La seconde moitié du XIX° siècle est la grande époque du récit de voyage en Chine : qu’ils soient militaires et diplomates, missionnaires ou simples touristes, nombreux sont les voyageurs qui veulent témoigner sur ce qu’ils ont vu et vécu.
L’ouverture de la Chine : militaires et diplomates racontent
Entre la fin de la Mission française de Pékin et la première Guerre de l’opium menée par les Anglais contre l’empire (1839-1842), les rares voyageurs français à aborder en Chine, tel le peintre Auguste Borget (La Chine et les Chinois, 1842), ne peuvent guère en connaître que les ports de Hong Kong et Macao, et le quartier des factoreries à Canton. Mais à la suite du Traité de Nankin (1842) qui ouvre cinq ports au commerce étranger, la France envoie en Chine une mission diplomatique et scientifique dirigée par Théodose de Lagrené dont les membres publient à leur retour des récits riches en observations de toutes sortes comme le Journal d’un voyage en Chine en 1843, 1844, 1845, 1846 (1848) de Jules Itier. Les conflits qui opposent la France et la Chine durant les décennies suivantes (seconde Guerre de l’opium en 1856-1860, guerre franco-chinoise en 1884-85, guerre des Boxers en 1900-1901) sont suivis avec passion par les lecteurs français grâce aux récits qu’en font, souvent d’abord dans la presse, les militaires et diplomates qui y participent. Ainsi, avant d’être publié chez Hachette, c’est dans la revue Le Tour du monde que paraît le journal, mis en forme par Achille Poussielgue, de Mme de Bourboulon, l’épouse du premier ambassadeur de France à Pékin, où elle raconte notamment son installation dans la capitale en 1860, et c’est dans des articles envoyés au Figaro et ensuite seulement repris en volume (Les Derniers jours de Pékin, 1901) que l’écrivain et capitaine de vaisseau Pierre Loti relate son entrée victorieuse avec les troupes alliées dans la Cité interdite en 1900.
Le retour des missionnaires
A partir de la fin du XVIIIe siècle, suite à la dissolution de la Compagnie de Jésus, les biens des jésuites en Chine comme la charge d’évangéliser le pays sont transférés aux lazaristes qui s’aventurent clandestinement dans des zones reculées afin d’échapper au contrôle des autorités chinoises : le plus connu d’entre eux est le père Régis-Evariste Huc dont les Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine, pendant les années 1844, 1845 et 1846 (1850) connaissent un immense succès de librairie. Mais après la signature de la Convention de Pékin (1860) qui autorise les missionnaires à prêcher dans tout l’empire en les mettant sous la protection de la France, les missionnaires de tous ordres se répandent librement dans les provinces chinoises, et pour gagner les Français à leur cause et obtenir des subsides, ils multiplient dans leurs organes comme les Annales de propagation de la foi les récits où ils se complaisent à montrer la misère du peuple et les dangers de leur mission. Certains missionnaires se doublent aussi d’explorateurs et de savants : ainsi le lazariste Armand David fait part de ses découvertes en matière de sciences naturelles dans plusieurs récits qui lui valent une grande renommée (Voyage dans la Chine occidentale, 1874 et Second voyage d’exploration dans l’ouest de la Chine, 1876).
Le développement du tourisme en Chine
Au fur et à mesure que la Chine s’ouvre, des hôtels de style occidental, des moyens de transport modernes, des guides et interprètes font leur apparition et favorisent le développement du tourisme, en particulier après l’ouverture du canal de Suez (1869). Au début, les touristes abordent surtout la Chine à la faveur de tours du monde en paquebots qui ne leur font guère visiter que les ports et villes ouverts par les premiers traités, tel le comte Ludovic de Beauvoir (Voyage autour du monde, 3 vol., 1869-1872). Mais au fur et à mesure que la présence occidentale s’accentue, ils peuvent, profitant de l’accueil des résidents étrangers, pénétrer dans les régions de l’intérieur, comme Marcel Monnier qui remonte le « Fleuve bleu » (Yangzijiang) de Shanghai à Chongqing et parcourt le Sichuan avant de descendre vers le Tonkin (Le Tour d’Asie, vol. 2 L’Empire du Milieu, 1899). Cependant, certains organisent de véritables expéditions avec des chevaux et du personnel chinois afin d’échapper aux circuits touristiques, comme l’écrivain Victor Segalen dont le périple au cœur de la Chine en 1909 est relaté par son compagnon de route Auguste Gilbert de Voisins (Ecrit en Chine, 1923). L’abondante littérature que suscitent ces voyages touristiques est souvent répétitive, présentant les mêmes descriptions et les mêmes clichés (enfants abandonnés, têtes de condamnés dans des cages, fumeurs d’opium, saleté et monuments délabrés, etc.) qui offrent de la Chine une image fortement négative. Mais à la fin du XIXe siècle, les récits de voyage des explorateurs, journalistes ou aventuriers dans les régions limitrophes peuplées d’allogènes, et notamment les régions méridionales pénétrées à partir de l’Indochine, viendront relancer l’intérêt des lecteurs.
Légende de l'illustration : Voyage autour du monde [...]. Comte de Beauvoir, 1868.