Les artistes polonais et la scène parisienne

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Ignacy Jan Paderewski ; Karol Szymanowski.

Ignacy Jan Paderewski, « Tyrtée polonais »

Ce personnage hors du commun, était mondialement connu en tant que pianiste et homme d’État. La combinaison de ces deux rôles   influa sur la manière dont on le perçut. Pour les Français, Paderewski incarnait le symbole de la Pologne en lutte et triomphante grâce à son charisme et patriotisme, son rôle politique dans le processus de formation de l’Europe nouvelle, son amour inconditionnel pour la musique de Chopin et son style incomparable. Camille Mauclaire l’accueillit à Paris en 1919 avec ces mots : « Mon hommage lointain va vers vous, Paderewski, vers le cou­ronnement harmonieux de votre belle, passionnée et tragique, existence. [...] Vous avez été l’interprète incomparable de Chopin, votre aîné, votre frère de race et de destinée : comme à lui la gloire vous a souri dans le vaste monde, comme lui vous êtes un ardent patriote. Mais vous connaissez la joie qui lui fut refusée, refus qui l’a tant aidé à défaillir et à mourir. Vous assistez à la libération et à la résurrection de votre mère commune, à laquelle vous vous êtes donné tout entier [...] ». Cette emphase illustre bien la réception dont bénéficia le musicien polonais. Mauclaire se référait directement au discours que Paderewski avait prononcé, à Lwów (Lviv) en 1911, sur Chopin. Ce discours traduit par Paul Cazin contribua à la   construction de l’image d’un Paderewski – artiste, mission­naire, passeur.

Chacun de ses séjours parisiens créait la sensation. En 1923, juste après son abandon de la politique, il fêta ses retrouvailles avec la scène française. La presse s’en fit largement l’écho. Il joua au Théâtre des Champs-Élysées contre   un très gros cachet dont il fit un don généreux aux laboratoires français. En 1929, il donna une série de concerts à Paris et en province à l’occasion de sa réception dans l’ordre de la Légion d’honneur. En 1931, il joua au profit du monument dédié à Debussy. En 1932, il donna un récital Chopin au Festival de musique polonaise. Son dernier récital eut lieu en juin 1933 au profit du Comité français pour la protection des intellectuels juifs persécutés en Allemagne. Le pianiste transmettait la totalité de ses cachets à des institutions caritatives.

Paderewski était une star dans la meilleure acception du terme. Il drainait des foules de passionnés et attirait un public nombreux, lequel expérimentait, grâce à sa musique, des états d’ivresse et même d’extase religieuse. L’ensemble de la critique soulignait que le musicien manifestait, pendant ses concerts, une intuition dramaturgique étonnante qui transportait les foules. Malgré son âge (il s’approchait des 70 ans), il était toujours en excellente forme physique et maître de sa création. Il était tout aussi fascinant de l’écouter que de le regarder. Chacun de ses concerts offrait un spectacle d’une grande émotion.

Paderewski et Chopin formaient alors, dans l’esprit des auditeurs, l’unique image de la musique polonaise. Chopin représentait la quintessence de la Pologne et Paderewski était devenu son héritier. Par la force des choses, cette image était partielle. L’analyse de la presse des années 20 et 30 révèle l’apparition de nuances et de figures nouvelles. La critique commença à comprendre que la musique polonaise n’avait pas commencé ni ne s’achevait avec Chopin. Deux facteurs ont bouleversé cette image : l’émergence de personnalités musicales fortes et de grandes manifestations musicales.

Karol Szymanowski, « alchimiste du son » et « âme de la nation »

Karol Szymanowski participa sans aucun doute à ce renouvellement. Un concert organisé par La Revue musicale, au Théâtre du Vieux Colombier, le 20 mai 1922, marqua ses débuts à Paris. Il joua d’abord en solo les Études pour piano op. 33, puis accompagna Paul Kochański (Les Mythes) et sa sœur Stanisława Korwin-Szymanowska (Les Chants d’un muezzin passionné). Ses compositions bénéficièrent d’un écho retentissant parmi les amateurs de musique contemporaine. Dans l’Excelsior, Emile Vuillermoz le couvrit d’éloges. Les débuts parisiens ouvraient les portes de la capitale. Chaque année, Szymanowski présentait ses œuvres dans des concerts animés par Henry Prunières au Théâtre du Vieux Colombier. Ses pièces faisaient souvent partie des programmes de l’Association des jeunes musiciens polonais.

Les œuvres de Szymanowski étaient rarement programmés aux concerts symphoniques néanmoins Pasdeloup, Lamoureux ou Colonne ménageaient une place à l’une de ses pièces dans leurs programmes. Le public parisien put ainsi écouter la Troisième symphonie (Salle Gaveau 1927), Słopiewnie (Concerts Pasdeloup 1928), le Stabat Mater (Salle Gaveau 1930), la Quatrième symphonie et la Suite « Harnasie » (Théâtre des Champs Élysées 1932). Si la presse rendit compte de ces événements en publiant des annonces et des comptes rendus et en louant les interprètes – le chœur des Chanteurs de Saint-Gervais (Stabat Mater), l’orchestre de Walther Straram (Troisième Symphonie), la soprano Suzanne Cesbron-Viseur (Słopiewnie) ; elle ne s’aventura pas à proposer de plus profondes réflexions sur les œuvres. En quinze ans, seul Alexandre Tansman consacra un grand article à la musique Szymanowski dans La Revue musicale.

L’analyse du dossier de presse Szymanowski dévoile en effet les difficultés que la critique éprouva à écrire sur le musicien polonais. Les journalistes pressentaient la nouveauté et l’originalité de son œuvre sans pointer précisément la spécificité de son langage musical. Ils se limitèrent à énoncer de courts commentaires ou à apposer des étiquettes : « nouveau Chopin », « épigone de Brahms », « sorte de Skriabine », « Debussy polonais », « messie de la musique polonaise » et « incarnation de l’âme nationale ». Ces deux dernières furent souvent utilisées. La mystique « du sang et de la terre » s’accordait en effet avec la musique de Szymanowski. Emile Vuillermoz ne se priva pas d’exploiter cette veine.

La première du ballet Harnasie à l’Opéra, le 27 avril 1936, remporta un succès spectaculaire. La valeur artistique de l’œuvre, la qualité de la troupe et la performance de Serge Lifar dans le rôle principal expliquent sans doute ce succès. Ajoutons à cela le fait que l’événement bénéficia d’une promotion très efficace. La presse publia nombre d’annonces et de commentaires. On organisa une exposition des costumes et des décors du ballet. Les services diplomatiques polonais ne furent pas de reste : le poète et critique littéraire Jan Lechoń, attaché culturel à l’ambassade de Pologne, s’engagea personnellement dans cette action.

 

Publié en septembre 2020
Légende de l'illustration : Portret Karola Szymanowskiego. 1970

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