Gouvernements et dynasties
Lorsque s’acheva le règne de Lê Hiến Tông (r.1497-1504) au début du XVIe siècle, une période de déchirements d’un empire confronté à de multiples révoltes s’ouvrit. Cette crise était somme toute banale dans l’histoire d’un pays dont la construction politique avait été particulièrement complexe et mouvementée depuis son indépendance formellement acquise en 939 suite à la victoire de Ngô Quyền à Bạch Đằng. Ces déchirements internes conduisirent en 1527 le général Mạc Đăng Dung à s’emparer du pouvoir et à fonder la dynastie des Mạc. Toutefois la famille impériale des Lê put compter sur le soutien d’un mandarin resté fidèle à la famille régnante, Nguyễn Kim. Sous la conduite initiale du général Trịnh Kiểm, la reconquête du pays ne s’acheva qu’en 1592. Néanmoins, la réunification d’un Đại Việt exsangue sous l’égide tutélaire des Lê ne fut qu’apparente. La réalité du pouvoir fut disputée entre deux familles, les Trịnh et les Nguyễn, chacune prétendant régner au nom des Lê, la première dans la seigneurie du Nord (Đàng Ngoài, Bắc Hà ou Tonkin selon les sources), la seconde dans celle du Sud (Đàng Trong, Nam Hà ou Cochinchine). Cet équilibre précaire se lézarda à partir de 1771 face à la révolte des frères Tây Sơn qui parvinrent à prendre le pouvoir en 1786. Mais en 1792 à la mort sans héritier de Nguyễn Huệ, qui régna sous le nom de Quang Trung, Nguyễn Ánh, le dernier survivant de la famille des seigneurs Nguyễn, réfugié au Siam depuis 1785, sut profiter des querelles intestines dans la famille de l’Empereur défunt. Aidé par la France à travers l’action du prélat Pigneau de Béhaine, il fit son entrée dans Thăng Long en 1802, prit comme nom de règne Gia Long, choisit Phú Xuân pour capitale et nomma avec l’autorisation de la Chine son royaume Vietnam en 1804.
Régnant sur un territoire désormais réunifié sous une autorité unique, l’empire des Nguyễn fut néanmoins confronté à partir de la seconde moitié du XIXe siècle à une crise économique, sociale et politique majeure. Parallèlement, les appétits impérialistes de la France, motivés à la fois par des raisons religieuses, économiques et politiques, l’encouragèrent à étendre son influence sur l’Empire de Tự Đức. S’inscrivant dans une dynamique d’expansion territoriale qui dura de 1858 à 1884, la France finit par imposer son autorité sur le Vietnam malgré une farouche résistance, incarnée par le mouvement Cần vương, qui dura près de trente ans et ne s’acheva jamais tout à fait. Les traités Harmand et Patenôtre de 1883 et 1884 achevèrent de déposséder le Vietnam de sa souveraineté. Il fut partagé en trois entités juridiquement distinctes, la colonie de Cochinchine, les protectorats de l’Annam et du Tonkin, intégrés à partir de 1887 dans une architecture unique, le groupe de l’Union indochinoise qui comprit également le Laos et le Cambodge. Désormais placée sous la coupe de l’État colonial, la dynastie des Nguyễn n’exerça plus qu’un pouvoir symbolique sur les protectorats de l’Annam et du Tonkin, la Cochinchine étant administrée directement par les autorités françaises. Les velléités indépendantistes de certains empereurs comme Thành Thái (r.1889-1907) ou Duy Tân (r.1907-1916) furent réprimées par l’exil. L’abdication de Bảo Đại en septembre 1945 marqua la fin du règne des Nguyễn sur un pays durablement divisé jusqu’en 1975.
