Bien qu’elle affirme que la matière est constituée d’atomes indestructibles assemblés en molécules, l’école dite Vaiśeṣika, apparue au premier millénaire avant l’ère chrétienne, relève de la métaphysique davantage que de la physique, laquelle a été négligée par les anciens Indiens. La chimie quant à elle, est, à ses débuts, au service de la thérapeutique. Une branche de la médecine ayurvédique, le rasaśāstra, combine le mercure (rasa) à des métaux tels que l’or, l’argent et le plomb, à des matières animales et à des végétaux, afin de produire des drogues et des médicaments de longue vie. Le terme rasāyana désigne la quête de l’immortalité et, par extension, l’alchimie qui est le moyen d’y parvenir. Marco Polo attribue la longévité exceptionnelle des yogis à leur alimentation saine et frugale, mais aussi à un breuvage à base de mercure : « Car je vous dis qu’ils prennent vif-argent et soufre, et les mêlent ensemble, et en font breuvage avec de l’eau. Puis le boivent, et disent qu’il accroît la vie. Ils font ainsi deux fois chaque mois, et sachez qu’ils usent de ce breuvage dès l’enfance pour vivre plus longtemps, et il n’y a pas d’erreur ; ceux qui vivent aussi longtemps que je vous ai dit usent de ce breuvage de soufre et de vif-argent. » L’éternelle jeunesse (dehavāda) n’est pas le seul objectif, des alchimistes indiens dont les recherches portent également sur la transmutation des métaux (lohavāda).
Les deux grands médecins des premiers siècles de notre ère, Suśruta et Caraka, se sont illustrés dans la fabrication chimique de médicaments à base de mercure, de métaux précieux et non précieux, de soufre, de pyrite, etc. On leur doit par exemple des onguents à base de mercure contre les maladies cutanées et un « sirop » antidiabétique obtenu par macération de sels de fer avec des végétaux, que la médecine ayurvédique emploie encore de nos jours. Par des procédés chimiques, les anciens Indiens savent également obtenir des lessives caustiques.
Les Indiens ont très tôt acquis la maîtrise du travail des métaux : le wootz est un acier au creuset à forte teneur en carbone, apparu en Inde vers 300 avant notre ère. Très apprécié dans tout l’Orient antique, il est utilisé dans la fabrication des lames de sabre, notamment celles dites de Damas. Le pilier de fer Mehrauli, à Delhi, qui mesure sept mètres de haut et pèse six tonnes, témoigne de la maîtrise des métallurgistes guptas : après mille six cents moussons environ, il n’a subi aucune altération, aucune corrosion. Il contient plus de 99 % de fer, taux que l’Occident n’obtiendra qu’au XIXe siècle. En 2002, le professeur R. Balasubramaniam, de l’Indian Institute of Technology de Kānpur, a découvert l’existence d’un film protecteur formé par catalyse lors de la fonte du fer au charbon de bois, laquelle dégage du phosphore.
Les sciences sont cultivées en Inde depuis des millénaires quand les Européens s’y établissent. Les missionnaires découvrent chez leurs élèves « une aptitude et une ardeur étonnante pour l’étude ». Dans les grands collèges qu’ils fondent aux XIXe et XXe siècles, les jésuites contribuent à réveiller des capacités scientifiques inexploitées depuis le début du second millénaire. Conscient de « l’extraordinaire potentiel indien en mathématiques », le père Racine (1897-1976), qui enseigne au collège Saint-Joseph de Trichinopoly, puis au Loyola College de Madras, forme quelques-uns des plus grands mathématiciens indiens du XXe siècle.
Publié en juillet 2024