Confucianisme
Durant près de dix siècles dans l’histoire du Vietnam, depuis le Xe siècle jusqu’au milieu du XIXe siècle, le confucianisme a progressivement affirmé sa position dans la politique, l’idéologie et l’univers symbolique des Vietnamiens.
Le confucianisme contribua de manière importante à la construction de la conscience et de l’identité nationales. Mais la défaite face à l’intervention militaire des Français qui entraîna la perte de la souveraineté, la colonisation et l’influence de la civilisation occidentale ont conduit les Vietnamiens à remettre le confucianisme en question.
Pendant la période de 1920 à 1945, dans les trois régions, les imprimés en quốc ngữ occupent une place prépondérante et on y trouve de nombreuses publications (en volumes ou sous forme d’articles) sur le confucianisme.
Ces ressources présentent les thématiques principales suivantes :
- Interprétation et explication du canon confucéen : La Cochinchine voit apparaître les premiers chercheurs comme Trương Vĩnh Ký qui a traduit Minh tâm bửu giám. Ensuite, les auteurs de la revue Nam Phong comme Đông Châu Nguyễn Hữu Tiến qui a traduit et expliqué Entretiens de Confucius et Mencius en vietnamien. Sur la base de ces traductions, d’autres essais qui commentent ces deux textes canoniques voient le jour et les travaux de Lie Zi, Han Fei Zi sont ensuite traduits et publiés à leur tour.
- Les essais sur le confucianisme sont publiés sur deux supports : des articles dans les revues et journaux, notamment les écrits de Phạm Quỳnh, Nguyễn Hữu Tiến, Nguyễn Trọng Thuật, Trần Trọng Kim dans Nam Phong ; et des livres tels que Tam giáo thiển đàm (1938) de Đoàn Thị Sâm, Khổng học đăng (1929) de Phan Bội Châu, Đạo lý phật giáo với đạo lý nho giáo ở nước ta (1935) de Trần Văn Giáp, Nho giáo (1932) de Trần Trọng Kim, Phê bình Nho giáo Trần Trọng Kim (1940) de Ngô Tất Tố, Luận lý đạo nho (1944) de Trúc Hà, Khổng giáo phê bình tiểu luận (1938) de Vệ Thạch Đào Duy Anh, etc.
- Recherches, études sur les grands maîtres du confucianisme chinois comme Confucius, Mencius, etc.
- Critiques et débats sur la pensée confucéenne : Outre les documents concernant des rapports entre le confucianisme et le catholicisme (mentionnés dans le « Catholicisme »), le débat sur le confucianisme se traduit par d’autres parutions marquantes. Dans son discours « Lý tưởng của thanh niên Việt Nam » (réimprimé dans Chuông rè, n°5 et 6, 1923), Nguyễn An Ninh, du point de vue d’un intellectuel occidentalisé, soutient l’idée que la pensée confucéenne apporte l’ordre et le bonheur au peuple, mais qu’elle n’est pas l’idéal pour son temps, qu’elle est même la source des vices de la société. Or, les journaux Khai hóa (au Tonkin) et Đông Pháp thời báo (en Cochinchine) durant l’année 1925 promeuvent le confucianisme en le considérant comme l’idéologie fondatrice de la culture vietnamienne. Ce furent probablement les premiers articles à marquer l’émergence des débats autour du confucianisme.
Phan Khôi (1887-1959) est un représentant actif des anti-confucéens. Son opinion s’exprime clairement dans l’article « Học thuyết về đạo đức của Khổng Phu Tử » (2 numéros, dans la revue Hữu Thanh, 1924), puis dans l’article « Chánh trị gia khẩu đầu chi Khổng Tử » (revue Quần báo, en hán, publiée à Chợ Lớn en début du 1929). En évoquant les hésitations entre le pour et le contre du confucianisme en Chine à l’époque, Phan Khôi veut engager une discussion sur l’héritage confucéen en Orient, à la fois en Chine et au Vietnam. À la fin de l’année 1929, il a écrit 21 articles sous le titre d’ensemble « Cái ảnh hưởng Khổng giáo ở nước ta » (dans Thần chung) qui attirèrent l’attention du public vietnamien de toutes les classes sociales. En particulier, dans les années 1931 et 1932, il a écrit de nombreux articles sur les questions liées à l’héritage confucéen (parus pour la plupart dans Phụ nữ tân văn), comme le rôle du mariage et de la famille, le comportement envers les femmes, les jeunes, les écoliers, etc. en se souciant d’étudier et de s’informer sur la manière dont les universités en France et en Europe étudiaient les pensées et les cultures de l’Asie orientale.
