Administrateurs et officiers

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Faire carrière à la Compagnie française des Indes, c’est faire partie d’une corporation de négociants. On est presque étonné de l’étroitesse des milieux d’origine des administrateurs, largement parisiens. Au début des spécialistes sont nécessaires. 

Dupleix, Bussy, La Bourdonnais, Lally-Tollendal, Lauriston, le tour d’horizon des administrateurs civils ou militaires aux Indes ressemble à une balade dans les rues de Paris. L’héroïsation dont ils ont fait l’objet par la Troisième République l’explique aisément. Mais si l’on doit réellement les comprendre, il faut se placer dans la perspective qui fut la leur, celle de l’appartenance à une Compagnie dont l’activité ne se limitait pas à l’Inde.

Faire carrière à la Compagnie française des Indes, c’est faire partie d’une corporation de négociants. On est presque étonné de l’étroitesse des milieux d’origine des administrateurs, largement parisiens. Au début des spécialistes sont nécessaires. François Caron, transfuge de la V.O.C hollandaise, les voyageurs Tavernier et Bernier en font partie, mais aussi De Faye, Blot, Gueston, financiers ou négociants qui ne savent rien de l’Inde avant d’y avoir mis les pieds. En 1719, cinq milieux, rappelle Philippe Haudrère, forment le vivier des officiers de la Compagnie : les financiers de la compagnie du Mississipi, les armateurs, les protégés des ministres, le haut personnel et ses enfants. Cette hérédité contribue à un fort esprit « maison » qui n’est pas synonyme de passe-droit. Elle vise à la transmission d’une expérience collective : avant d’approcher la direction des bureaux, l’officier de plume doit être sous-commis, commis, sous-marchand, conseiller et enfin gouverneur ayant autorité sur son conseil et le personnel indien.

Il faut donc vingt ans pour faire un administrateur. Ceux qui bénéficient d’une protection, tel le jeune Dupleix en 1720, renoncent parfois à une promotion rapide face à la réprobation générale. Que faire fortune soit la motivation d’un séjour en Inde, grâce au commerce d’Inde en Inde, n’exclut pas le respect des préséances. Le militaire, imbu de morale nobiliaire mais qui pratique aussi le commerce privé, est subordonné au civil ce qui entraîne de vives tensions. Cette fortune doit d’ailleurs servir une ambition : pour les uns, il s’agit de l’achat d’une seigneurie ou d’une charge qui apporte titres et revenus ; pour d’autres, lorsque la noblesse est ancienne, il s’agit de rétablir une fortune familiale compromise. Toutefois la noblesse est l’exception parmi les officiers même si un article de l’édit de 1664 permet de s’engager sans déroger, moins de 2 % chez les officiers de plume, environ 8 % chez ceux d’épée, mais elle reste la principale motivation d’une carrière indienne et cette aspiration a certainement sa part dans l’extraordinaire hégémonie française en Inde au milieu XVIIIe siècle.

Trois faits cardinaux sont à prendre en compte : la régionalisation de l’Empire moghol ; l’accumulation des tensions en Europe durant le siècle ; la lenteur des communications qui rend les comptoirs presque indépendants. C’est sans doute ce qui explique que Pondichéry se trouve à la tête de « grands établissements » et domine le tiers de la péninsule de 1746 à 1759, sans que la Compagnie ou la Cour ne l’ait envisagé. La responsabilité des administrateurs locaux est immense. Le gouverneur Dumas s’immisce ainsi dans les affaires indiennes lors de l’acquisition de Karikal (1739). Dupleix tire les leçons de ce « nababisme » en 1746 avec un changement d’échelle saisissant. Le soutien accordé aux prétendants au trône d’Arcate, Chanda Sahib, et à celui de Golconde, Muzaffar Jang, fait de Dupleix un nabab et de Bussy le protecteur du Deccan. Le coup d’arrêt est marqué par la Compagnie dès 1754 car elle se conçoit comme entreprise commerciale et parce que Dupleix cesse d’être victorieux. Mais enfin, lorsqu’elle envoie Godeheu le remplacer, c’est tout de même pour en conserver les acquis. Que lui a-t-il pris, lors de la guerre suivante, de nommer gouverneur général des Indes Lally Tollendal, jacobite irlandais sans attache avec la Compagnie, qui n’a pour lui que son anglophobie et sa réputation de premier soldat de Louis XV ?

La perte de l’Inde qui s’ensuit, en 1761, est imputable, outre les capacités logistiques anglaises, au conflit entre les officiers civils et militaires qui coûte sa tête à Lally en 1766. Ceux qui lui succèdent, à partir de 1764, ne prendront aucun risque. Les relations entre les Choiseul, la Direction et ses officiers sont marquées d’une méfiance croissante qui aboutit à la suspension du privilège de 1769. La cession des comptoirs au roi en 1771 est le début d’une « normalisation » administrative qui s’achèvera en 1827. Mais Pondichéry n’est déjà plus un centre d’impulsion sous Law de Lauriston. Ces officiers n’ont pourtant pas démérité. A la prise des établissements, Law, Chevalier, Courtin, ou encore Marchand ou Fisher mènent des petites guerres aux côtés de Shah Alam II, de Shujauddaula, d’Haidar Ali Khan, de Yusuf Khan. Pourquoi l’ont-ils fait ? Pour l’argent, l’aventure ou pour se soustraire aux conditions de la captivité ? Possible mais douteux. Dans les correspondances, certes nimbées de justifications, on lit plutôt un immense besoin de reconnaissance, et, à l’expression « pour la plus grande gloire du roi » se substitue bientôt celle d’un « honneur » aristocratique d’une « nation » qui ne désigne plus seulement les Français vivants en Inde.

 

Publié en janvier 2022

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