Femmes artistes polonaises et la scène parisienne
Maria Modrakowska, « la Mélisande polonaise »
Maria Modrakowska, fit une carrière étonnante à Paris dans l’entre-deux-guerres. Amie proche de Nadia Boulanger, elle se produisit dans de grandes salles et des salons, en particulier chez la princesse de Polignac, et collabora artistiquement avec Francis Poulenc et Alfred Cortot. Dès son arrivée à Paris le 2 mars 1931, la musicienne fut emportée dans un tourbillon de concerts. Elle débuta au concert de l’Association des jeunes musiciens polonais. Georges Dandelot y assista et commenta dans le Monde musical.
Juste après ce concert, elle se produisit à la Société musicale indépendante, aux « Amis de la Pologne » à Lyon, aux « concerts privés » d’Alfred Cortot et à un concert-conférence organisé à l’École normale de musique. Là, son interprétation d’extraits de Pelléas et Mélisande lui ouvrit les portes de l’Opéra-Comique. À l’automne 1931, elle signa un contrat avec le Bureau d’organisation de concerts Kiesgen et Ysay lui garantissant de participer à un très grand nombre d’événements à Paris, en province et à l’étranger. Dès lors, sa carrière s’accéléra.
Le véritable « tremblement de terre » survint néanmoins avec son rôle de Mélisande à l’Opéra-Comique. La première eut lieu le 10 mai 1932. Son succès étonna tout le monde. Bien que Modrakowska ne fût qu’une débutante au monde du théâtre, elle confirma magistralement son talent. Sa voix et sa présence, sa sensibilité musicale, ses aptitudes à interpréter le sens dramatique de l’œuvre furent admirées. La presse n’exprima que compliments et louanges. Son impresario exploita avantageusement ce succès.
Poulenc la vit certainement au théâtre, car il écrivit plus tard qu’elle avait été une Mélisande « idéale ». Leurs chemins se croisèrent au début de 1934 alors que le compositeur français recherchait une source de revenus et un coéquipier pour partir en tournée. Leur collaboration généra sa satisfaction financière et une œuvre pérenne : Huit chansons polonaises (Osiem pieśni polskich) que Poulenc harmonisa spécialement pour elle. Cette pièce fut le pilier d’une tournée organisée en Afrique du Nord (février 1935).
Modrakowska choisit elle-même les chants en créant un récit sur la Pologne autour des événements de l’Insurrection de Novembre 1830. Des rythmes de danse, principalement mazurkas et cracoviennes, soutiennent des mélodies simples à structure symétrique. Poulenc conserva la simplicité de l’original populaire, mais l’enrichit d’harmonies modernes. Ces mélodies fonctionnent pour l’auditeur polonais comme des réminiscences, des retours vers l’enfance où resurgissent des images qu’évoquaient les leçons d’histoire. Elles portent en même temps un message universel grâce à leur expressivité et à leur sonorité. Poulenc a ajouté à ces pièces un coloris nouveau en développant l’exotisme qui avait frappé son imagination.
Wanda Landowska, « la magicienne de Saint-Leu »
Wanda Landowska, pianiste et claveciniste de talent a joué un rôle clé dans la renaissance de la musique ancienne. Née à Varsovie, elle étudia le piano dans la classe d’Aleksander Michałowski puis à Berlin. En 1900, elle se rendit à Paris où elle développa une carrière de virtuose puis se produisit en Europe et aux États-Unis.
En 1925, la musicienne acquit un terrain à Saint-Leu-la-Forêt, près de Paris, où elle fit construire une salle de concert. Elle y donnait des cours d’interprétation de musique ancienne et y organisa le festival d’été Concerts Wanda Landowska. L’inauguration de cet événement eut lieu le 3 juillet 1927. Dès la première édition, le public et les critiques furent conquis. Le festival proposait un répertoire composé de musique baroque et classique. Bach et les clavecinistes français, notamment Couperin et Rameau, mais aussi Mozart, occupaient une place centrale.
Le concert « Ancienne musique polonaise. Chants populaires » donné le 11 juin 1933 sous les auspices de l’ambassadeur de la République polonaise, Alfred Chłapowski occupe une place à part. Fait rare : le programme ne contenait que des œuvres polonaises. Edouard Schneider rédigea une critique dithyrambique. Landowska avait repris le programme qu’elle avait interprété un an auparavant au Festival de musique polonaise de 1932. Le public français avait alors découvert la musique ancienne polonaise. Les critiques avaient été impressionnés par la musique et la maîtrise technique de Landowska.
Le Festival de musique polonaise de 1932 constituait la seconde partie des commémorations du centenaire de l’arrivée de Chopin en France. Édouard Ganche en avait organisé la première partie quelques mois plus tôt. La rédaction de La Revue musicale prépara, pour la circonstance, un numéro spécial Chopin dans lequel le lecteur pouvait lire, entre autres, un article de Landowska.
La claveciniste bénéficia, ensuite, d’une autre occasion de présenter la musique ancienne et des mélodies populaires arrangées par ses soins : le 28 juin 1937 au Théâtre des Champs-Élysées, dans le cadre des concerts organisés pendant l’Exposition universelle. Landowska eut recours à un répertoire solide comprenant des œuvres de Szarzyński, Jarzębski, Ogiński, Mielczewski et Diomedes Cato. La musicienne polonaise joua seule au clavecin et en compagnie de ses élèves. Les sonorités spécifiques de la musique polonaise, sa densité émotive et sa couleur locale intriguèrent.
Landowska participa d’une manière essentielle à la découverte de la musique polonaise « d’avant Chopin ». Elle eut néanmoins des précurseurs. L’ouvrage d’Henryk Opieński La musique polonaise. Essai historique sur le développement de l’art musical en Pologne publié à Paris en 1919 avait inauguré ce mouvement de recherche. Proposant un contenu solide, sa très belle édition toucha un large public. Robert Brussel contribua à sa diffusion. De nombreuses bibliothèques de Paris et de province l’acquirent. L’ouvrage dévoila une réalité musicale que le public ignorait complètement.
Publié en septembre 2020
Légende de l'illustration : Wanda Landowska : Au clavecin chez Léon Tolstoï à Iasnaia Poliana. 1900