L’un des trois grands pèlerins et traducteurs bouddhistes de la Chine.
Connu comme l’un des trois grands pèlerins et traducteurs bouddhistes de la Chine, le moine Yijing a passé 24 ans hors de Chine, d’abord en Inde, notamment au célèbre monastère de Nalanda, puis à Srivijaya dans l’île de Sumatra, avant de rentrer en Chine et de s’installer dans la capitale pour y traduire une partie des quatre cents ouvrages qu’il avait rapportés.
Le voyageur
Né en 635 à Fanyang, près de Pékin, Zhang Wenming décida à l’âge de 12 ans de devenir moine, sous le nom de Yijing, et émit, peu après, le souhait de partir en Inde, sans doute à l’imitation de Xuanzang, célèbre pèlerin rentré en Chine en 645 et reçu à la capitale avec tous les honneurs dus à un grand maître. Cependant, ce n’est que plus de vingt ans après qu’il en trouva l’occasion, grâce à l’aide d’un laïc dévôt qui pourvut aux frais du voyage. Yijing embarqua à Canton, en 671, sur un bateau persan, suivi d’un seul compagnon, les autres ayant renoncé. Il débarque à Srivijaya ; l’actuelle Palembang où il reste six mois, puis, de Jiecha (Aceh), il reprend un bateau pour Tāmralipti par les îles Nicobar. Il s’installe au grand monastère bouddhique de Nālandā où il demeure dix ans tout en visitant quelques hauts lieux de la vie du Buddha (Bodh-Gayā, Rājagṛha, Vaiśālī, Kuśinagara). En chemin, il échappe de peu à la cruauté des bandits. A Nālandā, il étudie pendant environ 11 ans. Après quoi, songeant au retour à partir de 685, Yijing reprend la mer à Tāmralipti en direction des îles Nicobar et de Srivijaya, emportant cinq cent mille stances de textes indiens qui équivalent, dit-il, à un millier de rouleaux. Restant quelque temps à Srivijaya, Yijing compte envoyer un courrier en Chine, à Canton, afin de demander du papier et de l’encre pour copier les textes sanskrits, probablement après traduction, ainsi que des copistes. Alors que Yijing est monté sur un bateau amarré à l’embouchure du fleuve Musi, les marchands font lever les voiles en profitant du vent favorable et le pèlerin se trouve embarqué malgré lui en direction de la Chine. Au 7e mois de l’année 689, il débarque à Canton. Là, il explique qu’il a dû laisser ses manuscrits à Srivijaya et qu’il lui faut aller les chercher pour les traduire. Un jeune assistant lui est adjoint ainsi que trois autres compagnons. Revenu à Srivijaya, Yijing se met à la traduction des écritures bouddhiques qu’il a apportées de l’Inde. Trois ans ont passé quand il demande à l’un des moines chinois qui résidaient à Srivijaya de retourner en Chine et de solliciter des autorités impériales la construction d’un temple bouddhique à la capitale. Avait-il comme objectif d’être un nouveau Xuanzang qui fut honoré à son retour de la grâce impériale ? En même temps Yijing joint à sa requête la traduction de plusieurs soutras et textes doctrinaux, en dix rouleaux, ainsi que deux ouvrages de son cru.
L’auteur
Le premier de ces ouvrages est le Mémoire composé à l’époque de la Grande Dynastie des T’ang sur les religieux éminents qui allèrent chercher la Loi dans les pays d’Occident, titre sous lequel a été traduit par Edouard Chavannes (1865-1918) le Da Tang Xiyu qiufa gaoseng zhuan en 1894. Y sont retracées les biographies des nombreux moines qui se sont aventurés jusqu’en Inde ou en Indonésie, dont les quatre qui se trouvaient avec Yijing à Srivijaya. Le second est le Nanhai jigui neifa zhuan [Relation sur le bouddhisme, envoyée des mers du Sud] que traduisit en anglais Takakusu Junjirō en 1896. Yijing, particulièrement intéressé par les règles de la discipline monastique, y aborde nombre de questions telles que la retraite d’été, la nourriture, la toilette, l’habillement, les cérémonies, le sommeil, la santé, la mort, mais aussi les règles de l’ordination ou du chant.
