de l’histoire du bouddhisme dit du Nord (Introduction à l’histoire du buddhisme indien, 1844) par l’étude des manuscrits sanskrits en provenance du Népal que lui envoya Brian Houghton Hodgson (1801- 1894), notamment le Lalitavistara (BnF, sanscrit 97-98, G. Ducœur (éd.) 2022), le Kāraṇḍavyūha (BnF, sanscrit 22 et sanscrit 23, G. Ducœur (éd.) 2022), l’Aṣṭasāhasrikāprajñāpāramitā (BnF, sanscrit 11-12, G. Ducœur (éd.) 2022), le Mahāvastu (BnF, sanscrit 87-89), et deux manuscrits du Saddharmapuṇḍarīka (BnF, sanscrit 138-139 et sanscrit 140-141) à partir desquels il entreprit sa traduction commentée Le Lotus de la bonne loi (1852).
Tenant à mieux définir les limites linguistique et géographique de la langue sanskrite, E. Burnouf se tourna également très tôt vers l’avestique que le français Anquetil-Duperron avait fait connaître en partie par sa publication du Zend-Avesta (1771). Pour ce faire, il procéda, d’une part, à l’édition lithographiée du Vendidad Sadé (1829-1843), d’après un manuscrit de la Bibliothèque royale (BnF, supplément persan 27) et, d’autre part, à l’analyse sémantique de la langue avestique dans son Commentaire sur le Yaçna (1833), à partir de quatre manuscrits conservés à ladite bibliothèque et d’une version sanskrite. Les difficultés qu’il rencontra, notamment le fait que l’édition d’Anquetil-Duperron ne reflétait en rien une traduction littérale du texte avestique, l’amenèrent à correspondre, dès 1836, avec le juriste parsi Manockjee Cursetjee (1808-1887) et à lui passer commande de plusieurs manuscrits dont celui des Yašt. Ce fut au cours de cette vaste entreprise d’étude philologique que Burnouf prit conscience de la parenté linguistique entre la langue de l’Avesta et celle du Ṛgveda. C’est pourquoi, après la mort de son ami Friedrich Rosen (1805- 1837), Burnouf poursuivit l’étude du Ṛgveda, d’un côté, en acquérant des manuscrits en écriture nāgarī (BnF, sanscrit 199-206), ainsi que le commentaire de Sāyaṇa (BnF, sanscrit 216-218), par l’intermédiaire de John Stevenson (1798-1858) et de James Prinsep (1799-1840) – abandonnant ainsi la lecture difficile du manuscrit en écriture télinga incisée sur ôles qui avait été déposé à la Bibliothèque royale en 1731 (BnF, sanscrit 214) –, de l’autre, en exposant durant ses cours au Collège de France, de 1839 à 1845, ses avancées sur la compréhension des hymnes du Ṛgveda.
Publié en juillet 2024