Faxian (vers 340 – 420)

Accéder au document

Le moine Faxian 法顯 n’est pas le premier voyageur qui s’aventure hors de Chine dans un but religieux et plus précisément bouddhique. D’autres avant lui ont laissé leur nom, comme Zhu Shixing 朱士行 dans les années 260 ou Zhu Fahu 竺法護 à la même époque, mais ni l’un ni l’autre de ces moines voyageurs n’ont laissé de relation de leur voyage. Au 5e siècle tout s’accélère, plusieurs moines chinois décident de se rendre dans les régions d’Occident pour chercher la Loi, le Dharma, c’est-à-dire à la fois pour chercher des textes, pour les étudier avec des maîtres locaux, et pour visiter les lieux fréquentés jadis par le Buddha Śākyamuni. Parmi eux, il y a Faxian.

Le moine

Faxian, est le premier pèlerin bouddhiste chinois qui ait laissé une relation de voyage transmise intégralement, il s’agit du Mémoire sur les pays bouddhiques, Foguo ji  佛國記, appelé parfois aussi la Vie de Faxian. Le succès de son ouvrage, achevé en 414, est certain et il a assuré pour une part la célébrité du personnage. Grâce à sa relation de voyage, Faxian est magnifié par l’exploit que représente un périple entrepris à près de soixante ans et qui dure plus de dix ans. Le Mémoire sur les pays bouddhiques  ne comprend que la relation du voyage sans aborder les précédents biographiques de l’intéressé, pas plus que les moments qui ont succédé à son retour en Chine. Ce que l’on connaît de la vie de Faxian tient en peu de mots. On connaît son nom de famille, Gong 龔, mais pas son nom personnel. On connaît son lieu de naissance, Wuyang 五陽 dans l’actuelle province du Shanxi. On sait qu’il eut trois frères morts en bas âge et que son père le destina à devenir moine dès son plus jeune âge, à trois ans. Faxian, nous dit-on, ne voulut plus quitter le monastère, même au décès de son père.

Aucune information n’est disponible sur sa vie monastique. Lorsque Faxian eut reçu tous les préceptes, il vécut sans histoire, en moine zélé. Il est seulement précisé dans sa biographie du Gaoseng zhuan 高僧傳 (Biographies des moines éminents) de Huijiao 慧皎 (497-554) que souvent il déplorait de ne pas pouvoir disposer de suffisamment de sūtra et surtout de textes de discipline et qu’en conséquence il jura d’aller en quête de textes originaux jusque dans les territoires où il pourrait obtenir satisfaction.

Le voyageur

En 399, Faxian, avec quelques compagnons, quitte le royaume des Qin postérieurs (384-417), dans la grande boucle du fleuve Jaune. Il compte passer par le corridor du Gansu, route courante vers l’Ouest. Les indications données par le Mémoire restent floues. La région est dans des troubles constants. Les routes sont coupées et les voyageurs doivent attendre quelques mois. Finalement, profitant d’une accalmie, Faxian arrive à Dunhuang 敦煌, probablement avant la fin de 400. Près de Dunhuang, le creusement et la décoration des grottes dans la falaise de Mogao 莫高 ont déjà commencé depuis déjà quelques années.

À partir de Dunhuang, Faxian entre dans le vif du sujet, c’est-à-dire qu’il entre dans un monde indianisé. Il se met à donner des indications d’ordre ethnographique ainsi que des précisions sur les pratiques bouddhiques. Ici, c’est le Petit Véhicule qui domine et les coutumes indiennes sont présentes depuis cet endroit en allant vers l’Ouest. Plus loin, c’est Qarashahr où domine le bouddhisme du Petit Véhicule, puis Khotan où le Grand Véhicule a supplanté le Petit. Là, la situation du bouddhisme a changé, puisqu’à une période antérieure, vers la fin du 3e siècle quand le moine chinois Zhu Shixing s’y trouvait, c’était encore le Petit Véhicule qui dominait.

