L’empire moghol (1526-1857)

Descendants des conquérants Gengis Khan (m. 1227) et Tamerlan (m. 1405), les Moghols étaient des musulmans turco-mongols. Initialement établis en Asie centrale, ils en furent chassés au début du XVIe siècle par les Ouzbeks. C’est de Kaboul, où ils s’étaient réfugiés dans un premier temps, qu’ils se lancèrent à la conquête de l’Inde en 1526.

Au terme de son expansion aux XVIe -XVIIIe siècles, le petit royaume nord-indien créé par Babur (r. 1526-1530) s’était transformé en un vaste empire. Vers 1700, il couvrait un territoire de plus de trois millions de km2 s’étendant de l’Afghanistan jusqu’au sud du Deccan (le grand plateau du centre de l’Inde) et comprenant l’actuel Bangladesh. Fort d’environ 150 millions d’habitants majoritairement hindous, il surpassait alors de loin, par sa taille et par ses ressources, ses deux grands rivaux ottoman et safavide, le premier établi à Istanbul, le second en Iran.

Plusieurs facteurs permettent d’expliquer ce succès. Au niveau militaire, il est généralement attribué à l’usage combiné d’une cavalerie légère mobile (archers montés), de l’artillerie et de la tactique défensive dite du « fort de chariots ». Au niveau économique, la prospérité impériale reposait en premier lieu sur la domination de la plaine indo-gangétique, riche de terres fertiles et d’une abondante maind’œuvre agricole, mais aussi d’une florissante industrie textile. Dans le dernier quart du XVIe siècle, l’annexion du Gujarat et du Bengale ouvrit aux Moghols de larges fenêtres sur l’océan Indien. L’empire fut dès lors connecté aux grandes routes – terrestres comme maritimes – du commerce international reliant l’Europe à l’Asie qu’il alimentait d’ailleurs abondamment en épices, cotonnades et pierres précieuses. Ces richesses étaient exploitées par le biais d’un appareil administratif dont la centralisation alla croissant au cours du XVIIe siècle sans toutefois jamais complètement priver les acteurs locaux de marge de manœuvre. La réussite politique des Moghols fut de fait intimement liée à leur capacité à rallier des élites militaires et bureaucratiques d’origines et de croyances diverses. Suivant un double mouvement d’indianisation et de « cosmopolitisation » perceptible dès l’époque du deuxième Moghol Humayun (r. 1530-1540 puis 1555-1556), la dynastie incorpora parmi ses dignitaires toute une série d’acteurs locaux (qu’il s’agisse de musulmans ou d’hindous, de guerriers, de lettrés ou de scribes) ainsi que d’innombrables « gens de plume et d’épée » venus d’Iran et d’Asie centrale.

Tout en construisant leur domination sur une dynamique inclusive plutôt qu’exclusive, les Moghols luttèrent sans relâche contre le risque de fragmentation inhérent à toute formation agglutinative. Pour ce faire, ils mirent progressivement en place une série d’institutions (administratives mais aussi cérémonielles) visant à placer fermement le monarque à la tête de l’appareil d’État. L’élaboration parallèle d’une culture de cour d’expression persane transcendant les appartenances ethno-religieuses constitua par ailleurs un puissant moteur d’intégration. Mêlant arts de la guerre, arts de la paix et quête mystique, cet ethos était articulé autour de valeurs universelles auxquelles les dignitaires pouvaient adhérer sans réticence. 

Cette culture politique moghole survécut au déclin progressif de l’autorité centrale des empereurs au cours du XVIIIe siècle et à l’émergence concomitante de puissances régionales autonomes. Vus depuis la capitale de Delhi, les années 1700 furent indéniablement un âge noir marquée par des luttes de factions à la cour et une série d’invasions destructrices menées par les nouveaux hommes forts d’Iran (Nadir Shah, r. 1738-1747) et d’Afghanistan (Ahmad Shah Abdali, r. 1747-1772). L’adoption d’une perspective régionale montre cependant que ce siècle de transition fut loin de prendre partout les traits sombres d’une crise. Plusieurs représentants provinciaux de l’empereur profitèrent en effet de l’affaiblissement de l’autorité centrale pour soumettre les différents chefs locaux qui avaient jusque-là résisté à l’emprise moghole et créer des États successeurs autonomes : ce fut notamment le cas en Awadh (dans l’actuel Uttar Pradesh), au Bengale, à Hyderabad (Deccan oriental) ou encore à Arcot (en pays tamoul). Ailleurs, ce furent des groupes de paysansguerriers — construits, d’une part, autour d’une identité ethnique, religieuse et régionale commune et, d’autre part, dans la lutte contre les Moghols — qui firent sécession : les Marathes du Deccan, les Sikhs du Panjab et les Jats de Bharatpur (Rajasthan oriental) en sont les exemples les mieux connus. 

De tous les États successeurs qui virent le jour au XVIIIe siècle, aucun ne remit en cause le cadre impérial et tous continuèrent de tirer une partie au moins de leur légitimité de la reconnaissance de la dynastie. Privé de tout pouvoir réel à partir des années 1760, l’empire moghol demeura une référence politique obligée pendant plus d’un siècle encore, jusqu’en 1857 et la révolte anti-britannique des Cipayes. En 1858, le dernier souverain moghol Bahadur Shah, qui avait été impliqué dans le soulèvement, fut déporté en Birmanie tandis que les territoires de l’empire passaient sous l’autorité de la Couronne britannique. Le Raj était né. 

 

Publié en juillet 2024

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