Voyageur poussé par l’attrait de la découverte, marchand à la recherche des richesses de l’Orient, aventurier au service de princes du bout du monde, Marco Polo fut tout cela à la fois.
C’est en 1271 que, partant avec son père et son oncle, des marchands vénitiens ayant voyagé en Asie (1260- 1266), Marco Polo, âgé de 15 ans, entreprit la longue route qui devait le mener à Chang-tu, résidence d’été du Grand Khan Kubilaï, en 1275, et à Cambaluc (Pékin), sa capitale. Acre, Tabriz en Arménie , la Bactriane et le Badakchan dans l’actuel Afghanistan , puis Kan-tchéou, porte de la Chine, furent, semble-t-il, les étapes de ce voyage- aller. Marco Polo resta 15 ans au service du Grand Khan, effectuant pour lui de nombreuses missions en Chine, faisant office d’administrateur autant que d’informateur. Il mit deux ans (1291-1293) à retourner par mer, depuis le port de Zaiton, en passant par Sumatra et Ceylan, puis le détroit d’Ormuz.
Certes, d’autres voyageurs avant lui étaient parvenus jusqu’en Mongolie, les franciscains Jean de Plancarpin et Guillaume de Rubrouck, par exemple, envoyés, le premier par le pape Innocent IV, en 1245, le second par Louis IX en 1254 . C’étaient des missionnaires chargés d’informer les Occidentaux sur la progression des Mongols ou de les évangéliser. Marco Polo, lui, est un voyageur qui observe. La rédaction de son ouvrage, le Devisement du monde ou Livre des merveilles paraît avoir été le fruit d’un hasard. C’est en effet, alors qu’il était prisonnier dans le donjon de Gênes, en 1298, que Marco Polo dicta en vénitien à Rusticien de Pise ses souvenirs de voyage, que celui-ci mit en forme en franco-italien.
Malgré son titre, le Devisement du monde – « devisement » signifie description – n’est pas une géographie. C’est un itinéraire, qui décrit successivement les quatre puissances mongoles : les Tartares de Perse, ceux du milieu, le Cathay, c’est-à-dire la Chine du Nord et l’Inde. En Perse, à Alamut, au sud de la mer Caspienne, Marco Polo raconte l’histoire du Vieux de la Montagne , de son jardin paradisiaque et de la secte des Assassins près de la Porte de Dzougarie, Il évoque sous les yeux émerveillés des occidentaux l’extraction de l’amiante ; à Karakorum, en Mongolie, il rappelle la guerre entre Gengis Khan et le Prêtre Jean. Avec luxe détails, il décrit le Cathay, c’est-à-dire l’empire du Grand Khan, avec sa capitale, Cambaluc – Pékin -, ses palais, les fêtes du nouvel an que l’on y donne où tout le monde s’habille de blanc, les chasses au léopards, aux lions et aux loups qui durent les trois mois d’hiver. Il signale l’usage du papier monnaie, et celui du courrier postal, appelés à l’avenir à un grand développement. Pour longtemps encore (cf. Christophe Colomb), il suscite le rêve en évoquant l’or de Sipangu (le Japon).
Le Devisement du monde fut largement diffusé en différentes versions italiennes (toscane, vénitienne), latine et française : on en conserve actuellement 143 manuscrits. En France, le texte se répandit dans la version rédigée, en 1307, par Thomas de Chepoy Quelques-uns de ces manuscrits sont splendidement illustrés. Le plus ancien, conservé à la British Library de Londres est l’œuvre d’une enlumineresse parisienne du second quart du XIVe siècle, assez prolifique, Jeanne de Montbaston qui en a peint les 36 miniatures dans un style naïf. Illustré en Angleterre, vers 1400, le manuscrit Bodley 264 (f. 218- 274) de la Bibliothèque Bodléienne d’Oxford, rend compte à travers ses 38 miniatures et ses lettres historiées, de la richesse de l’Orient. Au contraire, les 34 miniatures en grisaille rehaussée de couleurs du manuscrit 723 de la Pierpont Morgan Library de New York mettent l’accent sur l’originalité du récit; réalisé à Paris, le manuscrit date des années 1410. Le plus célèbre de ces manuscrits est sans conteste celui que l’on appelle le « Livre des Merveilles de Marco Polo », que le duc de Bourgogne, Jean Sans Peur, offrit aux étrennes de 1413 à son oncle le duc Jean de Berry. Il est illustré de 84 miniatures, peintes par des maîtres du gothique international réunis autour du Maître de Boucicaut ; elles mettent en lumière la richesse orientale et signalent en images le bon gouvernement du Grand Khan. Le Devisement du monde n’est toutefois qu’un partie (f.1-96v) de cette encyclopédie géographique, rassemblant toute une série de relations de voyages en Orient, traduites en français : Odoric de Pordenone, Guillaume de Boldensele, Jean de Mandeville, Hayton… On signalera enfin un manuscrit du tout début du XVIe siècle, d’une grande richesse iconographique, en dépit de son peu de valeur esthétique.