Faxian observe les pratiques bouddhiques comme la Grande assemblée quinquennale. Les principales légendes qui entourent la vie du Buddha sont évoquées, généralement à partir de reliques qui sont conservées dans tel ou tel endroit : le crachoir et une dent du Buddha, l’empreinte de ses pieds et de ses vêtements et même son ombre, son bol à aumones, sa protubérance crânienne, son bâton, l’escalier par lequel il est descendu du ciel Trayastrimsa, etc. Sont signalées également les lieux où le Buddha est intervenu lors de l’une de ses vies antérieures.

Le pèlerin

Peu à peu Faxian en vient aux grands moments de la vie du Buddha, notamment lorsqu’il se trouve au jardin du prince Jeta ou sur le site présumé du palais du roi Suddhodana. Là, Faxian ne fait plus qu’énumérer les divers événements qui l’ont touché sans entrer dans les détails. Dans sa relation, il apporte, en divers lieux, un certain nombre d’informations sur la vie monastique locale qui sont particulièrement précieuses. Dans le Royaume du Milieu, c’est-à-dire dans l’Inde centrale, il évoque la manière dont sont accueillis les religieux en voyage. Ce ne sont pas seulement des coutumes, mais des règles prescrites et consignées dans des textes de discipline. Plus généralement, Faxian ne donne que peu de renseignements sur la population et la vie quotidienne dans les royaumes qu’il parcourt. Il n’évoque les aspects sociaux ou économiques que lorsqu’ils lui apparaissent différents des autres pays qu’il a visités ou même des habitudes chinoises. Puis c’est le voyage de retour qui s’effectue par la voie maritime. Il est réellement éprouvant et Faxian n’échappe que de peu à la mort. Avec son récit le moine voyageur nous offre l’un des premiers témoignages chinois de traversée maritime de l’océan Indien et de la mer de Chine méridionale.

Les traductions

Le Mémoire de Faxian est connu en Occident depuis la première moitié du 19e siècle, grâce à la traduction méritoire qu’en a donné Abel Rémusat (1788-1832), titulaire de la première chaire de sinologie au Collège de France. Cet ouvrage posthume, publié en 1836, sous le titre佛國記 Foě Kouě Ki, ou Relation des royaumes bouddhiques : voyage dans la Tartarie, dans l'Afghanistan et dans l'Inde, exécuté, à la fin du IVe siècle par Chy̆ Fă Hian, a été achevé par l’orientaliste allemand Julius Kalproth (1783-1835), puis par Ernest Clerc de Landresse (1800-1862). D’autres traductions ont vu le jour par la suite, en anglais, par S. Beal (1869), puis L. Giles (1877) et J. Legge (1886), plus récemment en italien et à nouveau en français.

Le traducteur

De la suite de son existence, après son retour de voyage, on sait seulement que Faxian s’est d’abord installé à Jiankang (l’actuelle Nankin). Là, il s’associe avec un moine indien, Buddhabhadra (Fotuobatuoluo 佛陀跋陀羅, 329-429) pour traduire plusieurs des textes qu’il a rapportés. Sur les onze ou douze textes qui viennent de l’Inde ou de Ceylan, Faxian n’est crédité que de la traduction de six ouvrages dont cinq seulement ont subsisté. Pour la majorité d’entre eux, il apparaît comme un collaborateur de Buddhabhadra, parfois simplement comme copiste du texte indien. Deux sūtra se rapportent au Nirvana du Buddha et deux sont des textes de discipline monastique, ces deux derniers relevant de l’école Mahāsāṅghika, un grand code en quarante chapitres et un pénitentiel des nonnes en un seul chapitre. De ces ouvrages subsistent de rares copies manuscrites, fragmentaires, comme celle du Mohe sengqi lü 摩訶僧祇律, le Vinaya de l’école Mahāsāṅghika, Pelliot chinois Dunhuang 3996, un manuscrit écrit vraisemblablement au 10e siècle. Une autre copie, plus ancienne, que l’on peut dater des 7e-8e siècles, est celle du Sūtra de la corbeille des mélanges, Foshuo zazang jing 佛說雜藏經, qui est tout aussi fragmentaire, c’est le manuscrit Pelliot chinois Dunhuang 3710.

 

Illustration : Fo zhuo za zang jing, trad. de Fa xian