L’Institut de civilisation indienne de Paris

C’est à l’initiative de trois grands orientalistes, Sylvain Lévi (1863-1935), Émile Senart (1847-1928) et Alfred Foucher (1865-1952), qu’est créé par décret le 18 juin 1927, l’Institut de civilisation indienne (ICI). Rattaché à l’Université de Paris, cet institut a pour but « de coordonner, d’organiser et de développer les études relatives à la civilisation indienne », selon l’article 2 de l’annexe au décret. Cette création s’inscrit dans un double mouvement. D’une part l’évolution des enseignements universitaires en France avec notamment la mise en place de diplômes sans finalité pratique depuis la fin du XIXe siècle, avec l’ouverture de nouveaux cursus et la création d’instituts universitaires par discipline comme l’Institut de géographie en 1910 ou celui des Hautes études chinoises en 1921. D’autre part, l’ICI s’inscrit dans le développement continu des études indiennes au sein de l’enseignement supérieur français depuis plus d’un siècle. Émile Senart est nommé directeur de l’ICI à sa création, mais il décède quelques mois après cette nomination. Alfred Foucher, alors titulaire de la chaire de sanskrit à la Sorbonne, prendra sa fonction, et Sylvain Lévi est nommé vice-président.

 L’Institut prend réellement vie à partir de 1928. Le premier rapport d’activité rappelle que son rôle principal est « de centraliser et de coordonner les cours relatifs à l’Inde qui ont lieu dans les établissements d’enseignement supérieur de Paris ». Si l’ICI possède un local en Sorbonne où sont donnés les cours de la Faculté des Lettres de Paris, d’autres enseignements sont donnés au Collège de France, à l’EPHE, à l’École des Langues Orientales vivantes et à l’École du Louvre. À son ouverture, toutes les disciplines des sciences humaines sont concernées : des cours de sanskrit védique et classique sont assurés par Louis Renou et Alfred Foucher, les langues moyennes-indiennes et modernes sont enseignées par Jules Bloch, l’art et l’archéologie sont du domaine d’Alfred Foucher, ainsi que le bouddhisme avec Sylvain Lévi et Jean Przyluski, l’histoire de l’Inde par Sylvain Lévi, les courants philosophiques par Alfred Foucher et Paul Masson-Oursel, l’Inde musulmane par Louis Massignon. L’Inde est également envisagée dans ses relations avec ses proches voisins géographiques, et les programmes des cours des premières années comprennent, d’un côté, des enseignements sur l’art khmer (Philippe Stern), l’Indonésie (Gabriel Ferrand) et la Malaisie (Antoine Cabaton), de l’autre, des enseignements sur l’Iran ancien et notamment l’Avesta et le persan par Émile Benveniste, et sur l’Asie centrale via les textes koutchéens étudiés par S. Lévi. Enfin des cours de tibétain sont assurés par Jacques Bacot. Le suivi de ces cours permet à l’époque d’obtenir un certificat d’études indiennes, puis un diplôme d’études supérieures indiennes, et de préparer un doctorat d’université. 

À côté de ces enseignements, des spécialistes français et étrangers sont invités à faire des conférences. L’Institut de civilisation indienne est ainsi honoré par la visite d’hôtes prestigieux, comme le poète bengali Rabindranath Tagore en 1930. Ceci répond à un autre objectif exprimé dans le rapport d’activité de 1929-1930 : « imprimer une impulsion nouvelle aux rapports scientifiques et culturels entre la France et l’Inde ». Dans ce cadre, l’ICI supervise également la venue d’étudiants indiens afin qu’ils poursuivent leurs études à Paris. 

Dans le souci d’offrir plus largement des outils de connaissance, une bibliothèque est créée au sein de l’ICI en 1929, grâce au don de la bibliothèque d’Émile Senart, puis de celle 2 du pandit Shyâmaji Krishnavarma (1857-1930), dans un premier temps. Des acquisitions sont faites grâce à des financements des administrations françaises (Ministère de l’éducation, Ministère des Colonies, Gouvernements de l’Indochine et de l’Inde française) et des mécènes indiens (Wadia Trust de Bombay, le Nizam de Hyderabad, le Gaekwad de Baroda). On trouve alors des volumes publiés en Inde ainsi que des périodiques et des journaux indiens et indochinois, presque introuvables par ailleurs en France. En 1938, la bibliothèque de l’ICI contient 15 000 volumes, ce qui en fait la plus vaste bibliothèque d’indologie en Europe continentale, avec celle de la Société orientale allemande (Deutsche Morgenländische Gesellschaft) de Halle. Les textes sanskrits et palis, le jainisme et le bouddhisme y sont notamment bien représentés. 

La volonté de diffusion des connaissances est également accompagnée par une politique de soutien aux publications. Ainsi naît la collection d’ouvrages bilingues (texte sanskrit et traduction française) des « Classiques indiens » ou « Collection Émile Senart » sous l’impulsion de la famille d’Émile Senart et de la Société Guillaume Budé. L’ICI publie également en 1932 le Dictionnaire sanscrit-français rédigé par Nadine Stchoupak, Luigia Nitti et Louis Renou, somme toujours utilisée par les étudiants débutants en sanskrit. 

En 1973, l’ICI est rattaché au Collège de France et en 2001 il est renommé Institut d’études indiennes. Depuis 2023 il est devenu le Centre d’études indiennes et centrasiatiques au sein de l’Institut des civilisations du Collège de France.

 

Rédigé en février 2023