En dépit de ces vicissitudes marquées par de nombreuses ruptures dans la vie politique vietnamienne, des permanences se maintinrent tout au long des siècles. La première d’entre elle fut l’existence d’une bureaucratie mandarinale dont les règles furent systématisées au XVe siècle : recrutement par voie de concours, stage, affectation selon le principe de l’extériorité – i.e interdiction pour un lettré-fonctionnaire d’exercer dans sa circonscription d’origine –, évaluation périodique. S’il ne fut pas toujours conforme à l’idéal méritocratique, ce système ne fut pas non plus un monolithe miné par le népotisme et la corruption. Il fut au contraire une structure dynamique reflétant la complexité de la société vietnamienne où l’idéal de l’État le disputait à la force des lignages et des réseaux clientélaires. Il se fit également l’écho des forces et des faiblesses du pouvoir central avec lequel un dialogue parfois complexe pouvait exister. Le règne de Lê Thánh Tông au XVe siècle inaugura ainsi le désir de rationaliser le système du mandarinat afin de le rendre plus efficace et plus contrôlable tandis que celui de Minh Mạng au XIXe siècle se caractérisa par une centralisation bureaucratique accrue. Quant à la période coloniale, si elle constitua une évolution majeure dans l’organisation étatique, elle ne fut pas pour autant synonyme de tabula rasa. Le mandarinat s’adapta à la nouvelle donne politique tout en essayant de lui résister. Pour différentes raisons, dont un sous-effectif chronique, et en accord avec le kinh lược et l’Empereur, l’État colonial avait besoin de s’appuyer au Tonkin et en Annam sur ce « savoir de service » afin d’administrer ce territoire nouvellement conquis, tout du moins jusqu’en 1918. Cette organisation historique de l’État fut en effet victime de la politique d’assimilation conduite principalement sous le gouverneur général Albert Sarraut qui en fit un auxiliaire de l’État colonial. Mais loin d’être de simples serviteurs serviles d’une puissance étrangère, une partie de ces nouveaux lettrés alimenta la résistance à la présence française.
Le deuxième trait majeur des politiques gouvernementales fut la complexité des relations entretenues avec les territoires non kinh intégrés à l’Empire, notamment durant le Nam Tiến entre le XIe et le XVIIIe siècle. Dans ces régions périphériques, le pouvoir central joua une partition dont le rythme variait en fonction des rapports de force : assimilation, notamment par le biais d’une politique matrimoniale ; intégration à l’architecture institutionnelle à l’image des grandes familles lignagères du Nord qui occupèrent les fonctions officielles de gardiens des marches et bénéficièrent de charges administratives transmissibles à leurs descendants, sauf durant le règne de Minh Mạng. En ce sens, la politique coloniale différa peu des pratiques impériales vietnamiennes avec globalement le souci d’intégrer à l’architecture nationale ces territoires aux particularismes affirmés, même si ceux-ci purent se retrouver raviver, notamment au début de la mise en place de l’État colonial.
Enfin, les relations avec la Chine, aussi bien sur les plans politiques qu’économique et culturel, représentèrent également une constante dans les pratiques politiques vietnamiennes. Loin de se réduire une relation de confrontation, les rapports entre Chine et Vietnam furent originellement organiques et donnèrent naissance à une élite sino-vietnamienne. L'indépendance formelle à l'égard de la cour de Pékin ne fut pas pour autant synonyme d'une rupture avec la sphère d'influence de la Chine à qui un tribut fut versé selon des modalités et une périodicité qui purent varier. Moins qu'un acte d'allégeance comme l'interprétèrent de nombreux observateurs occidentaux, ce tribut représentait au contraire le signe de la souveraineté du Vietnam à l'égard de la Chine dont l'investiture était recherchée afin d'asseoir une légitimité qui permettait également de s'opposer le cas échéant aux velléités interventionnistes de Pékin sur le territoire vietnamien. À l'image du dieu Janus, la monarchie vietnamienne usait d'une double terminologie. Simple roi en s'adressant à la Cour de Pékin, le monarque redevenait empereur vis à vis de ses sujets et des territoires sur lesquels il souhaitait étendre son influence. Par ricochet, ce schéma fut d’ailleurs appliqué de manière similaire dans les relations entretenues par la monarchie vietnamienne avec les autorités locales des périphéries de son territoire. La désagrégation de l'Empire chinois et la mise en place de l'État colonial représenta un changement majeur sur le plan politique. En revanche, sur le plan économique et culturel, les liens entre les deux pays restèrent très vivaces. De nombreux secteurs d'activité restèrent aux mains de communautés chinoises que l'administration coloniale nourrie de préjugés sinophobes chercha à contrôler en organisant en particulier un contrôle très fort de l'immigration.
L’histoire du Vietnam dans ses relations avec la Chine et la France a été tracée par d’innombrables écrits et a donné lieu à différentes études, rédigés à la fois par des Vietnamiens et des Français, conservés aujourd’hui dans les collections de la bibliothèque nationale de France comme dans celles de la bibliothèque nationale du Vietnam. Ce recouvrement de deux histoires, la vietnamienne et la française, nous invite à en explorer les traces à travers les ressources numérisées que proposent cette présente rubrique « Gouvernements et dynasties ».
Publié en février 2021