Les clauses du traité de Paris du 30 mai 1814 relatives à l’Inde sont destinées à empêcher le renouveau politique et commercial de la France. Les comptoirs sont démilitarisés et, pour faciliter sa surveillance des activités françaises, l’East India Company conserve des postes d’observation au cœur du territoire de Pondichéry, lui conférant l’aspect d’un « habit d’Arlequin ». Afin de ruiner le commerce des Français, elle frappe de droits doubles les marchandises entrant et sortant des comptoirs. À Mahé, en violation des traités, les Britanniques refusent de rendre la rive droite de la rivière, parce qu’elle permettrait aux Français de contrôler le commerce du sel vers l’intérieur et des épices vers la mer. Imposé par les Britanniques, le traité du 7 mars 1815 interdit aux Français les lucratifs commerces du sel et de l’opium, dont le monopole est réservé à l’EIC. À ces rigueurs, s’ajoutent les contraintes du système de l’exclusif en vertu duquel les exportations des comptoirs sont taxées en France et dans les colonies. Les fameuses guinées bleues de Pondichéry doivent être « francisées » à Marseille ou Bordeaux avant d’être redirigées vers le Sénégal où elles sont recherchées. Taxes et détours onéreux n’ont qu’un but, favoriser l’industrie métropolitaine.
Le seul succès de la France est sa politique indigène. Sachant les Indiens attachés à leurs religions, à leurs us et coutumes et à leurs castes, le gouvernement de Louis XVIII ordonne que « les Indiens, soit chrétiens, soit maures ou gentils seront jugés, comme par le passé, selon les lois, us et coutumes de leur caste ». Dès lors, et jusqu’à la cession de 1954, des magistrats français reconnaissent la polygamie à Pondichéry et la polyandrie à Mahé, proclament la validité des mariages d’enfants et envoient en prison le paria chaussé de babouches, privilège des hautes castes. Cette capitulation du Code civil devant les lois du pays assure la paix sociale et la concorde franco-indienne.
Le Second Empire est une période de renouveau économique. L’adoption du libre-échange par les Britanniques, puis par la France, a d’heureuses conséquences en Inde : le cordon douanier qui étranglait les comptoirs étant progressivement desserré, Pondichéry renoue avec son rôle d’entrepôt et son commerce d’Inde en Inde avec la prospérité d’antan. Par ailleurs, les productions des comptoirs retrouvent leurs débouchés naturels en métropole et dans les colonies françaises. L’abolition de l’esclavage profite également à Pondichéry et Karikal, où les planteurs des Antilles, de la Guyane et de la Réunion trouvent une main-d’œuvre de substitution. Entre 1848 et 1885, y sont embarqués plus de 130 000 coolies, recrutés dans l’Inde anglaise et titulaires de contrats de travail de cinq ans. En 1956, un administrateur constate que « Le bien-être se fait sentir dans nos établissements depuis six à huit ans et c’est à l’argent répandu pour l’émigration qu’[il] est dû ». À partir de 1875, les huiliers et savonniers marseillais importent de Pondichéry des quantités considérables d’arachides. Les filatures pondichériennes se développant et le commerce des guinées bleues prospérant, « peu de colonies françaises ont [alors] un commerce d’exportation aussi considérable », selon un inspecteur des colonies.
Renouant avec le dogme révolutionnaire de l’assimilation, la Troisième République dote les comptoirs d’une panoplie électorale complète : un député, un sénateur, un conseil général et des conseils municipaux, tous élus au suffrage universel. Les passions politiques s’emparent aussitôt de cette petite colonie jadis si paisible. On se bat d’abord pour l’idée française ou pour l’idée indienne, puis pour la prépotence tout simplement. Dès 1880, l’Inde française est « la terre des fraudes ». Dix ans plus tard, des armées de bâtonnistes s’affrontent pour le contrôle des bureaux de vote, où le parti vainqueur fabrique des procès-verbaux attribuant la totalité des voix à son candidat. On compte désormais davantage de blessés et de morts que de bulletins sincères.
Les Indiens étant électeurs, quelques-uns ayant renoncé à leur statut personnel pour se soumettre au Code civil et la Constitution de la IVe République l’exigeant, la France demande un référendum d’autodétermination quand l’Inde indépendante revendique ces minuscules enclaves. Invoquant les fraudes et les violences qui émaillent la moindre élection, Nehru oppose un refus catégorique et, pour parvenir à ses fins, soumet les EFI à un blocus rigoureux. Après Dien Bien Phu, Mendès-France décide d’en finir. Le transfert de facto a lieu le 1er novembre 1954. Le traité de cession, signé le 28 mai 1956, est ratifié en août 1962. Conformément à l’une de ses clauses, près de cinq mille familles choisissent d’opter pour la nationalité française entre le 16 août 1962 et le 15 février 1963. Le traité assure par ailleurs le maintien des institutions culturelles françaises, dont le lycée, l’Institut et l’EFEO.
Publié en septembre 2024