Antoine-Léonard Chézy (1773-1832)

Pionnier des études orientalistes, Antoine-Léonard Chézy est connu pour être le premier titulaire de la chaire de sanskrit au Collège de France, fondée en novembre 1814. Il publia une traduction française de l’Abhijñānaśakuntala ou « La Reconnaissance de Śakuntalā », pièce de théâtre de Kālidāsa qui bouleversa l’Europe romantique.

Né le 13 janvier 1773, à l’aube des bouleversements politiques qui ébranlèrent l’Europe, Chézy reçut d’abord une éducation scientifique. Son père Antoine Chézy (1718-1798) était ingénieur, directeur de l’École des Ponts et Chaussées, célèbre pour avoir construit le Pont de Neuilly. Féru de langues et de poésie, le jeune Chézy délaissa la voie qui lui était destinée pour se consacrer à l’étude de l’arabe et du persan, à côté de nombreuses langues européennes, l’allemand, l’anglais, l’italien et le latin. Profitant de la création de l’École des langues orientales en 1795, il suivit les cours d’Antoine-Isaac Silvestre de Sacy pour l’arabe et de Louis-Mathieu Langlès pour le persan. Grâce à ses compétences linguistiques, il fut choisi parmi les savants qui devaient accompagner Napoléon lors de l’Expédition d’Égypte en 1798. De santé fragile, Chézy tomba malade à Toulon et dût renoncer à embarquer pour cette aventure militaire et scientifique qui marqua un tournant décisif dans l’histoire de la connaissance de « l’Orient ».

En 1800, Chézy fut nommé « employé » à la Bibliothèque nationale pour le traitement des collections extra-européennes. La poésie persane reçut d’abord toute son attention. Il publia en 1807 une traduction de Medjnoun et Leïla du célèbre poète iranien Jâmî (1414-1492). Il s’intéressa ensuite à la langue sanskrite et à sa riche littérature. Il apprit cette langue savante dans la grammaire rédigée en latin par le père Jean-François Pons en 1730, conservée à la Bibliothèque nationale (Sanscrit 551). S’attelant à la lecture du Rāmāyaṇa, il publia en 1814 une traduction du Yadjnadatta-badha, ou la Mort d'Yadjnadatta, épisode attribué à la célèbre épopée du poète mythique Vālmīki. Cet ouvrage lança Chézy dans les études sanskrites et lui permit d’être identifié comme l’un des seuls connaisseurs de cette langue en France. Conseillé par Sacy et Langlès, Louis XVIII, au moment de la première Restauration, créa au Collège de France des chaires pour le sanskrit et le chinois en novembre 1814. Le 16 janvier 1815, Chézy prononça son Discours d'ouverture du cours de langue et de littérature sanskrite, premier du genre en Europe. Il eut pour auditeur le latiniste Jean-Louis Burnouf, père d’Eugène Burnouf, son successeur au Collège de France, sous l’impulsion de qui fut réédité l’ouvrage consacré au Yajńadattabada dans une édition revue et augmentée d’une traduction latine. Eugène Burnouf fut également un auditeur de ce cours, comme l’atteste ses notes prises au « Cours de Chézy » entre 1822 et 1824. Ce document est un précieux témoignage qui donne à voir la méthode d’enseignement du sanskrit, écrit en caractères bengalis, et les textes abordés, en l’occurrence le Mānava-dharma-śāstra ou « Lois de Manu », un texte normatif d’une grande importance pour comprendre la construction de la société indienne.

Féru de poésie et pris dans les élans du Romantisme, Chézy fut qualifié de « fleuriste » par Jules Mohl, tenant d’une philologie scientifique, dans une fameuse querelle qui eut cours au sein de la Société asiatique, créée en 1822. Si ses traductions laissent libre cours à son imaginaire, elles n’en restent pas moins les premières du genre. En 1817, Chézy avait publié une Analyse du Mégha-Doûtah, ou « Le Nuage messager », poème sanskrit de Kālidāsa. Soulignant l’importance de la métrique dans les compositions littéraires en sanskrit, il publia en 1827 une Théorie du Sloka, ou Mètre héroïque sanskrit, dans laquelle il décrivit trois types de mètres, dont le śloka de 32 syllabes, le plus couramment utilisé par les poètes indiens. L’ouvrage pour lequel il reste célèbre est certainement La reconnaissance de Sacountala, drame sanskrit et prakrit de Kālidāsa, publié en 1830, « pour la première fois, en original, sur un manuscrit unique de la Bibliothèque du roi, accompagné d'une traduction française ». Chézy établit en effet son édition sur un manuscrit collecté au Bengale par le père Pons, daté de 1653, conservé à la Bibliothèque nationale (Sanscrit 657). Cette traduction fit passer l’Inde dans le champ d’influence des écrivains et artistes français. En 1858, Théophile Gauthier rédigea le livret de Sacountala, un ballet-pantomime chorégraphié par Lucien Petitpa.

L’épidémie de choléra de 1832 enleva à la France de nombreux orientalistes, dont l’égyptologue Jean-François Champollion. Chézy mourut le 31 août. Il fut survécu par son épouse Helmina von Chézy, née von Klencke, écrivaine allemande impliquée dans la vie intellectuelle et artistique de l’Europe de la première moitié du XIXe siècle. Lors de la vente de la bibliothèque de Chézy, de qui elle était séparée, elle rédigea une « Notice sur la vie et les ouvrages de M. de Chézy » qui replace le savant dans son époque pionnière.

 

Rédigé en juillet 2024

Chézy, A.-L.