L'expansion du Yoga en France

Dans la première moitié du XX° siècle en France, indianisme, orientalisme et professionnalisation de l’enseignement concourent à une diffusion grandissante du yoga.

Plus d’un siècle avant la venue de Vivekananda à Chicago (1893) et à Paris (1900), les universitaires européens se sont intéressés aux grands textes sanskrits. En 1814, Antoine Léonard Chézy présente des fragments du Ramayana, et occupe la première chaire de Langue et Littérature sanskrites créée au Collège de France. En 1829, Victor Cousin consacre à l'Inde les leçons V et VI de son Cours d'histoire de la philosophie dont la douzième édition de 1884 inclut les Écoles Sankhya de Kapila et Sankhya de Patandjali. En 1898, Alfred Foucher rapporte d’une mission au Cachemire un manuscrit du Patanjala-yoga-shâstra. La Bhagavad Gîtâ, où le yoga tient une place majeure, retient l’attention d’Emile Burnouf (1861 & 1905), de Sylvain Lévi (avec J. T. Stickney, 1938), d’Emile Sénart (1922). Dès 1913, Paul Masson-Oursel écrit sur le yoga des articles précurseurs de son Que sais-je ? (1954). Le jeune ophtalmologiste Jean Filliozat, qui inaugure sa carrière d’indianiste par une thèse à l’EPHE, consacre son premier article à La concentration oculaire dans le yoga (1931). Avec Louis Renou, il codirigera L’Inde classique : manuel des études indiennes, dont le tome I paraît en 1949, et le tome II, qui comporte une étude des Darshana, en 1953.
 
Les études académiques, centrées sur la dimension philosophique du yoga, abandonnent à un milieu orientaliste hétérogène le développement de ses aspects pratiques, dans une perspective ésotérique, où la théosophie a une influence majeure, Annie Besant publiant en français. Dans le sillage de Vivekananda, divers auteurs traduisent les Yoga Sûtras sous le nom de raja-yoga, et voient dans le hatha-yoga une pratique magico-religieuse. Ainsi de Paul Sédir (Le Fakirisme hindou et les Yogas, 1906), Ernest Bosc (Traité de Yoga, 1907 ; Yoghisme et Fakirisme Hindou, 1913) ou Michel Sage (La Yoga, ou le chemin de l’union divine, 1915).
 
Le jeune danseur caucasien Youri Hahoutoff, émigré en 1917, devient à Paris le disciple d’un yogi bengali, Hiranmoy Chandra Ghosh, qui le forme à différentes approches (hatha-, jñâna-, laya-, kundalini-, swara-…). Devenu Nil Hahoutoff, il enseignera le yoga, en participant au mouvement hygiéniste français. Maryse Choisy, personnalité aux multiples facettes, qui découvre le yoga auprès de Rabindranath Tagore en 1924 à Shantiniketan, lance la discipline dans les journaux occultistes qu’elle dirige, et publie La Métaphysique des Yogas (1948), et Yogas et psychanalyse (1949). En 1952, accompagnant en Inde la docteure Thérèse Brosse, elle rencontre Swami Shivananda. Constant Kerneïz, né Félix Guyot, philosophe, journaliste et astrologue, installé à Londres en 1928, pratique auprès d’un maître indien, s’initiant à la philosophie et aux textes dans The Sacred Books of the East de Max Müller. À Paris, il enseignera le hatha-yoga, qu’il fera découvrir à de nombreuses lectrices par ses articles dans la presse féminine. Considéré souvent comme le père d’un yoga « à la française », il insistait sur son rôle moral (yama et niyama) et spirituel. Son élève Lucien Ferrer ouvre en 1948 l’Académie Occidentale de Yoga et crée une “clinique somascétique” où il exerce une activité de guérisseur, puisant à des sources diverses. Swami Siddheswarananda, moine des Missions Râmakrishna, fonde en 1948 le centre védantique de Gretz, près de Paris. Son compatriote et futur disciple, Shri Mahesh Ghatradyal, champion de course à pied, représentant l’Inde aux Jeux Olympiques Universitaires de Paris (1947), s’y installera définitivement. En 1952, sur l’invitation de Françoise Dolto, il présente des postures à l’amphithéâtre de la Sorbonne, deux ans après Goswami et son disciple Parmanick.
 
Cette diffusion se double d’un intérêt littéraire pour les maîtres indiens. Romain Rolland publie ainsi deux grandes biographies : Vie de Râmakrishna (1929) et Vie de Vivekananda (1930). Jean Herbert, interprète à l’ONU, auteur entre autres de Spiritualité hindoue (1947) crée la même année la célèbre collection Spiritualités vivantes aux éditions Albin Michel, consacrée aux enseignements de nombreux sages indiens de la première moitié du XXème siècle : Ramana Maharshi, Ma Ananda Moyi, Swami Ramdas, Sri Aurobindo…
 
Outre le petit traité Yoga, méthode de réintégration d’Alain Daniélou (1951), il faut surtout évoquer l’œuvre de Mircea Eliade. Après avoir étudié le sanskrit et la philosophie avec Surendranath Dasgupta à Calcutta, de 1928 à 1930, et fait un court séjour à l’ashram de Swami Shivananda, il soutient en 1933 sa thèse Techniques du yoga (édition française en 1948, revue et augmentée en 1954 sous le titre Le Yoga. Immortalité et Liberté). Conjuguant savoirs universitaires et vulgarisation, indianisme et comparatisme, les ouvrages d’Eliade marqueront une nouvelle étape dans la compréhension du yoga.
 
 
Publié en janvier 2023.
 
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