Entre 1934 et 1940, Phan Khôi a écrit pour de nombreux journaux afin de relever les défauts des confucianistes vietnamiens : manque de tolérance, conservatisme, hostilité aux idées nouvelles, en particulier hostilité à la démocratie. En même temps, il proposait comme solution de recourir au confucianisme primitif (doctrine de Confucius et de Mencius) pour se réapproprier les relations humaines dans les sociétés, ancienne et moderne, c’est-à-dire abandonner le confucianisme développé sous la dynastie Song en Chine et préserver certaines idées et traditions confucéennes dans la formation de la personnalité et de la spiritualité individuelles. De cette manière, Phan Khôi rejette le rôle du confucianisme dans le projet de reconstruction de la culture nationale et dans le rétablissement de la moralité.
Le défenseur du confucianisme le plus engagé fut sans doute Trần Trọng Kim (1883-1953), principal inspecteur scolaire de Tonkin à son époque. Dans son ouvrage Nho giáo, il met l’accent sur l’histoire du confucianisme chinois, puis consacre une partie modeste à l’histoire du confucianisme vietnamien. L’ouvrage est une bonne source d’information sur l’histoire du confucianisme chinois car il relève clairement les héritages du mouvement du Néo-confucianisme contemporain, les quatre mouvements de modernisation de la pensée confucéenne en Chine. Plus précisément, Trần Trọng Kim hérite de la politique consistant à intégrer la « démocratie » et la « science » dans la doctrine confucéenne. Il s’agit en effet de noter la dimension de « démocratie » existant dans la doctrine confucéenne, de comparer et de souligner les avantages et les inconvénients de la « démocratie » confucéenne par rapport à la démocratie comme régime politique en Occident. En outre, Trần Trọng Kim a également présenté les éléments scientifiques propres à la théorie confucéenne en réfléchissant sur la possibilité de combiner et de réconcilier le confucianisme avec la science moderne occidentale. Cependant, sa différence par rapport aux néo-confucianistes chinois modernes consiste à pratiquer des analyses exclusivement textuelles et sémantique pour ramener machinalement la pensée de la « science » au confucianisme. Or, les savants chinois s’intéressent aux rapprochements métaphysiques pour expliquer la dimension scientifique du confucianisme.
D’un côté, parmi les pro-confucéens, l’auteur Hoàng Sơn écrit 8 articles en janvier 1930 dans la même revue Thần chung suite à celui de Phan Khôi sur Thần chung pour attaquer les arguments de ce dernier. Et près de dix ans plus tard, en 1938, Đào Duy Anh (1904-1988), dans Khổng giáo phê bình tiểu luận publié chez Quan Hải tùng thư (Hué), se plaint de ce que Phan Khôi n’a pas proposé de solutions pour réformer le confucianisme. L’auteur Vệ Thạch Đào Duy Anh se sert du point de vue marxiste pour réviser le confucianisme. Il restitue l’histoire et le développement du confucianisme à partir de des conditions économiques et sociales, en particulier des classes sociales.
En outre, l’esprit et la pensée de Confucius sont plus critiqués que défendus dans de nombreuses œuvres littéraires, en particulier dans celles de Nguyễn Công Hoan, Ngô Tất Tố, et le Groupe Littéraire Autonome, etc.
Ainsi, après avoir perdu sa place dans le système politique, au début du XXe siècle, le confucianisme a été critiqué dans tous ses aspects, considéré comme un crime, comme une cause de nombreux phénomènes négatifs de la société.
Publié en février 2021