Lamartine et l'Inde

De tous les écrivains français du XIXe siècle, Lamartine est sans doute celui qui a manifesté le plus grand intérêt et la plus haute estime pour la littérature de l’Inde ancienne que l’Europe a découverte à partir des années 1780.

Ce n’est pourtant que tardivement, et en marge de son œuvre créatrice, que le poète est parvenu à donner la place qui revenait à ses yeux à l’Inde, à propos de laquelle il déclarait en 1835 dans le Voyage en Orient : « La clé de tout est aux Indes ; la génération des pensées et des arts me semble remonter là ».
 
L’inspiration indienne dans l’œuvre poétique de Lamartine est, de fait, rarement explicite et reste superficielle : « Hymne au soleil » dans les Méditations poétiques (1820) et « Jehova ou l’idée de Dieu » dans les Harmonies poétiques et religieuses (1830) évoquent la prière matinale de « l’Indien » ; « À Laurence » fait rimer Asie et poésie : « Es-tu d’Europe ? es-tu d’Asie ? / Es-tu songe ? es-tu poésie ? / […] Dans tes yeux l’Inde se décèle […] » Mais pour le passionné d’Orient qu’est Lamartine, qui a voulu y trouver la « vie tour à tour poétique, religieuse, héroïque » dont il rêvait, l’Inde lointaine reste abstraite et livresque.
 
C’est donc en tant que lecteur de la littérature indienne que Lamartine s’impose. Dans le Cours familier de littérature (1856-1869), œuvre souvent déconsidérée parce qu’alimentaire, il accorde de façon tout à fait remarquable à la littérature indienne la première place (entretiens III-VI), pour des raisons moins chronologiques, peu originales à l’époque, qu’axiologiques : la littérature indienne, porteuse à ses yeux d’une promesse de réconciliation de l’autre avec soi et de soi avec soi, se doit d’ouvrir un propos qu’il veut « Cours familier », dans un partage de la littérature prolongeant, en une utopie politique et religieuse à la fois, le temps de 1848. Alors que la comparaison entre les épopées sanskrite, grecque et latine est un lieu commun de l’époque, Lamartine s’attache plus particulièrement au théâtre sanskrit dont les premières traductions à la fin du XVIIIe siècle  avaient enthousiasmé l’Europe. Mais c’est son exemplarité qu’il souligne, repérant dans la règle du dénouement heureux le signe de la congruence avec la transcendance, à l’instar du théâtre chrétien moderne, et à rebours de la littérature gréco-latine dont la tragédie signale l’imperfection humaine. Ce faisant Lamartine ne fait pas que signifier l’universalité d’une Révélation plus ou moins corrompue dans toutes les religions, selon un schéma commun à l’apologétique du XIXe siècle. En réalité, le théâtre chrétien n’existe pas : c’est le théâtre sanskrit qui, incarnant son accomplissement, révèle la défaillance de ce dernier et, au-delà, l’imperfection de toute la littérature occidentale. Dans l’histoire de la littérature que propose le Cours familier, la littérature indienne est ainsi première parce qu’elle ne distingue pas entre ce qui relève de la religion, de la philosophie et de la littérature. Elle est une « philosophie de la réalité, […] une philosophie qui est raison et religion tout ensemble, vérité et consolation à la fois ». Autant que des textes, longuement présentés – Śakuntalā, la Bhagavadgītā –, Lamartine offre au partage de tous la lecture de la littérature indienne comme une expérience spirituelle dont il livre deux récits personnels : l’éblouissement d’un « hymne indien », la révélation de la « charité envers la nature entière » lors de la lecture, à la chasse, du passage du livre final du Mahābhārata où le prince Yudhiṣṭhira refuse d’entrer au paradis sans son fidèle chien. 
 
 
Publié en janvier 2023
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