Rabban Bar Sauma (vers 1225-1294)

Parmi les voyageurs venus de Chine jusqu’en Europe vers la fin de notre Moyen-Âge, au moment même où Marco Polo était au service de l’empereur de Chine, se trouve un personnage fascinant, Rabban Bar Sauma. Comme ses contemporains,Jean de Plan Carpin ou Guillaume de Rubrouck, c’est un religieux diplomate, mais il est un chrétien nestorien envoyé du souverain iranien, l’il-khan Arghoun (règne 1284-1291).

Deux nestoriens à Pékin

Rabban Bar Sauma, c’est-à-dire « Fils du jeûne », n’est pas d’origine chinoise. C’est un chrétien nestorien, au nom syriaque, d’origine öngüt ou tatar blanc (wanggu 汪古), une tribu turco-mongole installée à proximité de la Grande Muraille et particulièrement vers l’angle nord-est de la grande boucle du fleuve Jaune. Mais c’est à Khanbaliq (l’actuelle ville de Pékin) que naît Bar Sauma. Son père y est « visiteur » de la communauté chrétienne de la ville. Devenu adulte, Bar Sauma se fiance, mais renonce véritablement au mariage pour devenir prêtre et sacristain de l’église nestorienne de Pékin. Il se fait moine, pratique l’ascétisme et rencontre un certain Markos ou Markus, de vingt ans son cadet, originaire de Košang, cité située vraisemblablement à l’angle nord-est de la boucle du fleuve Jaune, dans l’actuelle Mongolie intérieure. Le jeune Markus, fils d’un archidiacre s’instruit auprès de Bar Sauma et reçoit la tonsure. Soudainement les deux hommes décident de partir pour Jérusalem sans que l’on sache quel était leur objectif exact. Ce n’était certainement pas seulement pour obtenir le pardon de leurs péchés et pour recevoir la bénédiction des pères de l’Eglise catholique. On peut penser avec Pelliot, qui s’appuie sur une source arabe, une encyclopédie théologique rédigée au 14e siècle traitant notamment des patriarches nestoriens, que les deux voyageurs furent envoyés pour faire sanctifier deux vêtements en les trempant dans les eaux du Jourdain, de même que les frères Polo avaient été chargés d’aller recueillir de l’huile du Saint-Sépulcre à Jérusalem. Peut-être même est-ce l’empereur Khubilaï, dont la mère était chértienne, qui leur aurait assigné cette mission.

Le voyage

Partis de Pékin, les deux voyageurs passent par Košang, puis par le Tangout (l’ancien empire Xi Xia) et s’engagent dans le désert du Taklamakan pour arriver à Khotan puis Kachgar. Ayant probablement franchi les Pamirs, ils parviennent à Talas, puis au Khorassan, gagnent l’Azerbaïdjan et s’arrêtent à Maragha, résidence d’été des il-khans de Perse et du catholicos des Nestoriens. A Bagdad, ils apprennent que les routes pour Jérusalem sont coupées. Le chef des Nestoriens décide de nommer Markus métropolite pour le Cataï, c’est-à-dire la Chine, et pour les Öngüts, et Rabban Bar Sauma visiteur général. Mais encore une fois, les troubles les font renoncer à repartir pour la Chine.

Le catholicos étant décédé, Markus est élu à sa place, sous le nom de Mar Yahballaha III. Par ses fonctions, Markus se trouve proche du khan Arghoun, arrière-arrière petit-fils de Gengis Khan. Arghoun cherche alors à s’allier aux Chrétiens d’Occident pour soumettre les terres de Palestine et de Syrie, autrement dit pour s’attaquer aux Mamelouks et prendre Jérusalem. Rabban Sauma est désigné comme ambassadeur vers la Chrétienté. Il se rend d’abord à Constantinople où il visite les lieux saints et particulièrement la basilique Sainte Sophie, puis il prend la mer pour l’Italie, débarque à Naples où il rencontre le roi, Charles II d’Anjou (1254-1309), en conflit avec le roi d’Aragon. Cela se situe en 1284. Le roi de Naples est fait prisonnier et retenu à Barcelone jusqu’en 1288. Rabban Sauma a quitté Naples pour Rome où le pape vient de mourir. Il décide alors de partir pour la France. Il obtient une audience du roi, Philippe le Bel (1268-1314), qui lui donne son accord pour combattre les musulmans, lui disant : « Si les Mongols, qui ne sont pas chrétiens, combattent les musulmans pour s’emparer de Jérusalem, à plus forte raison devons-nous nous battre. Nous partirons avec notre armée s’il plaît à Notre Seigneur. »

À Paris où il demeure un mois, Rabban Sauma visite la Sainte Chapelle et probablement la basilique de Saint-Denis et s’en va à Bordeaux pour rencontrer le roi d’Angleterre. Philippe le Bel ne lui a pas fait que des promesses. Un ambassadeur est envoyé peu après, Gobert de Helleville, qui rejoint vraisemblablement Rabban Sauma à Rome. De la réponse du roi d’Angleterre Edouard Ier, on ne connaît que les engagements de principe qu’il a manifestés. Le voyageur repart pour Rome. Il y est reçu par un nouveau pape, Nicolas IV, en 1288. Il visite toutes les églises de Rome et, après quelque temps, s’en retourne à Bagdad, par voie maritime jusqu’à Constantinople, rapportant plusieurs reliques de vêtements du Christ et de la Vierge et des présents pour le catholicos et pour le roi Arghoun.

A son retour Rabban Sauma, ayant passé la soixantaine, est autorisé à concentrer son activité au service d’une nouvelle église bâtie à l’initiative du khan. Il meurt quelques années plus tard, en 1294. Arghoun s’est adressé en fait à plusieurs reprises au pape et aux rois de France et d’Angleterre. Déjà en 1285 il avait fait porter une lettre au pape qui était restée sans réponse. Au retour de Rabban Sauma, en 1289, il envoie un autre émissaire, un Gênois installé en Perse, Buscarello de Gisolfo, porteur de lettres au pape Nicolas, à Philippe le Bel ainsi qu’à Edouard Ier à Londres. La lettre au roi de France se trouve conservée aux Archives nationales, celle adressée au pape est conservée aux archives du Vatican.

Le récit

Le récit de voyage de Rabban Bar Sauma se trouve joint à L’histoire du père des pères et seigneur des pasteurs, Mar Yabhallaha, catholicos, patriarche d’Orient, dont le texte en langue syriaque a été transmis sous forme manuscrite. Une copie fut trouvée dans les années 1880 dans un village de la Turquie orientale. Le texte fut bientôt édité et publié en France, en 1888, par Paul Bedjan, après qu’une traduction en araméen moderne eut été publiée par des missionnaires américains. Quelques années plus tard, en 1893, le Père Jean-Baptiste Chabot en donnait une traduction française, largement annotée, dans la Revue de l’Orient latin, qui allait favoriser la diffusion de cette histoire étonnante.

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