Un manuscrit non daté, mais datable de la première moitié du 8e siècle, a été retrouvé dans la fameuse grotte aux manuscrits près de Dunhuang par Paul Pelliot en 1908, contenant la copie de la préface de l’ouvrage et son premier chapitre. Ce rouleau de 15 feuilles de papier est long de plus de cinq mètres, Pelliot chinois Dunhuang 2001.
Le traducteur
Yijing revient en Chine trois ans plus tard, en 695. Il est accueilli à la capitale occidentale, Luoyang, par l’impératrice Wu Zetian elle-même (r. 690-705). Il rapporte 400 ouvrages et en traduira 56, couvrant 230 rouleaux ou chapitres, un travail qui l’occupe jusqu’à sa mort en 713. Ce sont évidemment des soutras auxquels il s’attache, mais aussi des ouvrages de doctrine et de discipline.
Le travail de traduction n’est pas une œuvre solitaire comme ce le fut jadis. Depuis Xuanzang au moins, des équipes sont constituées, réunissant sanskritistes, généralement d’origine indienne, et des moines chinois, sous la direction d’un grand maître. Yijing ne passe pas pour avoir été un excellent sanskritiste. C’est sans doute la raison pour laquelle il se fit assister de collaborateurs plus nombreux encore et plus particulièrement des Indiens.
Un soutra bien connu, le Soutra de la radiance d’or, a fait l’objet d’une nouvelle traduction de la part de Yijing, en 703, sous le titre Jinguangming zuisheng wang jing. Un assez grand nombre de copies ont été conservées parmi les manuscrits de Dunhuang. L’une d’elles, qui ne comporte plus que le colophon de traduction, semble avoir été établie juste après l’achèvement de cette traduction, c’est le manuscrit Pelliot chinois Dunhuang 2585. Y sont consignés les noms et les fonctions des membres de l’équipe qui accompagna Yijing : vérificateur du texte sanskrit, lecteur du texte sanskrit, vérificateurs du sens et scribes. L’impératrice Wu Zetian (r. 684-704), bouddhiste dévote, encouragea la traduction de soutras et d’autres ouvrages et les gratifia d’une préface qu’elle signa. Un exemple subsiste dans les manuscrits de Dunhuang, introduisant le Ruding buding yin jing [Soutra du sceau de l’entrée en samādhi et du non-samādhi], c’est la Préface aux saints enseignements des nouvelles traductions des Trois corbeilles des Grands Zhou, Da Zhou xinfan sanzang shengjiao xu, rédigée en 700, Pelliot chinois 3831.
Yijing, qui s’est beaucoup intéressé aux ouvrages de discipline de la secte des Mulasarvāstivādin, a également signé la traduction de près d’une vingtaine d’ouvrages, notamment celle du Genben suopoduo bu lüshe, ou Somme du vinaya de la secte des Mūlasarvastivadin, traduit en 701. Il en reste une copie complète du chapitre 13 dans le fonds des manuscrits de Dunhuang de la BnF, Pelliot chinois 2175, exécutée au 9e ou au début du 10e siècle. On doit encore à Yijing la traduction de plusieurs ouvrages doctrinaux, dont des œuvres du logicien indien Dignāga (vers 480-vers 540).
A sa mort, Yijing reçut l’hommage de l’empereur Zhongzong (r. 683-684 et 705-710) qui écrivit lui aussi une préface aux traductions de Yijing, Da Tang zhongxing sanzang shengjiao xu [Préface aux saints enseignements des Trois corbeilles de la renaissance des Grands Tang], Pelliot chinois Dunhuang 2899.